Oldies But Goodies: Adventure Comics #76 (Juil. 1942)

[FRENCH] La fin du monde est proche ! Heureusement, mis au courant par un cauchemar prophétique, un certain Noah entreprend de sauver toutes les races d’animaux en utilisant une grande arche. Une histoire un brin familière ? C’est certain. Mais quand ces mêmes animaux se mettent à attaquer des banques, le revolver au bout des pattes, le Sandman et son fidèle Sandy ne peuvent que se mêler de cette intrigue si particulière qu’elle se réincarnera des années plus tard sous une autre forme chez Marvel…

Après être partis de chez Timely Comics où ils produisaient les aventures du patriote masqué Captain America, Joe Simon et Jack Kirby prirent la route de DC où ils s’investirent immédiatement sur trois concepts qui, quand on prend le temps de les comparer, ressemblent un peu à un Captain America qui aurait éclaté en trois morceaux distincts. Tandis que le Manhunter était un héros vêtu de rouge et de bleu (inversez les couleurs et vous obtenez en gros le costume de Captain America sans les motifs patriotiques) le Guardian représentait le héros porteur de bouclier dans les aventures de la Newsboy Legion. Quand au Sandman, il avait un jeune sidekick, Sandy, qui évoquait les mêmes relations que celles qu’on trouvait entre Captain America et Bucky. Joe Simon et Jack Kirby continuaient de faire Captain America autant que possible mais sans qu’on puisse les accuser de quoi que ce soit. En fait c’est quand même un peu plus compliqué que cela puisque le Sandman (le « Marchand de Sable ») avait fait la connaissance de Sandy quelques mois avant l’arrivée des deux auteurs.

Car si le Sandman originel et Sandy trouvèrent leur vitesse de croisière le jour où Joe Simon et Jack Kirby prirent possession de la série, c’est surtout parce qu’ils changèrent le cadre des intrigues. Au début de sa carrière le Sandman était un justicier digne des pulps, portant un costume de ville, un chapeau et un masque à gaz (il se servait d’un pistolet spécial pour endormir ses victimes via des vapeurs somnifères). Visiblement les têtes pensants de DC Comics trouvaient néanmoins que le héros n’était pas assez ludique, peut-être un peu trop mystérieux pour le lectorat de l’époque (bien plus jeune que celui des pulps). Dans Aventure Comics #69 (décembre 1941), écrit par Mort Weisinger et dessiné par Paul Norris, le Sandman avait eu droit à un premier lifting, de manière à le rapprocher du bien plus populaire Batman. Désormais le Sandman aurait un costume jaune et violet ainsi qu’une cape (remplacez les parties jaunes par du gris dans cette version du costume et vous obtiendrez quelque chose de très proche de l’uniforme de Batman, il ne manque guère que les oreillettes surmontant la capuche). Et puis, de la même manière que Batman avait Robin, Aventure Comics #69 apportait également au Sandman ce jeune faire-valoir connu sous le nom de Sandy le Golden Boy (lui aussi pourvu d’une cape au début), là où Robin se faisait surnommer le Boy Wonder. Bref, Weisinger et Norris avaient « batmanisé » le Sandman du mieux qu’il pouvait. D’ailleurs il est assez intéressant de noter qu’en faisant ceci ils avaient considérablement rapproché Sandman d’une autre copie de Batman, le Hangman, publié chez MLJ (futur Archie Comics). En prime MLJ publiait également les aventures d’un héros nommé Black Hood, vétu de bleu foncé et de jaune, qui avait pratiquement un costume identique à la nouvelle allure du Sandman. Bref, une nouvelle fois l’adage « rien ne se perd, tout se transforme » était de mise.

