French Collection #194
12 mars 2014[FRENCH] Cette semaine, nous entamons une petite série de chronique sur les personnages d’un éditeur dont nous n’avons parlé qu’une seule fois depuis la création de French Collection et qui doivent majoritairement leur renommé à une réécriture ultérieure.
En 1931 John Santangelo Sr, italien récemment immigré, commence à publier des feuillets reprenant les paroles des chansons populaires de l’époque. Malheureusement pour lui, bien que récoltant un grand succès (ou peut-être à cause) son activité est illégale car il n’a recueilli aucun accord des ayants droits des paroliers. Sa condamnation à un an et un jour sera assez étrangement l’une des meilleures choses qui lui sera arrivé. En effet, c’est au cours de son séjour qu’il rencontre Ed Levy, un avocat radié du barreau suite à un scandale politique, avec qui il va créer un petit empire de l’édition.
En 1935 les deux hommes lancent légalement une ligne de magazines (Hit Parader & Song hits) sur le modèle des feuillets de Santangelo mais plus évolué. L’année suivante, ils ouvrent une imprimerie à Derby dans le Connecticut. En 1940, ils créent la société T.W.O. Charles Company d’après le prénom commun de leur deux fils. A partir de 1944, ils lancent plusieurs titres de comics comme Yellowjacket (1944 Series), Zoo Funnies (1945 Series), Jack-in-the-Box Comics (1946 Series) & TNT Comics (1946 Series). Comme beaucoup d’autres éditeurs (dont notamment Martin Goodman et ce qui deviendra Marvel Comics), Santangelo & Levy « compartimentent » leurs publications au travers de nombreuses sociétés comme Frank Comunale Publications, Children Comics Publishing, Frank Comunale, Frank Publication & Charles Publishing Co. Ceci pour des raisons fiscales et liées au droit de la faillite.
Les comics sont toujours à la mode durant cette période et permettent aux deux associés d’amortir les importants frais fixes qu’occasionne son matériel industriel. Il ne s’agit donc aucunement de son cœur de métier et les comics sont d’ailleurs achetés entièrement packagé à Al Fago (le frère de Vincent Fago qui sera directeur de publication de Timely pendant l’incorporation de Stan Lee). Puis dans une volonté d’intégration, Al Fago sera embauché comme Editor au sein de ce qui est devenu Charlton Comics (toujours d’après le prénom commun des fils des deux fondateurs). La stratégie du groupe est d’ailleurs novatrice. Il s’agit d’obtenir une intégration verticale du métier de l’édition.
Charlton Comics possède maintenant son propre bull pen qui assure la production des comics. Elle imprime ensuite les magazines au sein de sa propre imprimerie qu’elle distribue par Capital Distribution, sa propre société de distribution. Charlton sera connu pour d’autres raisons peu flatteuses. L’outil de production deviendra rapidement obsolète et ne sera jamais modernisé, la qualité des comics deviendra alors médiocre. Toujours soucieux de rentabilité la société est connue pour avoir les tarifs d’acquisition des scripts (4 dollars la page) & prestations artistiques (20 dollars la page voir moins) les plus bas du marché. Enfin, du fait de sa localisation, l’éditeur incite fortement les artistes à s’installer à Derby en leur proposant des espaces de travail gratuit les isolant ainsi du marché principal qu’est New-York.
Néanmoins, la société possède également quelques caractéristiques intéressantes. Elle n’est pas très regardante sur la qualité des histoires et de nombreux artistes (scénaristes & dessinateurs) y feront leur début. Son volume de production est tel que n’importe quel professionnel qui fait l’effort d’aller à Derby y trouve du travail. Elle est également connu pour racheter et repackager quasiment tous les titres des sociétés concurrentes en faillite (Fox Publications, Superior Comics, Mainline Publications, St. John Publications & Fawcett Comics).
Enfin, la direction artistique est « très lâche ». Les artistes sont en fait quasiment livrés à eux-mêmes, ce qui peut se comprendre au regard des tarifs d’achats pratiqués.
