Le Plutonien, héros adulé, icône pop lorgnant très fort du côté de Superman, est devenu en l’espace de quelques mois un meurtrier cynique, bouffi d’amertume… et synonyme de mort pour beaucoup. Quels événements – imaginons-les tragiques, d’emblée – ont bien pu conduire ce parangon de bonté, ce surhomme en quête de justice, à devenir une bête capable d’exterminer un enfant, un quartier, une ville, par un seul regard incandescent ? Lui est persuadé d’avoir été trahi, haï en secret, lâché par ceux qu’il servait. A présent, il s’est précipité dans une quête de vengeance, une soif de sang qui semble le mener droit vers le génocide et la tyrannie. Ses anciens partenaires du Paradigme, sorte de Vengeurs alternatifs, commencent à s’inquiéter pour leur avenir immédiat avec les premières expéditions punitives affectant des membres du groupe. Pour les alliés de jadis, une opposition devra être constituée pour qu’un espoir de survie – même mince – puisse être entretenu. Pour le lecteur, l’enjeu sera de découvrir ce qui, dans leur passé commun, dans des relations toutes humaines, peut contribuer à expliquer ce déchaînement de violence.
Les comparaisons sont souvent hâtives, notamment lorsqu’on associe – cela devient une habitude – « Watchmen » à tout ce qui peut être lu à travers le prisme d’un réalisme désabusé. Il convient là encore d’éviter cet écueil. Mise en scène par Mark Waid (« Kingdom Come », « Empire » avec Barry Kiston – ici présent comme cover guest…) et Peter Krause (« Captain Marvel », « Superman »), cette descente aux enfers s’avère des plus intéressantes. Articulé autour de scènes fortes, elles-mêmes amenées sous forme de souvenirs partagés, le scénario comporte des choix culottés, et dont on peut penser qu’ils auraient été retoqués par beaucoup d’éditeurs. Boom ! Studios, maison fondée par des anciens de chez Malibu Comics, a pris des risques tout en restant dans un registre acceptable. Côté réalisation graphique, la copie de Krause se prête complètement au sujet abordé : son style soutien, quand il le faut, la première vie « parfaite » du Plutonien, mais sait aussi commuter vers des traits plus durs, et un encrage plus sombre lorsque les événements l’imposent. Quant au le look dark du héros déchu, il est tout en « classitude ».
Cet « Irredeemable » répond incontestablement à l’air du temps. L’idée de transcendance et la foi ayant relativement décliné en Occident, les auteurs de comics contemporains aiment jouer avec ce constat en manipulant les icônes super-héroïques, en les plongeant dans la petite mesquinerie qui nous guette tous et qui peut engendrer de lourdes conséquences, super-pouvoirs ou non. Les « grands » aussi peuvent se louper, développer des instincts animaux, et pourquoi pas y trouver une forme de compensation à leur isolement psychologique. Ce choix scénaristique somme toute logique, s’inscrit dans la continuité des précédentes œuvres de Waid, et prolongent également un lien immatériel passant notamment par « Identity Crisis », et « Cla$$war » sur ces dernières années. L’analyse du « gris » est tellement plus difficile, mais aussi tellement plus fracassante…
On plonge donc dans ce TPB avec curiosité, et ce sans même avoir connu ces personnages au faîte de leur gloire, ce qui en assez peu de pages devient une prouesse ! Ces 6 épisodes intriguent, n’apportent certes pas toutes les réponses puisque d’autre tomes suivront, mais ils suffisent amplement pour qu’on ait envie de presser « fast forward » jusqu’à la parution de la suite. Comme lorsqu’on attendait entre deux saisons de « Lost »…
[Nicolas Lambret]« Irrécupérable – 1. Sans retour », par Mark Waid (scénario) et Peter Krause (dessin), Delcourt, Coll. Contrebande, avril 2010, 150 p
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