Souvent les chroniqueurs de Simon & Kirby expliquent que le ton Batmanien n’ayant pas eu le succès escompté, DC préféra remplacer l’équipe créative et confier le concept aux deux nouveaux arrivants. J’en doute un peu car, vu les délais de production, quand Adventure Comics #72 (celui à partir duquel Simon & Kirby prennent les commandes) commença à être conçu, la nouvelle formule de Sandman par Weisinger et Norris n’avait sans doute connu qu’un ou deux épisodes publiés. Il parait difficile de croire que l’éditeur disposait d’assez de recul pour savoir si cela marchait ou pas. Bien plus probablement DC avait conscience du niveau de reconnaissance de Simon & Kirby. Comprenez par là non seulement leur notoriété pour avoir créé Captain America mais aussi le fait que leur style était hautement reconnaissable. On pouvait difficilement les confondre avec Siegel et Shuster sur Superman ou encore Bob Kane et son studio sur Batman. De plus le système DC de l’époque voulait qu’il y ait des « baronnies » (au moins en apparence). C’est-à-dire qu’il était exclu de débarquer soudainement l’auteur d’une série à succès. Tout au plus s’il montrait des signes de faiblesse on lui ajoutait un assistant qui, à la longue, devenait de plus en plus présent. Globalement, en 1942, il semblait donc exclu que Batman, Superman ou Wonder Woman soient vraiment confiés à Simon & Kirby. Il leur restait donc deux axes possibles : soit la création de strips originaux (ce fut le cas avec les Boy Commandos et la Newsboy Legion), soit la possibilité de reprendre des personnages qui vivotaient ou qui avaient déjà changé plusieurs fois d’équipes créatives. Tout pour le Manhunter (repris au même moment par Simon & Kirby), le Sandman avait changé d’approche et d’auteurs. Les habitudes n’y étaient pas aussi fortes. Le duo d’auteurs pourraient s’exprimer sans se retenir…

Le costume jaune et violet et Sandy dataient de quelques mois avant eux, Simon & Kirby conservèrent ces éléments tout en les adaptant à leur manière de faire. Comme écrit dans les lignes précédentes, Sandman et Sandy avaient été « Batmanisés ». Sous les crayons du scénariste et de l’artiste, les deux héros, perdant leurs capes, se rapprocheraient désormais beaucoup plus du moule de Captain America. Avec une différence de taille, cependant… Épisode après épisode les auteurs allaient souligner l’importance du rêve comme élément de l’histoire. Jusque-là le Sandman avait surtout été un justicier endormant ses adversaires grâce à son gaz. Désormais le monde du rêve et de l’esprit allait régulièrement être cité dans ses aventures…

Pour preuve, cet épisode paru dans Adventure Comics #76 (juillet 1942) qui commence par une scène cauchemardesque. Les animaux quittent la Terre pour aller se réfugier dans une grande arche tandis que Sandman et Sandy surveillent deux animaux (un gorille et un tigre) en train d’amasser un butin fait de billets de banque. Et les deux bestioles sont armées de mitraillettes. Ce n’est que l’introduction mais l’histoire commence réellement quand un homme nommé Noah (« Noah » étant l’équivalent de Noé)Barton est dérangé dans son sommeil par une apparition : Une sorte de squelette vert drapé dans une bure de moine. Et cette créature fugace est par elle-même intéressante car elle ressemble beaucoup au Doctor Crime. Le Doctor Crime, c’est une sorte de pale copie du Red Skull qu’Otto Binder et Al Avison (les remplaçants de Simon & Kirby sur Captain America) avaient créés dans Captain America Comics #12, daté de mars 1942. Comme l’apparition d’Adventure Comics #76, le Doctor Crime s’habillait dans une bure et avait pour visage un crâne vert. Bien sûr il peut tout à fait s’agir d’un hasard (Kirby et Avison peuvent s’être séparément inspirés des représentations traditionnelles de la Mort par exemple) mais le fait que Captain America Comics #12 soit paru à peu près au moment où Simon & Kirby travaillaient sur cette histoire, alors qu’ils avaient fraîchement perdu le contrôle de leur Captain, est au mieux une coïncidence intéressante. Ou bien un pied de nez ?

