Ce mercredi paraît chez ComixBuro une histoire qui ne peut qu’intéresser les vrais fans de comics. L’histoire d’une rencontre qui n’en est pas une, disons plutôt d’une confrontation où les protagonistes ne font que s’entrecroiser. Fredric, c’est Wertham, le psy qui a livré une guerre sans merci aux comics américains. William, c’est Marston, l’un de ceux qui ont contribué à l’invention du détecteur de mensonge. Mais c’est aussi Moulton, le créateur de l’Amazone. Autrement dit de Wonder Woman elle-même. Deux hommes décrits par Jean-Marc Lainé et Thierry Olivier.
Scénario de Jean-Marc Lainé
Dessine de Thierry Olivier
Sorti en France le 15 janvier 2020
Réunir Fredric Wertham et William Moulton-Marston dans une même BD, on pourrait croire que c’est un peu enfoncer des portes ouvertes. Les deux hommes sont sans doute les deux psys les plus connus de l’histoire des comics. L’un pour en avoir été l’adversaire, l’autre pour y avoir participé de façon déterminante. L’envie serait forte de les voir réunis dans une même pièce, pour entendre ce que ces deux-là auraient bien pu se dire. Mais ce n’est pas la voie suivie par Jean-Marc Lainé et Thierry Olivier. Eux opposent, dans un travail très documenté (mais pédagogique) deux fantasmes (au sens large du terme), deux forces primaires. Il y a d’un côté la peur et de l’autre l’envie. La force de l’album étant de ne pas réellement accabler l’un (même si on aurait du mal à prétendre que Wertham sort grandi de l’album) pour mieux glorifier l’autre. Wertham vit dans l’effroi, c’est certain, mais le scénario rappelle qu’intervenant sur divers cas de serial-killers, Wertham avait des raisons de perdre pied. D’ailleurs ces scènes se rapprochent du Watchmen d’Alan Moore et de Dave Gibbons, outre quelques allusions dans les kiosques, il y a un peu de Rorschach dans le Wertham de Lainé confronté à l’horreur.
A l’inverse, pour en être l’initiateur de Wonder Woman et une influence progressiste dans les comics, Marston n’en est pas pour autant un ange. C’est aussi une sorte de pervers narcissique faisant avaler des couleuvres à sa famille (ses familles pourrait-on dire). Aux dessins, Thierry Olivier, dont on connait la fascination pour les comics d’horreur façon EC, prenant un style au demeurant beaucoup plus sage (sauf quand, justement on mentionne les comics d’horreur) et pourtant déviant à sa manière. Les sourires sont figés, comme pour souligner ces sourires de circonstances dans une industrie présentée comme « comique » mais dont les coulisses cachent parfois un mépris effarant pour les auteurs et leur famille. L’artiste lui-aussi ne rechigne pas devant le clin d’œil, allant chercher ici où là une pose célèbre d’un Daredevil. Le procédé est efficace. Il transforme ce documentaire dessiné en lui donnant la dimension fantasmagorique (les fantasmes, rappelez-vous…) qui lui convient. La chose se retrouve dans un album principalement en tons grisés (avec un gros travail de documentation visuelle pour faire revivre l’Amérique des années 30-50) qui cède la place à des cases en couleurs quand on voit ce qui remue les méninges des deux hommes. On comprend tout ce qui sépare ces deux figures, avant même d’en arriver aux comics. Car c’est le nœud de l’histoire. Déjà, à la base, ce sont deux visions du monde qui s’opposent. L’amazone Wonder Woman n’est pas présente en tant que telle mais elle est partout, un peu comme si on rentrait dans l’arrière-boutique de sa création. Hélas, le face-à-face à distance est écourté par la mort de Marston. Ou peut-être que cette sensation est la meilleure preuve que l’album a rempli son rôle et qu’on quitte les protagonistes à regret. Cette histoire est comme une parabole du Golden Age, où l’on croise aussi bien les filous aux airs respectables qui hantaient les bureaux de DC/National Publications que le directeur du FBI. Elle s’achève d’une façon où l’on se dit qu’il serait bien agréable de voir deux ou trois autres tomes qui viendraient évoquer les décennies suivantes des comics, à coup de rencontre/non-rencontre entre d’autres grandes figures. Ditko vs. Steinberg pour le Silver Age ? Miller vs. Moore pour le Modern Age ? Pour peu que les deux auteurs en aient l’envie, Il y aurait de quoi faire…
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