Le crossover Crisis s’achevait cette semaine sur CW. Si, collectivement, les cinq chapitres ont l’avantage de remettre de l’ordre dans les diverses séries et les mondes qui y sont associés, le résultat n’a pas forcément les moyens de ses ambitions et surtout, surtout, en plusieurs endroits, on a comme une impression de déjà-vu. Comment disait l’autre déjà, ah oui… c’était « inévitable ».
C’est le problème (plus ou moins prononcé selon les cas) de la plupart des récits se déroulant dans un univers partagé. Bien souvent « la fin justifie d’être moyen », c’est à dire qu’on se concentre sur les conséquences de la conclusion plus que sur les moyens d’y arriver. Disons-le d’emblée, niveau conséquences, Crisis On Infinite Earths fait le show à plus d’un titre, en réalignant les rapports de la communauté super-héroïque dépeinte par la CW et en reconfigurant le Multivers d’une manière qui ravira les fans de comics. Encore qu’au passage il y ait des choix curieux, comme l’idée que chaque show de la plateforme DC Universe se passe dans sa propre Terre, où l’art de se compliquer la vie. Tout le monde ne survit pas forcément à l’histoire (en tout cas en moins en apparence) et la vie de certains héros est impactée (à peine annoncée, la future série Superman & Lois semble se présenter de manière bien plus « familiale » que prévu). En étant capable de puiser dans toutes ses versions passées (sauf Legends of the Superheroes et la Justice League of America du téléfilm de 1997, deux shows dont DC n’est pas fier), la team Berlanti fait une démonstration de force. Tout, désormais, vient se réinjecter dans ce qui était le Arrowverse. Le message est évident : Au propre comme au figuré, Oliver Queen aura ressuscité les choses. Même le cinéma est appelé à la rescousse et apparait désormais comme une « région » du « Multivers Arrow »…
Si la rencontre « rapide » de Barry avec un certain guest va assurément alimenter les discussions, on gardera l’œil sur une autre, plus intime : l’apparition de Marv Wolfman (scénariste de Crisis dans les comics), avec un large sourire au moment de croiser Supergirl et Flash (ironiquement deux personnages qu’il avait supprimé dans « sa » Crisis). DC/Warner est moins adepte de cet exercice que Marvel/Disney et Wolfman est moins connu. Ce clin d’œil perçu surtout par les lecteurs de comics est donc plutôt à ranger avec Len Wein et Chris Claremont jouant les figurants dans les films X-Men, Starlin dans Endgame ou Kelly Sue DeConnick avec Captain Marvel. Il est réjouissant que ces adaptations (et en l’occurrence Crisis) n’oublient pas d’où ils viennent. Tout cela donne donc les gages nécessaires, d’autant que dans le même temps le public des séries TV en cours n’est pas oublié (rien que le « retour » du monstre poilu dans le dernier épisode s’inscrit dans cette démarche). La narration est cependant un peu déséquilibrée par le break d’un mois entre les trois premières parties et les deux dernières, sachant que la fin enchaine ainsi l’épisode supposé être le plus désespéré et l’épilogue qui cherche à remonter le moral et à montrer qu’ici les super-héros sont optimistes et ne se laissent pas abattre. Le contraste entre les deux épisodes peut surprendre, mais il est sans doute nécessaire. D’autres choix sont moins compréhensibles ou en tout cas moins heureux.
L’un des problèmes majeurs de la phase finale de Crisis, il faut le dire, c’est un acteur sur le départ qui a visiblement déjà tourné la page et qui incarne sans la moindre envergure l’adversaire majeur de l’Anti-Monitor, sans se prendre au jeu. Conclusion l’être le plus puissant du Multivers a autant de charisme qu’un type en Kway qui attend le bus sous la pluie. C’est, en soi, déjà un gros problème pour la crédibilité de « la bataille dans le monde d’antimatière ». Parfois, le scénario s’assoit carrément sur des choses qu’il n’arrive pas à expliquer. Ainsi Ryan Choi, devenu « parangon de l’humanité » (mais qui n’a pas de pouvoir particulier) se retrouve à taper sur des guerriers d’ombres de l’Anti-Monitor. Et là, on peut se demander ce que c’est que ces créatures cosmiques qui n’arrivent pas à venir à bout d’un scientifique sans entrainement particulier. Plus tard, vous aurez l’occasion de voir Spartan ou Wild Dog qui pensent sérieusement qu’en vidant le chargeur de leur arme sur l’Anti-Monitor ils vont arriver à quelque chose. La menace n’en semble que plus artificielle. Et pourquoi pas des scouts armés de couteaux suisses ? Il ferait moins le malin, l’Anti-Monitor. Rajoutez à cela que les séries sont rattrapées par le fait qu’elles n’ont qu’un budget TV et la volonté légitime de montrer un Anti-Monitor géant, capable de ravager les mondes, se transforme en scène gênante où les héros se retrouvent dans un terrain vague vraiment vague pour affronter un méchant vraiment méchant qui prend la taille d’un immeuble. Ne manque guère que Spectreman pour « parfaire » le tableau… On comprend l’idée de départ mais l’exécution n’en est pas moins laborieuse.
