Trade Paper Box #28 – Wolfskin
16 janvier 2011[FRENCH] Il en va du 9e Art comme de tous les autres. Les grands auteurs sont souvent ceux qui s’avèrent capables de vous attirer vers des thématiques dans lesquelles vous ne les attendiez pas, et qui transforment cette prise de risque en un tour de force incontestable. Ou pas ! En 2006, Warren Ellis, machine à concepts super-héroïques très urbains, scénariste brillant s’il en est, tentait un exercice relativement périlleux avec la création d’un personnage de barbare assez stéréo-typique depuis les canons du genre définis par Robert E. Howard.
Le « Wolfskin » qui nous réunit donc cette semaine est un grand costaud blond, un homme maudit qui a dû fuir sa contrée après l’avoir décimée au cours d’une nuit de transe. Ce vagabond aux contours bien flous parviendra-t-il captiver son lecteur ? Publiée chez Avatar Press dans sa version originale, cette mini-série en 3 (+1) épisodes a été traduite sous nos latitudes par Bragelonne-Milady, en octobre dernier.
Voir le loup et puis mourir…
Issu de la lignée des mythiques et redoutables « Peau de Loup », un mystérieux barbare solitaire mêlera son destin à celui d’un village en proie au déchirement, depuis que deux frères s’en disputent la domination… Les deux épées que porte le ténébreux soldat ne tarderont pas à parler pour régler le différend…
Par Wrod, qu’allaient-ils faire dans cette galère ?
A peine la lecture de l’album achevée, une question nous vient à l’esprit : qu’a donc voulu faire Warren Ellis de ce personnage ? Pourquoi créer ce barbare pour le mettre en scène dans des situations aussi anecdotiques ? Le scénariste étonne ici par la simplicité et, pourrait-on dire, le simplisme de son propos. En revisitant le mythe du guerrier nordique « berserk », l’auteur en oublie presque de donner du grain à moudre, un sens, à sa création. Les enjeux apparaissent souvent fades ou de faible envergure, mais peut-être était-ce là le choix du « réalisme » de la part du scénariste de « The Authority ». Et il est vrai que la magie est relativement évacuée de cet univers, à l’exception des champignons noirs susceptibles de réveiller la bête sanguinaire en Wolfskin.
Même le « character design » du personnage – assez rudimentaire – ne met pas Juan Jose Ryp à son avantage. Le dessinateur génial de « Robocop » ou de « Black Summer » semble, sur trois épisodes, plus mal à l’aise et rabougri que dans les contextes science-fictifs qu’il déjà brillamment arpentés. Alors évidemment, son métier conserve à l’ensemble de sa copie un rendu tout à fait propre, en dépit d’effusions de sang aussi ridicules que dans un nanar « gore ». Enfin, en ce qui concerne le dernier épisode, un « Annual » publié en avril 2008, son in-esthétisme est assez constant (Gianluca Pagliarani prend en charge l’illustration) mais il se révèle assez bien conçu dans sa narration.
La taille compte quand même un peu…
Vous le comprenez, cette bande dessinée a de quoi laisser perplexe. Elle se lit très facilement, agréablement même, mais ne parvient que rarement à dépasser le premier degré graphique dans lequel, il faut le reconnaitre, Juan José Ryp excelle une fois de plus. En terme d ‘épaisseur scénaristique, certains passages parviennent tout de même à s’extirper du naufrage, à l’image de la rencontre entre le Peau de Loup et son dieu de la Mort, Wrod, pour un moment assez « perché ». Malheureusement, et c’est peut-être le drame de ce TPB, ces deux premières aventures sont bien trop courtes et beaucoup trop orientées « baston » pour qu’on s’attache à ce philosophe du glaive – pourtant capable de leçons de morale assez drôles, et assénées froidement, l’air de rien. En quelques bulles, durant ces quelques secondes, on retrouve alors le sarcasme et le cynisme auxquels Warren Ellis nous avait si gentiment habitués dans des univers plus contemporains. Mais c’est trop peu, et il est clair que ce volume, sans faire offense à son auteur, n’est pas fait du même bois que les œuvres majeures du scénariste anglais. Amis lecteurs, cette BD reste, admettons-le, sympathique, mais n’espérez pas vous offrir un festin barbare de premier ordre. Pour le coup, vous vous retrouveriez avec un lapin maigrichon cuit à la chaleur d’un feu de camp. Il vous resterait encore la peau de bête, nous direz-vous…
[Nicolas Lambret]« Wolfskin », par Warren Ellis (scénario), Juan Jose Ryp et Gianluca Pagliarani (dessin), Bragelonne-Milady, Coll. Milady Graphics, octobre 2010, 120 p.