Pour en revenir au rêve de Noah Barton, l’apparition prédit à l’homme la proche fin de l’humanité. La meilleure preuve en est la guerre (comprenez : la seconde guerre mondiale). Barton est promené par le spectre à travers diverses scènes de destruction guerrière. La créature au crâne vert précise néanmoins à Barton qu’il peut encore se sauver et… C’est le moment où Barton se réveille en tombant de son lit. Tout ça n’était qu’un rêve… Un rêve horrible, une histoire de fin du monde qui donne néanmoins un idée à l’homme. Le lendemain Noah Barton se rend dans une librairie et emprunte le premier livre qu’il peut concernant le mythe de son homonyme, Noé. Se plongeant dans l’ouvrage, il murmure alors : « Hum… Je vois une manière de faire de l’argent à partir de mon dérangeant petit rêve ! ». La semaine suivante, Noah Barton s’installe dans une rue de New York et s’improvise prophète. Il prédit aux passants que la fin du monde est proche, que les villes seront bientôt détruites par le feu puis qu’un grand déluge viendra emporter les restes de l’humanité. Tout ça, bien sûr, déclenche l’hilarité générale. Les gens se moquent de lui. Et pourtant peu de temps plus tard Noah Barton présente à la presse son arche. Intrigués, les journalistes questionnent l’illuminé. Pour quand prévoit-il le déluge ? Et est-il vrai que les animaux de son arche parlent ? Barton rétorque que puisqu’il sera seul dans son voyage il a été décrété (sans doute par une puissance supérieure non mentionnée) que ses animaux pourraient parler afin de lui tenir compagnie dans le monde à venir.

Non loin de là Wesley Dodds (Sandman) et le petit Sandy Hawkins (vu son prénom je vous laisse deviner son identité de super-héros) assistent à la conférence de presse. Sandy est hilare en entendant parler d’animaux qui parlent, le prenant pour un fou. Wesley est moins catégorique : «  S’il est sain d’esprit, je suis sûr qu’il fait usage de la nouvelle psychologie ! Faîtes les rire… Gardez-les dans l’ignorance ! Et puis sortez votre sale petit plan et frappez les avant qu’ils retrouvent leurs sens… Adolf Hitler a déjà fait beaucoup de choses avec cette philosophie. Cet oiseau mériterait qu’on le surveille ! ». Très vite on nous explique que les nouvelles de la guerre éclipsent les échos du prophète fou, qui est rapidement oublié. Une semaine plus tard, une voiture s’arrête  auprès d’un policier et le conducteur demande son chemin. Par réflexe, l’agent répond mais très vite ce dernier s’aperçoit que la voiture qui s’éloigne était conduite… par un gorille et qu’à ses côtés se tenaient un énorme oiseau ainsi qu’un tigre tenant une mitraillette. Et il vient de leur indiquer le chemin de la banque !

Très vite on retrouve les trois animaux en train d’attaquer la banque, en parlant en argot. Le vautour, le tigre et le gorille arrivent à s’enfuir avec un important magot… Non loin de là, Wesley Dodds et son jeune ami tombent sur le policier Casey qui leur jure avoir vu une voiture bourrée d’animaux parlant. Là encore Sandy est incrédule mais la réaction de Dodds est toute autre : « Je connais Casey depuis des années ! S’il dit avoir vu un gorille qui parlait et qui conduisait une voiture alors c’est qu’il a vu un gorille faire toutes ces choses ! ».

Et très vite le duo passe l’uniforme de super-héros pour mieux mener l’enquête et s’élance grâce à des pistolets bien spéciaux. Lors de ses premières apparitions, le pistolet du Sandman ne servait qu’à tirer des balles spéciales contenant un gaz somnifère. En 1942 cette arme avait grandement évolué et servait de lance-grappin motorisé baptisé le « wirepoon gun ». Sandman et Sandy, chacun équipé de ce gadget, tiraient dans la paroi d’un immeuble éloigné. Le projectile, moitié harpon et moitié treuille, se fichait dans le mur et les remorquait jusqu’à l’endroit visé. Autrement dit, le moyen de déplacement du duo est une sorte de version motorisée de la toile de Spider-Man. Très vite, les deux héros arrivent donc devant la banque, juste à temps pour voir les trois animaux remonter dans leur voiture. Bien sûr, Sandman et Sandy s’interposent. Mais si Sandy décoche un coup de poing suffisant pour assommer le tigre, Sandman a fort à faire pour essayer d’arriver à bout de la force du gorille. C’est l’oiseau qui sonne la fin du combat en annonçant l’arrivée des forces de police… Tandis que le gorille regrette de ne pas pouvoir rester pour achever le Sandman, les trois animaux s’enfuient alors dans leur véhicule.

