C’est la lutte finale, en tout cas la conclusion de Man of Steel. Superman est tiraillé sur deux plans, deux époques. D’un côté il y a la menace immédiate, le destructeur déclaré de Krypton qui veut maintenant s’en prendre à la Terre. Par ailleurs il y a l’explosion de la famille de Clark Kent. Brian Michael Bendis termine ici ce qui est sa déclaration d’intention pour son run à venir sur la série Superman, en utilisant des raccourcis plus ou moins adroits.
Scénario de Brian Michael Bendis
Dessins de Jason Fabok
Parution aux USA le mercredi 4 juillet 2018
Brian Michael Bendis écrit… comme Brian Michael Bendis. Ce n’est pas un scoop, c’était palpable depuis le premier épisode de Man of Steel et c’est naturel. Vous n’embauchez pas un auteur pour qu’il se renie et qu’il aille contre sa nature. Fidèle à ses habitudes Bendis termine donc cette mini-série d’une manière qui est loin d’être définitive. Il aime les fins qui débouchent sur l’arc suivant, c’est certain. Mais ici c’est bien normal. Si Bendis avait dit tout ce qu’il a à dire sur Superman dans ces six épisodes, ce ne serait pas la peine d’envisager un run à venir. L’exercice de Man of Steel est avant tout et surtout de disposer les pions, mettre l’univers de Superman en ordre de bataille, en vue de la série prochaine. En un sens, Bendis en arrive à une fin de combat contre Rogol Zaar qui marque plus l’arrêt que la plupart de ses arcs de Daredevil. Il y a une sorte de passage (au moins temporaire) à la caisse pour l’assassin de Krypton et Kandor. Mais les questions exposées à voix haute nous montrent bien que Superman n’en a pas fini avec Zaar. D’où vient-il ? Pourquoi en veut-il tant aux Kryptoniens ? Qu’en faire ? Sur un autre pan important de Man of Steel, Bendis est plus prompt à poser les questions. On sait, désormais, pourquoi Lois Lane et le petit Jon ont disparu de la vie de Clark. Ce n’est d’ailleurs pas une surprise, l’explication était prévisible depuis l’épisode #2 ou le #3. Avec eux les questions ne portent plus sur les raisons mais sur leur devenir. Ça, c’est ce qu’on pourrait classer dans les bonnes nouvelles, les ébauches de plans qui vont porter leurs fruits dans le titre Superman.
« You’re taking my family from me. »
Mais il y a la manière de s’y prendre et là, pour le coup, c’est un peu comme être en voiture avec un conducteur qui prendrait ses virages de façon trop abrupte. On sent bien que Bendis a décidé de refaire de Superman un être d’exception en diminuant le nombre de recours possibles à des Kryptoniens. Kandor a payé le prix fort pour cela. Mais on voit bien qu’il s’agit également d’éloigner Superboy, Superpépé Jor-El et, d’une manière oblique, d’envoyer Supergirl dans une quête annexe. Beaucoup de décisions de ce dernier épisode semblent arbitraires ou un peu trop soudaine. Zaar, par exemple, à l’air convaincu qu’il suffit de détruire la Terre pour détruire Superman et Supergirl (ce qui ne parait pas certain) tandis qu’il ignore totalement qu’il existe encore un fils (et un grand-père) après ça. La Superfamille qui se laisse convaincre qu’élever Jon dans l’espace c’est encore la meilleure manière de s’assurer qu’il maitriser ses pouvoirs et sa personnalité, c’est un comble quand on se souvient que Superman tient sa compassion de son éducation chez les Kent. Quand on a peur que le fiston vire mal, comment peut-on imaginer deux secondes que l’élever loin de toute humanité (avec un tuteur en plus connu pour mépriser l’héroïsme et les faibles) va donner un bon résultat ? Même avec Lois Lane qui s’en mêle, le raisonnement est bancal (sans parler du fait qu’on serait bien curieux de voir comment elle peut négocier son second projet de livre sans éventer l’identité de son fils et de son mari). Dans le même registre, la manière qu’à Clark de laisser son épouse abandonner son boulot pour se consacrer à leur fils, tandis que lui ne changera rien à sa vie, c’est un peu dépassé. Et rebelote quand Supergirl se trouve une mission loin de tout ça parce qu’en gros « tu comprends c’est tellement mais alors tellement important que tu sois Superman » (alors que la vie de Supergir visiblement vaut pas qu’elle s’y intéresse). Enfin, Superman, avec toutes les ressources qu’à la League (l’accès à des télépathes ou à des boom-tubes), n’est pas foutu de rétablir une communication cruciale. C’est un festival de décisions à moitié assumées, à moitié irréfléchies, sans doute nécessaires pour justifier la suite. Mais Superman passe finalement pour le benêt qui, s’il a bien une moralité, ne va pas au bout de ses responsabilités. Lois et Supergirl assument, tandis que lui, étant Superman, est sans doute appelé à plus important. Bref, on peut reconnaître à Man of Steel certaines mérites, notamment le fait d’installer un nouvel ennemi majeur, quelques nouveaux éléments de la supporting cast et, d’une manière générale, la nouvelle donne. Mais si dans cet ultime sixième épisode, dessiné de façon efficace par Jason Fabok, on a l’impression que Bendis privilégie la mise en place des diverses situations présentes et à venir, au détriment des qualités du personnage, finalement passif pour plusieurs choix pourtant essentiels pour lui. Bendis a certainement une grosse marge de progression en ce qui concerne l’âme du personnage. Ce sera son gros chantier s’il veut convaincre sur la série régulière.
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