Néanmoins, en 1960 Pat Masulli (adjoint d’Al Fago qui a pris la responsabilité d’Editor après le départ de ce dernier) décide de lancer une série de super-héros afin de suivre la tendance que des personnages comme Flash [Barry Allen] ont ouverte chez DC Comics. C’est ainsi qu’apparaît Captain Atom [Allen Adam] sous les crayons d’un jeune artiste nommé Steve Ditko et d’après un scénario de Joe Gill dans Space Adventures #33 (1952 Series).
Allen Adam est un surdoué qui maitrisait parfaitement les sciences physiques à l’âge de huit ans et devint également un expert en chimie et en balistique. Il intègre alors l’armée et notamment le programme expérimental de missile balistique comme Captain. Alors qu’il finit les ajustements de dernières minutes sur un tir, il est bloqué à l’intérieur de la fusée et tenu pour mort par ses supérieurs après l’explosion de la tête nucléaire de la fusée dans l’atmosphère.
Mais par un miracle totalement inexpliqué, le Captain Allen Adam réapparait à la base de lancement quelques minutes après. Cependant, il est maintenant extrêmement radioactif. Il doit donc porter une combinaison constitué de matériel isolant afin de côtoyer ses compagnons. De plus, un journaliste ayant été informé de l’accident, le Captain Allen Adam est officiellement décédé. Il devient donc une sorte d’arme secrète des Etats-Unis après que le président Eisenhower lui-même lui ait remis son uniforme bleu de Captain Atom rappelant un peu la cote de maille de Blue Beetle [Dan Garret] (cf. French Collection #6).
Cependant dès le deuxième épisode beaucoup de détails sont changés. Premièrement, le Captain Allen Adam est « ressuscité » et ne doit plus porter en permanence sa combinaison et possède donc une identité secrète comme « n’importe » quel super-héros. Son sergent & ami « Gunner » connait son secret et l’aide régulièrement. Son uniforme devient jaune et orange et ses cheveux deviennent blancs lorsqu’il se transforme lui permettant ainsi de préserver son identité secrète.
Captain Atom [Allen Adam] est un personnage surpuissant qui indique être capable de voler à la vitesse de 20.000 miles à l’heure (32.000 km/h) dans les premières pages du premier épisode, soit un peu moins que la vitesse de libération qui est de 40.000 km/h. Mais visiblement ses aptitudes progressent puisqu’il est capable dans les dernières pages du même épisode de quitter l’orbite terrestre pour détruire un missile atomique (dans les épisodes suivants il atteindra même la vitesse de la lumière). Il est donc capable de survivre au vide de l’espace. Il est également super-fort (il détruit le missile d’un seul coup de poing) et visiblement invulnérable (l’explosion ne lui cause aucun dégât). Enfin, il est capable de traverser la matière solide comme un fantôme.
Bien que « techniquement » un super-héros, Captain Atom [Allen Adam] est avant tout un personnage de science-fiction notamment du fait de sa publication dans Space Adventures (1952 Series). La structure de ses épisodes (8 à 9 pages) ne permet pas de grands développements et les histoires tournent majoritairement autour de deux thèmes, la lutte contre les pays communistes ou les invasions extraterrestres. Il n’affrontera que très tardivement un adversaire costumé en la personne du Doctor Spectro, qui reviendra l’affronter une deuxième fois, puis verra sa galerie de personnage s’étoffer avec The Ghost (un super-vilain) & Nightshade (une partenaire super-héroïque). Ditko bénéficiant d’une grande liberté artistique, beaucoup de son œuvre future se retrouve dans Captain Atom. Allen Adam ressemble rapidement à un Peter Parker adulte & certaines civilisations extraterrestres préfigurent celle de la planète Meta dans Shade the changing man.