Contrairement à l’agent Casey, le reste de la police n’a pas vu la gueule des gangsters. Quand Sandman et Sandy reprennent leurs esprits et racontent leur histoire d’animaux parlants, les policiers pensent que les deux héros sont choqués et qu’ils délirent. Le Sandman affirme au contraire très bien savoir ce qu’il raconte. Au point qu’il se doute (comme la plupart des lecteurs, j’imagine) même de l’endroit où il pourra retrouver ces animaux parlants. Sandman et Sandy sautent dans la Sandcar (cette pseudo-Batmobile est sans doute un reliquat de l’époque où DC voulait transformer Sandman en pseudo-Batman) et prennent la direction de l’arche de Noah Barton. Malheureusement pour eux, Noah, grâce à une lunette télescopique, les voit s’approcher.

Quand Sandman et Sandy pénètrent dans le grand bateau, ils sont donc rapidement faits prisonniers. Aux mains de Noah, ils peuvent donc voir les animaux qui ont cambriolé la banque enlever… leurs déguisements. Car il ne s’agit que de simples gangsters qui se font passer pour des bêtes sauvages. D’accord pour celui qui se déguise en gorille mais quid des deux autres complices, le tigre et le vautour, qui doivent imiter des articulations différentes de celles des humains ? Et comment quelqu’un pourrait-il vraiment confondre un vautour avec un être de taille humaine ? Le script s’assoit sur ces questions. Noah explique même qu’il a pris grand soin d’abriter dans son arche de vrais animaux de manière à maintenir la confusion entre ses hommes et de vraies bêtes.

Le sort de Sandman et de Sandy, ligotés, paraît bien sombre. Peut-être même seront ils livrés en pâture aux bestioles abritées dans cet étrange zoo. Mais Noah, dans sa précipitation de réunir des espèces différentes, n’a pas pris garde aux animaux qu’il réunissait et dans quel ordre. Dans les entrailles de l’arche, les différents animaux enfermés dans les enclos s’énervent les uns les autres et certains des plus puissants ont vite fait de briser les portes qui les enferment. C’est bientôt la panique, avec des bêtes féroces qui envahissent les couloirs. Réalisant le problème, Noah et ses hommes tentent de s’enfuir mais ils sont piétinés et tués par la horde sauvage tandis que Sandman et Sandy, eux, arrivent à s’abriter. Le lendemain, les deux héros peuvent donc s’éveiller avec la satisfaction du travail effectué et la sensation que justice est faite, cette scène d’éveil faisant écho au cauchemar de Noah en début d’épisode.

Bien que les deux histoires soient totalement différence, il est difficile de lire cet Adventure Comics  #76 sans faire le rapprochement avec un épisode beaucoup plus tardif du Daredevil de Marvel. C’est en 1965, dans Daredevil vol.1 #10 que les lecteurs font la connaissance des Ani-Men, un gang de criminels se déguisant vaguement en animaux. La grosse différence est que là où les hommes de Noah se font réellement passer pour un gorille, un vautour et un tigre, les quatre Ani-Men assument le fait qu’ils sont des personnages costumés (comme Batman ou Spider-Man). Mais quand même, la composition des deux gangs comporte un certain nombre de points communs. Les Ani-Men sont formés par un homme-gorille, un homme-oiseau, un homme-chat et un homme-grenouille. Retirez l’homme-grenouille et les Ani-Men de 1965 ressemblent assez à une version 2.0 des adversaires du Sandman de 1942. A plus forte raison puisqu’après avoir débuté comme un quatuor le gorille, l’oiseau et le chat fonctionneront un temps sans l’homme-grenouille sous la forme d’un groupe nommé le Unholy Trio. Au delà du fait qu’en 1965 Jack Kirby (le co-créateur de l’histoire d’Adventure Comics) travaillait pour Marvel et y avait l’équivalent d’une position de directeur artistique, il est difficile d’affirmer qu’il existe une filiation formelle entre la création des hommes-animaux d’Adventure Comics et les Ani-Men de Marvel. La coïncidence, si c’en est une, est cependant intéressante…

[Xavier Fournier]
Comic Box

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