L’aventure reprend exactement là où nous l’avions laissée, à la seconde près. « Tony » le Plutonien est aux prises avec Charybde, son ancien équipier du Paradigme. Ce dernier lui apprend qu’il est là encore à l’origine de la mort de milliers d’habitants à Jackson : la peste sonique qui avait décimé les populations s’avère en réalité la conséquence directe d’une décision inconséquente prise plusieurs années auparavant par le héros déchu. La destruction de Sky City puis celle de Singapour, les millions de morts qui s’accumulent donc… la page n’est toujours pas tournée, et l’armée américaine décide de faire appel à Orian, un démon jadis vaincu par le Plutonien et expédié dans une dimension parallèle.. En piégeant le Paradigme au grand complet, la vile créature découvrira l’inavouable secret d’un proche du Plutonien… De quoi reprendre l’avantage ? Probablement, d’autant que Modeus, l’ennemi de jadis, semble lui aussi redonner signe de vie, là où personne ne l’attend.
Très clairement, la force d’« Irrecuperable » provient de ses dialogues et de sa crédibilité psychologique. Laissons donc de côté les bagarres relativement prévisibles au regard du colosse en présence. Deux scènes ont particulièrement retenu notre attention : la fuite sur la lune, tout d’abord, puis les retrouvailles avec la première famille adoptive du jeune « Tony ». A travers ces quelques planches, on ressent bien l’immense potentiel de ce personnage, et sa capacité à nous dire combien notre nature humaine peut nous enfler de préjugés, de haine et de non-dits. Pour échapper à la meute des reproches, pour oublier son incapacité à satisfaire toutes les attentes des Terriens, le Plutonien choisit, quelques temps durant, de retrouver le silence de l’espace. Là où personne ne lui impute le déraillement d’un train ou l’effondrement d’une grue. Cet immense fossé, cette incompréhension structurelle rejoint complètement le questionnement, voire la froideur du Dr. Manhattan de « Watchmen ».
Parce qu’il parvient à nous faire entrer dans la peau de son personnage, parce que les messages passés sont fins et assez universels, on se doit de saluer le travail de Mark Waid. Maintenant, on perçoit toutefois le tiraillement du scénariste tout au long de ces 6 épisodes : faut-il que le Plutonien rentre dans le rang et trouve enfin l’apaisement ? Faut-il, au contraire, le pousser encore un peu plus dans la cruauté et la vengeance ? Au terme de ce volume, ce choix relativement binaire n’est pas tranché. Mais ce statu quo pourrait n’être que le calme avant la tempête. A suivre dans le troisième tome, donc. On reprochera, en revanche, l’absence de véritable « sparring-partner » à la hauteur de l’antihéros. Car on a beau chercher, les anciens membres du Paradigme n’ont ni le look ni la personnalité de personnages de premier plan. Même Cary fait relativement pâle figure face au Plutonien. Vivement donc que Modeus apparaisse, qu’on sache enfin si la série tient bien sur ses deux jambes à ce niveau.
Côté dessins, pas de surprise – bonne ou mauvaise –, ce qui est déjà très satisfaisant compte tenu de l’excellente copie rendue par Peter Krause lors des 6 premiers épisodes. En bonus, l’album intègre un « Irredeemable Special » # 1 signé Howard Chaykin, géant du comic-book, très connu en France pour ses épisodes de « Star Wars » (publiés dans « Titans », chez Lug). Nous reviendrons d’ailleurs prochainement sur son excellent « Black Kiss », polar érotique réservé à un public très averti.. Dans « Irrecupérable », c’est donc un sans faute en ce qui concerne l’esthétique.
En définitive, faire machine arrière et renvoyer, dès le septième épisode, son héros du côté des « good guys » aurait probablement été la facilité. Avec cette deuxième salve, Mark Waid nous apporte donc la meilleure nouvelle qui soit : « Irredeemable » est bel et bien une vraie série, conçue pour durer. La contrepartie, c’est ce sentiment de suspension dans l’air ressenti lors de la lecture. La trame avance assez peu finalement, mais le plaisir est quant à lui bien présent. Nous posons alors la même question que le Plutonien : que demande le peuple ?
[Nicolas Lambret]« Irrécupérable T2. Trahison », par Mark Waid (scénario), Peter Krause et Howard Chaykin (dessin), Editions Delcourt, Coll. Contrebande, février 2011, 120 p.
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