La première « période » des aventures de Captain Atom [Allen Adam] dure environ une dizaine d’épisode de Space Adventures (1952 Series) #33 à #42 jusqu’à fin 1961. A cette date, Steve Ditko quitte Charlton pour se consacrer à ses travaux chez Marvel Comics à qui le succès de Fantastic Four (1961 Series) redonne des couleurs. Le dernier épisode de Captain Atom [Allen Adam] sera d’ailleurs dessiné par Rockie Mastroserio qui avait déjà assuré un épisode d’intérim.
Mais, en 1965 de plus en plus déçu par la direction éditoriale de Stan Lee, Ditko revient chez Charlton et notamment sur le personnage de Captain Atom [Allen Adam] qui bénéficie d’un titre éponyme à partir de Captain Atom (1965 Series) #78 qui est la suite de Strange Suspense Stories (1955 Series).
Suite à la promotion de Dick Giordano comme Executive Editor, une nouvelle politique éditoriale dont nous reparlerons dans une prochaine chronique est mise en place. Pour Captain Atom [Allen Adam] cela passe par une « deuxième » étape et notamment la « diminution » de ses pouvoirs et un changement de costume. Captain Atom [Allen Adam] est beaucoup moins fort, il n’est plus invulnérable et à beaucoup plus de mal à traverser la matière solide.
Pour suivre la tendance Marvel, Dick Giordano essaye de capitaliser sur des personnages secondaires récurrents. Des éléments de l’expérience Marvel de Steve Ditko arrivent dans Captain Atom dont notamment la journaliste Abby Ladd qui ressemble beaucoup à Betty Brant. Mais The Ghost & Nightshade reviennent également et des nouveaux personnages font leur apparition comme Punch & Jewelee, Fiery-Icer (une sorte d’Equinox ou Mercurio avant l’heure) & Thirteen.
Malheureusement, malgré une certaine qualité le succès des super-héros Charlton n’est pas suffisant et la ligne s’éteint chez l’éditeur de Derby. Quelques épisodes de Captain Atom de la « deuxième » période produit par Ditko seront cependant publié quelques années après dans le fanzine The Charlton Bullseye. Captain Atom [Allen Adam] reviendra alors dans la continuité super-héroïque de DC Comics après le rachat des personnages Charlton (sur lequel nous reviendrons dans une prochaine chronique) mais sera surtout mis en lumière dans sa réinterprétation du scénariste Alan Moore sous le nom de Dr Manhattan dans la mini-série Watchmen.
En France, les éditions Artima – Arédit commencèrent à publier quelques épisodes de la continuité super-héroïque de Charlton au début des années soixante-dix. Malheureusement, il s’agissait des derniers feux et seuls deux épisodes furent publiés en back-up de la série Atomos.
Cela permis cependant au lecteur de découvrir de manière contemporaine les épisodes de Spider-Man [Peter Parker] de Ditko chez Lug et ceux de Captain Atom [Allen Adam] affrontant Fiery-Icer (traduit en Le glacier de feu) ou The Ghost & Thirteen. Un autre épisode de Captain Atom [Allen Adam] datant de Space Adventures (1952 Series) et donc de la « première » période sera publié bien plus tardivement par Arédit sans doute d’un inventaire inutilisé.
[Jean-Michel Ferragatti]
Il y a eu aussi un très court épisode de The Question (une back up de Captain Atom) dans un fascicule noir et blanc « pour adultes », sans doute Eclipso ou éventuellement Etranges Aventures. À l’époque, je ne connaissais pas Charlton et je me demandais d’où sortait ce personnage. À la même époque, Arédit avait publié dans ces pockets des comics issus de chez Tower et Archie Comics (Je me souviens d’un épisode de The Fox traduit en français par « Le Lynx », si j’ai bonne mémoire).
Cher Jean-Paul, je vous donne donc rendez-vous dans deux semaines pour The Question. Tower a déjà fait l’objet d’étude dans cette chronique. Quant à The Fox (et les autres personnages MLJ / Archie) publiés en France ils sont déjà prévus mais dans un lointain futur.
En tout cas vous me voyez honoré de votre commentaire. J’ai beaucoup apprécié votre ouvrage sur l’histoire des comics et attendu vainement le deuxième tome.
Amitiés
JMF