Mû par une immense compassion, porté par la tendresse de ceux qui ont autant vécu qu’observé la « hard-knock life », et avec les quartiers populaires de « Big Apple » pour cadre, Will Eisner nous emmène à la découverte de ces vies « étrangères ». Et dans l’immense œuvre du maître, le troisième tome de sa trilogie « New York », publié pour la première fois en 1993 chez Kitchen Sink Press, s’avère être une pièce de choix. Au programme, trois tranches de vie d’une trentaine de pages chacune.
A la grande loterie de la « condition humaine », nos trois protagonistes n’ont sans doute pas hérité du ticket gagnant… les journées très ordinaires de Pincus le repasseur basculent après l’annonce fortuite de son décès dans le journal. Tout son entourage est bien prompt à vouloir effacer toute trace de son passage sur Terre… Morris « L’Elu », pour sa part, semble incapable de rendre utile à la société un hypothétique don de guérisseur. Pis que cela, cette absence de sens ne lui permet pas de trouver sa place, et de commencer à vivre… Enfin, Hilda, bibliothécaire quadragénaire qui a consacré sa vie à veiller sur la santé de son père, trouve l’amour enfin à la mort de celui-ci. Problème : le promis, vieux garçon lui aussi, vit sous la tutelle très encombrante d’une « môman » qui ne souhaite pas voir son fils chéri quitter le nid…
Le père du Spirit était un poète et un humaniste. Libéré par la légèreté et la joie qui rayonnaient dans chaque visage, chaque attitude de ses « malheureux », Will Eisner savait à la fois dire la réalité la plus implacable et la transfigurer. Pour cette faculté si rare, il serait difficilement concevable que l’Histoire ne finisse pas par faire de son œuvre géniale un trésor aussi populaire que les romans de Dickens. Du moins, pour tous les mômes qui grandiront dans nos futurs techno-cyber-mondes, on ne peut que l’espérer, car une société qui perdrait tout intérêt pour la sourde colère qui a motivé cet ouvrage serait définitivement fichue. En attendant, et parce que tout reste ouvert, on ne peut que recommander très chaudement, mais alors version grosse laine, la lecture de cette trilogie new-yorkaise délicate et riche en messages.
« New York Trilogie – Tome 3: Les Gens », par Will Eisner (scenario et dessin), Editions Delcourt, Coll. Contrebande, octobre 2008, 112 p.
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