Trade Paper Box #86: Mon ami Dahmer
31 mars 2013[FRENCH] En 1991 Derf Backderf reçoit un appel d’un collègue journaliste qui l’informe qu’un de ses anciens camarades de collège et de lycée vient d’être arrêté pour les meurtres de dix-sept hommes. Il a décidé plus tard de raconter la jeunesse qu’il a partiellement partagé avec celui que l’on surnomme « le Cannibale de Milwaukee » L’ouvrage est paru en février chez Çà et Là.
Jeff un « ami » pas tout à fait comme les autres…
Jeffrey Dahmer a été jugé et condamné à la prison à perpétuité cette même année pour le meurtre de dix-sept jeunes hommes. Il fût ensuite battu à mort par un codétenu en 1994. C’est alors que son ancien camarade a commencé à rassembler des pièces et des témoignages afin de raconter le parcours et la jeunesse pas tout à fait typique de son camarade de promotion. Dans les années 1970 à Richfield en Ohio, Jeff Dahmer passe une adolescence partiellement solitaire dans l’environnement familial compliqué d’un foyer qui se déchire. Livré à lui même la plupart du temps, il est submergé dès son adolescence par des pulsions sexuelles morbides. Il intériorise la chose, n’en parle a personne, tente de les combattre, de les faire taire et tombe rapidement dans une grosse dépendance à l’alcool puis à la drogue. Mais ses pulsions finissent par le consumer et à l’âge de dix-huit et pour la première d’une longue série, il ramasse un auto-stoppeur pour assouvir ses pulsions morbides et exercer enfin son « contrôle totale ».
Une seule réalité dans des mondes parallèles
L’auteur rapporte ses souvenirs et ceux de son entourage sur les années de vie qu’il a partagé de près ou de loin avec le futur meurtrier. La démarche de l’auteur ne semble en rien être d’humaniser ou au contraire de désincarner le tueur en série ni même d’ailleurs de lui donner quelques circonstances atténuantes. L’auteur parvient fort habilement a présenter un récit de vie en privilégiant la pudeur de la représentation, alliée à la dimension crue des comportements de l’adolescent. Le plus poignant est la façon dont Backderf réussi à mettre en perspective son propre destin et celui de son camarade. L’insouciance et la prééminence de l’entourage de l’auteur tranche assez violemment avec la réalité de la vie de solitude de Jeff Dahmer. Les pleines pages où le jeune homme est présenté seul dans sa déchéance comportent une dimension visuelle vraiment marquante. Ces plans serrés donnent une impression de contention et d’étouffement qui paraît très en accord avec l’état psychique du jeune homme. Outre le fait d’être très cinématographique, le style comic stip de l’auteur sert admirablement le propos. Et permet aussi à l’ensemble de ne pas plonger tout à fait dans le sordide. Il présente aussi la spirale de mensonge et la dissimulation dans lesquels est progressivement tombé l’étrange adolescent.
Un ouvrage expiatoire ?
Backderf démontre comment finalement la fin de l’année de terminale a dû être charnière et traumatisante pour le jeune homme, ce qui fut certainement l’un des facteurs déclencheurs de son passage à l’acte. Pour l’auteur il semble que le fait de raconter cette histoire de façon très précise et très documenté a une visée presque thérapeutique. On y trouve de nombreux commentaires en voix-off qui sonnent comme une sorte d’introspection alors qu’il énumère les signes précurseurs de déviance. Il déplore que personne, et surtout les adultes à l’époque (ses parents, le personnel éducatif) mais même lui et ses amis inconscients, n’ai rien remarqué ou ai juste choisi d’ignorer ou de ne pas intervenir sur les comportements déviants et inquiétant de Dahmer. Il rapporte aussi avec une certaine incompréhension ces moments où il aurait pu être découvert et stoppé, des actes manqués qui aurait pu changer bien des destins. A noter aussi une courte préface du criminologue Stéphane Bourgoin.
[Anne-Sophie Peyret]
Mon ami Dahmer, par Derf Backderf (scénario et dessin), Çà et Là, février 2013, 224 p.