Trade Paper Box #43: Irrécupérable T2: Trahison

[FRENCH] Nul besoin de presser « fast forward », finalement, car tout vient à point. L’année dernière, nous avions eu le plaisir de découvrir « Irredeemable », ou plutôt « Irrecupérable » dans sa version francophone. Pur produit des Boom ! Studios, la création de Mark Waid nous avait alors séduit par le charisme qui se dégageait de son personnage central, ce Plutonien quasi clone de Superman, mais viscéralement déçu du manque de gratitude constaté chez ceux qu’il avait juré de protéger. C’est donc avec impatience que nous avons pu plonger dans ce deuxième tome, toujours édité chez Delcourt. Six épisodes de plus au cours desquels le pitch initial semble un chouia à la peine, comme en manque de twists scénaristiques capables de faire rebondir un personnage paradoxalement « récupérable ». Envahi par le sentiment de fureur, après la découverte de sa base secrète et alors que personne ne semble en mesure de lui apporter des réponses acceptables, quels peuvent être les choix d’un surhomme toujours en quête de rédemption ?

Un chaos durable

L’aventure reprend exactement là où nous l’avions laissée, à la seconde près. « Tony » le Plutonien est aux prises avec Charybde, son ancien équipier du Paradigme. Ce dernier lui apprend qu’il est là encore à l’origine de la mort de milliers d’habitants à Jackson : la peste sonique qui avait décimé les populations s’avère en réalité la conséquence directe d’une décision inconséquente prise plusieurs années auparavant par le héros déchu. La destruction de Sky City puis celle de Singapour, les millions de morts qui s’accumulent donc… la page n’est toujours pas tournée, et l’armée américaine décide de faire appel à Orian, un démon jadis vaincu par le Plutonien et expédié dans une dimension parallèle.. En piégeant le Paradigme au grand complet, la vile créature découvrira l’inavouable secret d’un proche du Plutonien… De quoi reprendre l’avantage ? Probablement, d’autant que Modeus, l’ennemi de jadis, semble lui aussi redonner signe de vie, là où personne ne l’attend.

« The pen is mightier than the sword »

Très clairement, la force d’« Irrecuperable » provient de ses dialogues et de sa crédibilité psychologique. Laissons donc de côté les bagarres relativement prévisibles au regard du colosse en présence. Deux scènes ont particulièrement retenu notre attention : la fuite sur la lune, tout d’abord, puis les retrouvailles avec la première famille adoptive du jeune « Tony ». A travers ces quelques planches, on ressent bien l’immense potentiel de ce personnage, et sa capacité à nous dire combien notre nature humaine peut nous enfler de préjugés, de haine et de non-dits. Pour échapper à la meute des reproches, pour oublier son incapacité à satisfaire toutes les attentes des Terriens, le Plutonien choisit, quelques temps durant, de retrouver le silence de l’espace. Là où personne ne lui impute le déraillement d’un train ou l’effondrement d’une grue. Cet immense fossé, cette incompréhension structurelle rejoint complètement le questionnement, voire la froideur du Dr. Manhattan de « Watchmen ».

De la même manière, on comprend, à travers la jeunesse du personnage, que cet être hors norme souhaitait simplement être aimé et vivre « comme les autres ». Conscient du décalage, et pour anticiper les éventuelles méfiances de ses nouveaux parents terriens, il avait très tôt eu l’intelligence d’adapter son comportement, tentant ainsi de se fondre le plus possible dans la masse. Comme un petit gars « normal »… Pas de pot, il n’y avait à faire. Ses parents se méfièrent de lui, progressivement, sournoisement, et sans aucune raison valable. Une nouvelle fois, la nature humaine avait parlé. On repense alors au tome 1, lorsque l’identité du surhomme avait été sciemment et gratuitement révélée sur à l’antenne d’une grande radio de Sky City.

Parce qu’il parvient à nous faire entrer dans la peau de son personnage, parce que les messages passés sont fins et assez universels, on se doit de saluer le travail de Mark Waid. Maintenant, on perçoit toutefois le tiraillement du scénariste tout au long de ces 6 épisodes : faut-il que le Plutonien rentre dans le rang et trouve enfin l’apaisement ? Faut-il, au contraire, le pousser encore un peu plus dans la cruauté et la vengeance ? Au terme de ce volume, ce choix relativement binaire n’est pas tranché. Mais ce statu quo pourrait n’être que le calme avant la tempête. A suivre dans le troisième tome, donc. On reprochera, en revanche, l’absence de véritable « sparring-partner » à la hauteur de l’antihéros. Car on a beau chercher, les anciens membres du Paradigme n’ont ni le look ni la personnalité de personnages de premier plan. Même Cary fait relativement pâle figure face au Plutonien. Vivement donc que Modeus apparaisse, qu’on sache enfin si la série tient bien sur ses deux jambes à ce niveau.

Côté dessins, pas de surprise – bonne ou mauvaise –, ce qui est déjà très satisfaisant compte tenu de l’excellente copie rendue par Peter Krause lors des 6 premiers épisodes. En bonus, l’album intègre un « Irredeemable Special » # 1 signé Howard Chaykin, géant du comic-book, très connu en France pour ses épisodes de « Star Wars » (publiés dans « Titans », chez Lug). Nous reviendrons d’ailleurs prochainement sur son excellent « Black Kiss », polar érotique réservé à un public très averti.. Dans « Irrecupérable », c’est donc un sans faute en ce qui concerne l’esthétique.

Vers un « Superman Noir » ?

En définitive, faire machine arrière et renvoyer, dès le septième épisode, son héros du côté des « good guys » aurait probablement été la facilité. Avec cette deuxième salve, Mark Waid nous apporte donc la meilleure nouvelle qui soit : « Irredeemable » est bel et bien une vraie série, conçue pour durer. La contrepartie, c’est ce sentiment de suspension dans l’air ressenti lors de la lecture. La trame avance assez peu finalement, mais le plaisir est quant à lui bien présent. Nous posons alors la même question que le Plutonien : que demande le peuple ?

[Nicolas Lambret]

« Irrécupérable T2. Trahison », par Mark Waid (scénario), Peter Krause et Howard Chaykin (dessin), Editions Delcourt, Coll. Contrebande, février 2011, 120 p.

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