French Collection #118

[FRENCH] Un des principaux problèmes des scénaristes de Superman résulte des fondamentaux même du personnage. Comment mettre en difficultés le héros le plus puissant de l’univers ? Ce postulat va conduire les scénaristes à faire preuve d’imagination et à inventer un concept qui sera rendu célèbre bien plus tard chez le principal concurrent de DC Comics.

Comme nous l’avons vu dans la chronique précédente (cf. French Collection #117) une des manières que trouvera très tôt Jerry Siegel (co-créateur et scénariste original de Superman) est d’utiliser ce qui deviendra la Kryptonite. Néanmoins, a trop utiliser un ressort scénaristique, celui-ci perd de sa force. Il fallait donc trouver d’autres moyens pour challenger l’homme d’acier sans en changer les fondamentaux. L’une des techniques régulièrement employées par les scénaristes de toutes époques fut le récit imaginaire. Nous allons donc étudier dans cette chronique deux épisodes publiés par l’éditeur belge Interpresse qui ont recours à ce mécanisme.

Le premier a été publié sous le titre Jimmy Olsen s’empare du chien Krypto dans Superman n° 3 de 1965 et est la traduction de When Jimmy Olsen Stole Krypto From Superman publié dans Superman (1939 series) #177. Le deuxième a été publié sous le titre Le masque contre la cape ! dans Superman n° 6 de 1966 et est la traduction de The Clash of Cape and Cowl publié dans World’s Finest Comics (1941 series) #153 en deux parties. Le premier épisode est un exemple assez classique de ce qui se faisait dans la série Superman (1939 series) lorsque les scénaristes voulaient montrer ce qui se serait passé si… Superman accueille Jimmy Olsen dans sa Fortress of Solitude pour passer la nuit. Tous les deux se couchent ainsi que Krypto. Le lendemain, Superman découvre un devant la Fortress of Solitude. Il l’emmène à l’intérieur et l’essaye avec Jimmy. L’appareil transfère alors à ce dernier tous les pouvoirs de Superman. Une réplique étrange nous permet même de nous demander si ce n’est pas Jimmy qui a organisé toute cette machination.

Une fois que Jimmy a obtenu les superpouvoirs de Superman (accidentellement ou non) il propose de le remplacer, ce qui laisse Superman dans un grand désarroi. Mais la Terre ayant besoin d’un protecteur il s’y résout malgré tout. Nous retrouvons ici le thème classique de l’époque d’une peur / jalousie de Superman vis-à-vis d’un possible désintérêt / abandon de ses supporting cast. A partir de cet instant, Jimmy va remplacer Superman dans le cœur de tous, sauf de Krypto. Super-Olsen n’aura alors de cesse de persécuter le fidèle animal pour l’obliger à le considérer comme son maître.

Tous ses plans ayant échoués, il utilisera de nouveau l’étrange appareil pour transférer les pouvoirs de Krypto à une mule. Tout cela paraît bien étrange aux lecteurs et pour cause. L’histoire n’était qu’un rêve de Krypto. Ce type d’histoire sera régulièrement utilisé par les scénaristes de DC Comics pour mettre Superman dans des situations impossibles dans la continuité classique.

La deuxième histoire est bien plus intéressante. Premièrement elle paraît dans un numéro de la série Interpresse sur lequel il est nécessaire de s’étendre. L’éditeur belge utilisera pendant les premières années un système de millésime pour ses publications. C’est-à-dire que la série Superman repartira au numéro 1 à chaque début d’année. 1965 a été une année particulière puisque la série commencera bien au numéro 1 mais en octobre. Elle ne comportera donc que trois numéros. En 1966, la série aurait donc dû reprendre au numéro 1 en janvier. D’ailleurs, le numéro 3 de 1965 comporte en quatrième de couverture une annonce du numéro 1 de janvier 1966. Mais pour une raison restée inconnue, le numéro suivant de la série Superman paraîtra en juin 1966 et porte le numéro 6.

Que sont devenus les cinq premiers numéros de la série de 1966 ? Si Interpresse a été à cours de matériel et qu’ils n’existent pas, pourquoi le premier numéro de 1966 ne porte-t-il pas le numéro 1 comme en 1965 ? De plus, ce numéro ne comporte pas l’épisode qui avait été annoncé sur la quatrième de couverture du numéro 3 de 1965. Ces numéros ont-ils existés et sont-ils restés inaccessibles aux hordes de collectionneurs depuis maintenant 45 ans ? La réponse la plus évidente est non, faisant de ce numéro 1 de 1966 une sorte de Marvel 14 belge. Mais qui sait si un jour ils ne ressurgiront pas comme certains numéros d’Aventures et de Tarzan de 1941 apparu chez un libraire plus de 60 ans après leur impression ?

