Traîtres, libidineux, sadiques… la plupart des protagonistes de ce TPB sont véritablement pourris jusqu’au trognon. Comme si les scénaristes, Palmiotti et Gray, avaient souhaité nous rappeler la réalité d’un monde sans droit, d’un eldorado abandonné aux désirs innombrables du « cow-boy » trop souvent idéalisé depuis lors, notamment au cinéma. Plongée dans ce crachoir de saloon, la personnalité de Jonah Hex reste attachante, ne serait-ce parce que ce volume nous permet de (re) découvrir les origines du personnage. Sous nos yeux, le fils mal aimé puis vendu aux Apaches pour un simple droit de passage devient ainsi le chasseur de primes froid, capable de venger les belles meurtries ou de dézinguer du soldat yankee par multiples de six. Malgré un net penchant pour la poudre à canon, ce maudit n’en demeure pas moins un brin utopiste puisque rien dans ces aventures, bien au contraire, ne laisse à penser que Hex ait pu abandonner tout espoir d’une justice digne de ce nom. Au fond, cet homme sort du cadre bien net qui est alors en train de se structurer dans l’Amérique du XIXe siècle. Nordistes, Sudistes, Natifs… peu lui importe, il ne choisit finalement pas son camp car il sait trop combien l’amertume, la jalousie et l’envie peuvent motiver, quel que soit la tunique, des comportements des plus gratuitement violents et, pourquoi pas, atroces. Pour avoir trop souvent été aux premières loges, Hex ne parle pas, il ne tergiverse pas. Il économise sa salive et demande à ses interlocuteurs d’en venir à l’essentiel. Combien d’hommes ? Combien de dollars ? Sortant de l’horizon pour entrer dans la petite ville de l’Ouest, il est la figure parfaite du « man with no name », de la vague silhouette à cheval tant magnifiée par Clint Eastwood dans les films de Sergio Leone.
Mais au-delà du seul virtuose Jordi, la force de cette épaisse BD (200 pages) provient aussi du fait que 5 des épisodes restants sont illustrés d’une main… illustre par un auteur très apprécié de votre serviteur, à savoir Phil Noto, que beaucoup d’entre vous auront connu par le biais de ses deux one-shots consacrés à la série « Danger Girl » (« Hawaiian punch » et « Viva Las Danger » en 2003). Tallulah Black et Dusty Rose sont assez fascinantes de beauté, chacune à leur manière, et confortent encore un peu plus la dimension cinématographique de cette série.
Autre constante hautement appréciable, les lumières aveuglantes et l’ensemble de la mise en couleurs complètent très joliment ce voyage au cœur de l’Amérique sauvage, et ce quel que soit l’auteur précédemment mentionné.
Reprenons à notre compte la méthode Hex et ne tournons donc pas autour du pot : ce volume procure un immense plaisir. Le fait de partager les premières années de cet antihéros permet d’entrer plus directement dans ses péripéties, et avec une plus grande empathie. Finalement, l’immersion est totale. Ces histoires de hordes sauvages, de maisons closes perdues au milieu des rocheuses sont si efficacement concoctées qu’elles vont chercher chez le lecteur un questionnement bien largement plus intéressant que de nombreuses BD narrées dans un contexte qui nous est contemporain. On remarquera à ce propos, la rencontre étonnante entre Jonah et Thomas Edison, qui donne lieu à de très pertinentes relativisations concernant nos actuelles vies « modernes ». Tôt ou tard, les « Hex » devaient disparaître. Effectivement, ils ont probablement disparu. Du reste, la « marque du démon », stigmate d’une vie réellement sur la brèche, aurait-elle encore un sens de nos jours ? Mais ceci est une autre histoire, comme le dirait Kipling… bref, pour tous ceux qui ont envie de se régaler près de la cheminée durant les prochaines semaines hivernales, pour tous ceux qui ont encore envie d’arpenter les grands espaces tels des John Wayne trash, on ne peut que conseiller cet album très accessible aux profanes, et de très haute volée artistique.
[Nicolas Lambret]« Jonah Hex : Origines », par Justin Gray, Jimmy Palmiotti (scénario), Jordi Bernet, Phil Noto, Val Semeiks, David Michael Beck (dessin), Panini Comics, Coll. DC Big Books, tome 2, juin 2010, 200 p.
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