Le Ryan Choi qui se battait à mains nues contre les « shadowmachins » dans l’univers d’antimatière ? Vous pouvez l’oublier, dans le chapitre suivant, le scénario a besoin qu’on le sauve, alors voilà ce type attaqué par un seul guerrier d’ombre et qui panique. Il faut donc que les autres héros. Pourquoi ? Parce que. Et quand l’Anti-Monitor envoie ses forces attaquer les parangons… on oublie que Lex Luthor fait partie de l’histoire et que mine de rien il a quelques capacités qui seraient bien utiles pour affronter « Anti ». Pourquoi ? Parce que. Par contre un guerrier isolé fonce bien chez Star Labs, pour s’attaquer à Killer Frost, Heatwave et Black Lightning qui ne sont pourtant pas des Parangons. Pourquoi ? Parce que. Et au fait pourquoi Flash n’a pas prévenu tout ce petit monde de venir participer à la bataille finale plutôt que la sœur de Kara, qui n’a pas de pouvoir ? Ah oui… parce que. Et là pour le coup, le budget n’explique pas tout. C’est sympathique par endroits, plein de bonne volonté, mais le scénario s’endort sur ce qui le dérange, en espérant qu’on ne le remarquera pas. C’est un peu comme un dessin d’enfant : c’est débordant de bonnes intentions, en un sens c’est mignon. En général on félicite l’enfant pour avoir fait du mieux qu’il peut, même si maman à trois bras sur l’image et qu’on sait bien que ca ne finira pas dans un musée.
Les pro-DC se taperont sur le ventre qu’au moins ce n’est pas du Marvel. Et les pro-Marvel bomberont le torse en regrettant justement que ce ne soit pas le cas. En vrai, pourtant, il faut bien dire que les super-héros de la CW ont par moment des airs d’imitation de Marvel (Studios) avec le budget de la TV. De l’histoire de White Canary qui lorgne sur celle d’Elektra dans les comics au Atom qui a plus des airs d’Iron Man. Là, c’est encore le cas. En partie pour des raisons compréhensibles (la Crisis des comics est paru bien avant Infinity War et tous les deux ont des éléments communs). En partie pour des raisons qui le sont le moins. Clairement, la scène où Flash et White Canary se précipitent vers quelqu’un tombé au combat, vous pourriez la doubler d’un « Monsieur Stark, on a gagné ! » que ca marcherait pareil. Et quand l’Anti-Monitor passe en revue le vocabulaire pour dire qu’on ne peut pas l’arrêter, on s’attend presque à ce qu’il lâche un vibrant « je suis inévitable ».
Sur l’ensemble du crossover, pourtant, on remarquera que les auteurs ont pris la précaution d’éviter la chasse au « MacGuffin ». Ici, on ne chasse pas les gemmes de l’infini ou un cube cosmique pour recréer l’univers. Par contre on court plusieurs fois après l’intangible. Dans les premiers chapitres, en décembre, on envoyait ainsi Batwoman sur une autre Terre pour qu’elle trouve le Parangon. Avant qu’elle réalise que c’était elle. Parce que le Monitor, à la veille de la fin du monde, il n’a que ca à faire qu’envoyer quelqu’un dans un autre monde plutôt que lui dire d’emblée « bon écoutes, c’est toi ». Là c’est un peu pareil avec une quête dans la quête et les personnages dispersés dans la speedforce, occasion de leur faire revivre certaines premières rencontres et leur faire comprendre que, hey, la vie est tellement plus belle quand on se fait confiance les uns et les autres (et tant pis s’ils se faisaient confiance avant d’entrer dans la Speedforce).
Chez les deux firmes le rapport de force est inversé. Même si elle a renoué avec le succès ces dernières années, Warner peine à imposer un effet de gamme pour ses films super-héroïques sur le grand écran. C’est à la télévision qu’elle prospère. A l’inverse, Marvel a engrangé des milliards et fidélisé un public massif au cinéma tandis qu’à la TV elle tâtonne. Si Jessica Jones, Daredevil ou Punisher sont généralement bien vus, cela n’empêche pas des gadins comme Defenders. Lancée il y a sept ans, la série Agents of SHIELD a difficilement mentionné quelques rares super-héros comme Deathlok, Patriot ou Ghost Rider mais serait bien en peine, à la télévision, de monter un crossover de foule comparable à celui de la CW. Chez DC, les séries TV en sont à considérer les acteurs des films comme des guests, chez Marvel c’est l’inverse, quand des personnages secondaires de la série Agent Carter sont mentionnés dans Endgame, c’est presque un événement. Aussi les séries de la CW ont sans doute de l’idée et de l’ambition mais en tentant trop d’aller sur le terrain des films Marvel, elles en oublient d’assumer le fait que finalement, par rapport à des séries Marvel parfois bien stupides *cough* Inhumans *cough*, elles n’ont certainement pas à rougir. Malgré une science du clin d’œil qui ravira les fans de comics, Crisis, en voulant faire la course au cinéma, se trompe un peu de cible et souffre de certains acteurs qui font le minimum syndical et d’un scénario qui parfois part en vrille.
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