Trade Paper Box #40: Scénario Catastrophe
19 juin 2011[FRENCH] A l’image du stimulant ouvrage d’Amin Maalouf intitulé « Le dérèglement du monde » (2009), notre XXIe semble obsédé par l’idée que nous sommes probablement entrés dans une ère incontrôlable, imprévisible, sinon impensable… Garder la main, anticiper, empêcher que ne surviennent les pires catastrophes terroristes… toutes ces notions n’ont jamais été aussi présentes dans l’actualité que depuis les attentats du World Trade Center. A l’inverse, elles n’ont jamais paru aussi précaires et difficiles à obtenir, voire même à conserver. Les lecteurs de comics sont – et c’est un tropisme bien logique – souvent très conscients de la capacité de ce média à faire émerger – au-delà des aventures cosmiques – un propos intelligent sur l’état du monde. Sous couvert de divertissement, cela va de soi. « Unthinkable », titre original de la mini-série publiée chez nous sous le nom de « Scénario catastrophe » en est une excellente illustration. Courts, très denses, ces 5 épisodes parus en 2009 chez Boom ! Studios essaient de nous prouver que les meilleures cellules anti-terroristes ne pourront avoir raison de velléités de violence largement partagées sur la planète. Le nombre, vous avez dit le nombre ?
« Vous êtes la crème de la crème, vous êtes les Top Guns. »
L’année 2009. Des événements énormes, imaginés en 2001 par le mystérieux Labo d’Idées viennent de faire basculer le monde dans une guerre totale. Après l’explosion de la plus grande raffinerie d’Arabie saoudite (Al Abqaiq) et sa revendication par des terroristes chiites, le conflit avec l’Iran éclate ouvertement. Les Etats-Unis entrent les deux pieds dans cette guerre envisagée de longue date. Ancien membre du Labo d’Idée, démobilisé après la dissolution inexpliquée de cette cellule, le célèbre romancier Alan Ripley se met à paniquer sévère de voir se dérouler l’ensemble des sombres hypothèses formulées 8 ans plus tôt et décide alors, croyant bien faire, d’en avertir le FBI. L’agent Daniel Skelly, directeur de la section anti-terroriste, ne le lâchera plus. Mais il n’est pas le seul…
Peter Petrelli, sans superpouvoirs
Tout ceci commence fort, à la manière d’un bouquin « obus » de Tom Clancy. On comprend immédiatement que notre cher sosie de Peter Petrelli (caractère compris) est aussi brillant que dangereux : « Hollywood… auteur à succès, le doigt sur le pouls de vos pires cauchemars. ». La fuite en avant du « Think tank » ainsi reconstitué conduira nos protagonistes d’une plate-forme pétrolière américaine à Jérusalem en passant les geôles de Chine ou encore la Suisse. Et là encore, même dans ce dernier pays, il sera bien question d’atomes et pas d’horlogerie.
La banalisation des officines privées dans la sous-traitance des opérations militaires, les menaces bactériologiques (et un clin d’œil au Botox, un !), le nihilisme et le cynisme des « experts » sollicités pour participer au Labo d’Idées… pas de doute possible, cette aventure se positionne clairement dans nos chères années anxiogènes. Libre à vous de choisir de regarder ces réalités en face. Certains lecteurs ne s’intéresseront pas – et c’est tout aussi respectable –, à tout ce qui renvoie à la tristesse (de Chopin…) de ce monde. Après, dans sa manière d’orienter son scénario, l’auteur Mark Sable nous perd un chouia en raison d’une très forte dose d’action qui peut rappeler un certain cinéma testostéroné pas nécessairement indispensable. Mais dans l’ensemble, cette BD est très bien menée, et peut s’appuyer sur des dialogues finement posés.
Aux dessins, cette série nous permet également de découvrir le jeune talent de Julian Totino Tedesco (ultérieurement co-auteur de « Codebreaker » chez Boom !, en 2010), dans un style à mi-chemin entre le trait agile du regretté Mike Wieringo et l’encrage plus épais de Trevor Hairsine. La page deviantart de l’Argentin est d’ailleurs assez révélatrice du potentiel évident de cet artiste en pleine progression (http://jul0022.deviantart.com/) et, si ses choix professionnels l’orientent définitivement vers le comic-book, nul doute que son nom devrait nous devenir de plus en plus familier.
Living on the edge
Il faut le concéder : on en attendait sans doute plus, car étonnamment, le soufflé retombe quelque peu en fin de volume. La trame, pourtant si prometteuse sur le premier épisode, se retrouve en effet par trop attachée à une dimension familiale qui cadre assez mal avec l’envergure initiale du « plot ». En revanche, les derniers mots de la dernière case – que nous ne vous spoilerons pas, bien entendu – renvoient brillamment à l’angoisse permanente dans laquelle l’Occident a plongé depuis le 11 septembre 2001. Une anxiété qui ne disparaitra probablement plus jamais et les auteurs ont l’intelligence de le souligner. Ces événements ont indéniablement marqué un tournant et cette mini-série en est la preuve en illustration, tout comme la série « 24 » peut l’être sur le petit écran. D’autres cerveaux, ailleurs, seraient-ils donc en train d’élaborer pire complot ? Sans être la bande dessinée la plus consistante, ce « Scénario catastrophe » a le mérite de mettre en scène la course d’un homme moderne, bien autodestructeur comme il faut, face à l’urgence d’un monde globalisé et surarmé. A voté.
[Nicolas Lambret]« Scénario catastrophe », par Mark Sable (scenario) et Julian Totino Tedesco (dessin), Editions Delcourt, Coll. Contrebande, avril 2011, 130 p.
Carrément, ça donne envie (malgré le bémol sur la fin, mais c’est quelque chose que je retrouve malheureusement dans de nombreux arcs de comics). C’est en un seul tome ou c’est une série ?
Un seul tome.