C’est une guerre globale qui oppose les différentes familles qui représentent la Magie dans le monde, un peu comme une guerre des gangs où la baguette magique remplace la Kalashnikov (d’ailleurs l’analogie avec les armes à feu est appuyée dans un passage). Bien que The Magic Order ne manque pas d’idées, Mark Millar est d’une certaine manière académique, en tout cas par rapport à ses propres fondamentaux, mais laisse le volant à un Olivier Coipel en grande forme. Et maintenant, pour son prochain tour…
Scénario de Mark Millar
Dessins d’Olivier Coipel
Parution aux USA le mercredi 15 août 2018
The Magic Order continue dans une direction que nous sentions déjà depuis le premier numéro, à savoir une sorte de version magique de Jupiter Legacy, avec le camp des héros divisés en deux générations. Celle des vieux magiciens, responsables, se sait à son crépuscule, moins puissante qu’avant et prête à passer le relais. Celle de la jeunesse a le pouvoir, la vivacité, mais il lui manque la responsabilité, l’âme… Profitant de ce gouffre, le Mal peut frapper, laissant les enfants de la famille Moonstone dans une situation où il va falloir monter en puissance. Ce n’est pas dans la trame ou dans les grandes figures que Mark Millar cherche ici à se renouveler. Disons que la charpente, si l’on fait abstraction du vernis de magie, nous est familière. Mais c’est dans le traitement scène par scène que la personnalité de la série se distingue, par exemple avec cette scène d’ouverture où un pervers surnaturel va se retrouver, littéralement, à tenir la bougie. C’est dans cette surface, finalement commune à l’imaginaire du scénariste et à celui du dessinateur, que l’on serait bien curieux de savoir comment vient l’idée de la scène. C’est en tout cas cette mise-en-scène qui donne à The Magic Order son tanin. Les morts horribles, les assassinats de magiciens, se poursuivent maintenant pour le troisième numéro, avec ce qui pourrait être à force un risque de répétition. Mais chaque scène trouve son âme, son design, sa mise en contexte qui fait qu’elle ne ressemble pas à celle qui a précédé. A chaque mort son piège… C’est d’ailleurs pour ainsi dit énoncé à voix haute, quand Cordelia Moonstone s’exprimant en avatar des auteurs, explique qu’elle choisit une certaine méthode pour « rajouter du drama à tout ça… »
« I want to fuck something legendary and really get my heart rate going. »
Dans ce contexte, ce n’est certainement pas se contenter d’un chauvinisme aveugle que de dire qu’Olivier Coipel donne à ces idées la fluidité qui leur convient. Parce que le résultat est là.Tout est réellement fluide dans The Magic Order. Et ce n’est pas un terme utilisé pour parler du rythme mais bien de la matière avec laquelle le dessinateur habille les corps, les vêtements, les sortilèges. De nos jours l’essentiel des artistes de comics sont pris pas les délais. Dans de nombreuses séries, c’est déjà bien quand on a droit à des silhouettes entières dessinées de manière cohérente. Bien souvent les décors sont abandonnés au coloriste qui en quitte pour balancer une teinte supposée représenter le bêton (cette semaine, jetez – ou plutôt non, ne jetez pas – un coup d’oeil à la nouvelle série « digitale » Luke Cage, c’est une catastrophe sur ce plan-là), comme si c’était un monde de décors de Playmobil. Un rang au-dessus, d’autres dessinateurs plus inspirés prennent le temps et l’effort nécessaire pour intégrer (ou symboliser) les détails, l’environnement, l’ambiance, les angles et remplissent les corps de textures, d’ombres. Olivier Coipel l’a fait sur d’autres séries des Big Two, ce qui lui a valu de ne pas être considéré comme un « monthly artist » mais encore faut-il voir le travail qu’il injecte dans la page. Avec The Magic Order – et c’est manifeste avec ce troisième épisode – il intègre aussi une autre matière, le fluide, le flasque, les corps mous qui constituent aussi bien les ectoplasmes utilisés lors des duels que ce qui constitue les personnages. L’homme-chandelle a une matière. Mais le corps de Madame Albany (démultipliée sur la couverture) en a également une. Puis il y a aussi des choses sans doute moins spectaculaires mais aussi importantes en termes de stratégie visuelle. Les angles de caméra sont rarement à la même hauteur. D’une case à l’autre on ne regarde jamais les choses sous le même angle. On tourne autour de la scène, dans la scène. Même quand un personnage en regarde un autre dans un rétroviseur, la hauteur est importante, elle caractérise l’impression, le sentiment, du protagoniste. Un degré au-dessus ? C’est l’inquiétude. Un degré en dessous ? C’est le regret. La « caméra » suit les émotions. A sa manière, Coipel dégage une mécanique de narration aussi forte (bien que différente) que celle d’un Risso sur 100 Bullets. Ce fluide qui transparait dans les matières ET cette manière fluide de raconter la chose, c’est ce qui donne à The Magic Order tout le caractère nécessaire. Forcément, il n’y a que des fans d’Olivier Coipel, certains apprécient son style, d’autres non. Mais il faudrait quand même se fendre d’un gros trollage pour oser affirmer que l’on voit passer tous les jours des pages si bien remplies et maitrisées. L’ironie de la chose, c’est que pour l’instant, avec tout ce niveau de définition, The Magic Order n’en respecte pas moins un parfait planning mensuel… Magique ?
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