[FRENCH] Pour nombres d’amateurs de comics, la naissance du genre en France remonte au Fantask numéro 1. Ce titre s’arrêta victime d’un avis contraire de la commission de censure créée par la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. Mais comme cette chronique le montre, l’arrivée des comics en France remonte à trente ans avant Fantask. Tout comme en 1969, l’arrivée de Superman en langue française causa une petite révolution chez les jeunes lecteurs mais également chez leurs parents et professeurs.

Fin 1929 paraissait Benjamin, le premier grand hebdomadaire français pour les jeunes. Auparavant, les journaux illustrés des grandes librairies parisiennes dominaient le marché. L’Epatant, L’illustré, L’intrépide et Cri-Cri chez Offenstad (avec Les Pieds Nickelés), Les Belles Images et Diabolo – Journal chez Fayard, Le Jeudi de la Jeunesse chez Taillandier, Pierrot chez Montsouris mais aussi Les Trois Couleurs. Ceci sans parler des journaux ecclésiastiques de la Bonne Presse comme L’Echo du Noël et Le Sanctuaire.

Les petites filles avaient pour leur part La Semaine de Suzette très rapidement suivit de Fillette et Le journal de Lili (par les Offenstad), Bernadette, etc. que nous n’étudierons pas ici car la chance d’y trouver un comic est nulle.

Le mois suivant l’arrivée de Benjamin apparaissait Cœurs Vaillants des éditions Fleurus groupe de la mouvance catholique.

Il faudra attendre 1934 pour que Le Journal de Mickey atteigne les rayons des kiosques. A partir de ce moment, le paysage était assez monolithique. Les classiques publications historiques des grandes librairies et Benjamin qui est l’hebdomadaire de référence auprès des parents. Les familles catholiques achètent Cœurs Vaillants des Editions Fleurus pour leurs enfants tandis que ceux qui sont moins sensibles à l’avis des autorités ecclésiastiques achètent Le Journal de Mickey à leur progéniture.

Ces bandes dessinées venues des Etats-Unis ne sont pas bien vues de tout le monde, mais le succès est immédiat. Très rapidement, d’autres acteurs du secteur investissent ce créneau porteur et fort rentable. L’année suivante, La Librairie Moderne (qui deviendra la SAGE) lance Jumbo et Aventures tandis que les Editions Mondiales publient Hurrah ! et L’Aventureux.

Viendront s’ajouter entre autres Bayard et Bilboquet tandis que Opera Mundi, l’éditeur du Journal de Mickey, lancera quant à lui Hop-là ! et Robinson.

Les enfants découvrent donc Les Katzenjammers Kids (sous diverses appellations), Mandrake le magicien, Luc Bradefer (Brick Bradford), The Phantom (Le Fantôme qui devient du Bengale), Guy l’Eclair (Flash Gordon), Maturin (Popeye), Dick Tracy, Raoul et Gaston (Tim Tyler’s Luck), Terry et le pirates, (Terry and the Pirates) etc.

Si les Funny Animals de Walt Disney étaient jugées assez inoffensifs les nouveaux comics, dont la destination première était les adultes sous formes de comic strips, sont beaucoup plus critiqués. Les corps constitués que sont l’église, qui défendait aussi ses propres maison d’édition, et le corps professoral montent rapidement au créneau.

Le verdict de ces institutions est inversement proportionnel à la popularité des comics auprès des enfants. Le premier effet est la retouche de certaines images par les éditeurs ou agences de presse. Les décolletés des héroïnes sont gommés, leurs jupes rallongées et leurs formes opulentes atténuées afin de ne pas choquer les bambins.

Malgré cela, les jugements restent très sévères. Comme le rappelle Rémo Forlani dans sa préface au Vol. 1 des aventures de Superman, dans la collection Copyright des Editions Futuropolis, les enseignants organisaient la chasse aux illustrés pour les détruire de manière spectaculaire.

Ils tempêtaient également contre le caractère abêtissant de ces lectures. Georges Sadoul, journaliste connu, écrivait même que ces histoires : « versent dans la cervelle malléable des enfants la pornographie la plus basse, le goût du meurtre et des exploits de gangsters, l’envie de devenir un espion, l’espoir de participer à une guerre civile destinée à replacer les rois sur leurs trônes… ».

Ces jugements devinrent encore plus violents lorsque Yordi atterrit dans les pages du journal Aventures. Ce que les enfants percevaient comme une fantaisie étaient vus par les adultes comme des inepties intolérables qui pervertissaient leur esprit.

Les superpouvoirs de Superman étaient donc perçus comme une étape supplémentaire dans l’abêtissement des enfants. Mais, tout comme avec Le Journal de Mickey, le succès fut fulgurant. Si bien que très rapidement les concurrents d’Aventures lancèrent aussi leur super-héros (même si le terme n’était pas utilisé à l’époque).

C’est ainsi que surgirent L’Homme Prodigue (Masked Marvel chroniqué dans French Collection #2), Yarko (chroniqué dans French Collection #3), Le Fantôme Justicier, Le Surhomme, Le Fantôme d’Acier (qui bénéficia même d’une campagne d’affichage dans les kiosques pour annoncer son arrivée), Le Masque Rouge et bien d’autres que nous vous ferons découvrir dans les prochaines chroniques.

L’impact sur les jeunes esprits fut très fort comme le prouvèrent leur attachement à ces lectures enfantines. Dès 1965, une série d’articles du magazine Fiction aboutit à la création du Club des Bandes Dessinées qui rassemblait des amoureux des comics. Ou plutôt devrions nous dirent des comic strips car leurs centres d’intérêts portaient plutôt sur Mandrake et consorts que sur Yordi et les autres surhommes.

Néanmoins, des articles généraux évoquaient ces surhommes dans l’organe officiel du club ; Le Giff-Wiff. L’arrivée de Jacques Sadoul inaugurera même des articles consacrés aux comics. Le début de l’analyse critique du medium était lancé et ne s’arrêterait plus que ce soit au travers des fanzines, de livres spécialisés ou de publications professionnelles sous toutes formes de supports comme le montre ces quelques lignes.

[Jean-Michel Ferragatti]

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