Quoi qu’il en soit, le lecteur découvre sur la couverture du numéro 6 de 1966 une scène étrange. Batman s’attaque à Superman avec un Batarang en Kryptonite ! Nous avons souvent vanté la qualité de la ligne éditoriale d’Interpresse mais il nous faut ici soulever une lacune flagrante. En effet, même si le titre de la revue a été changée en Superman et Batman, force est de constater que le lecteur ignore tout de ce personnage et également de son amitié vis-à-vis de Superman. Or, c’est ce qui donne en grande partie l’intérêt à ce Récit imaginaire comme il est indiqué sur la splash page. En effet, l’épisode « explicatif » de « Comment naquit la super-équipe ? » ne sera publié que deux mois plus tard dans Superman n° 8 de 1966. Nous ne reviendrons pas sur cet épisode qui a récemment fait l’objet d’un Oldies but Goodies sur www.comicbox.com.

Le lecteur qui ne connaît vraiment rien à ce personnage pourra en apprendre un peu plus sur la quatrième de couverture du numéro sur laquelle nous reviendrons dans un prochain French Collection. Dans l’épisode il découvre un Batman bien éloigné du personnage classique. En effet, dans ce que les américains appellent un Elseworld le père du jeune Bruce Wayne (sa mère est morte alors qu’il était jeune) est un scientifique qui essaye de mettre au point un sérum anti-Kryptonite pour Superboy. Ce dernier rencontre le père de Bruce et le met en garde contre Lex Luthor, qui dans ce Elseworld est aussi le pire ennemi de Superboy, et lui demande d’essayer tout de suite le sérum. Mais le scientifique refuse et Superboy quitte les Wayne dans une ambiance que le jeune Bruce considère comme tendue. Plus tard, il entre dans le laboratoire familial et y trouve le corps de son père. Il aperçoit alors du coin de l’œil une forme volante portant une cape. Il en déduit que Superboy a essayé de voler le sérum que son père lui avait refusé de tester et que pris en flagrant délit il a tué l’inventeur.

Lorsque Superboy lui fait part de ses condoléances, il garde ses rancœurs pour lui mais décide de devenir le plus grand détective du monde afin de trouver des preuves du crime de Superboy et de le confondre. Quelques années plus tard, Bruce Wayne est devenu Batman sur une trajectoire quasi-identique à celle classique de la continuité d’Earth-1. Dans cet Elseworld, Bruce a également adopté le jeune Dick Grayson qui est devenu Robin. Mais ce dernier découvre avec horreur que son mentor veut nuire à Superman. Bruce lui fait alors subir un lavage de cerveau pour qu’il oublie tous leurs secrets. Il continue ensuite de se consacrer à rassembler des preuves de la culpabilité de Superman. Les deux super-héros vont cependant involontairement fait équipe pour arrêter une tentative de vol de Luthor. Superman offre alors à un Batman très froid une ceinture à réaction qui lui permet de voler. C’est grâce à ce cadeau que Batman va s’introduire dans la Fortress of Solitude dont il a réussi à découvrir l’emplacement.

Il y apprend énormément de secret mais ne trouve aucune preuve ni trace du sérum anti-Kryptonite de son père. Excédé, Batman décide alors de faire équipe avec Lex Luthor dont il sait qu’il dispose d’un stock de Kryptonite. Il découvre son repaire et l’aide à tendre un piège à Superman. Mais alors que Superman est sur le point de mourir, Batman apprend que Lex Luthor a tué son père au moyen d’un robot à l’effigie de Superman pour voler le sérum. Comprenant son erreur, il se sacrifie pour délivrer Superman.

Mais une nouvelle fois, tout ceci n’est qu’un récit imaginaire qui permet de montrer ce qui se serait passé si… Cette technique sera utiliser de manière régulière par les scénaristes de DC Comics mais c’est chez Marvel qu’elle connaîtra la postérité avec la série What If… ?. A tel point que DC Comics sera obligé d’utiliser l’appellation Elseworld pour ne pas enfreindre le copyright que son principal concurrent à déposer sur un procédé qu’il a importé dans le monde des comics.

Ces Elseworld sont-ils des simples récits imaginaires ou des réalités parallèles qui sont une des spécificités de l’univers de DC Comics (cf. French Collection #100) ? Nul ne le sait vraiment, mais ce qui est certain c’est que nous reviendrons dans un prochain French Collection.

[Jean-Michel Ferragatti]

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