French Collection #68
21 septembre 2010[FRENCH] Poursuite de nos chroniques des genres alternatifs aux super-héros de l’éditeur DC Comics avec cette semaine un peu d’histoire des comics poursuivie par l’étude d’un duo (voir trio) de personnages mineurs des séries de guerre de l’entre deux âges.
La date du début du golden age des comics est connu de tous. Il commence en juin 1938, avec Action Comics #1. Le début du silver age est un peu plus sujet à caution, mais la date communément admise est octobre 1956 avec Showcase #4 et la première apparition de Flash [Barry Allen].
Par contre, la date précise de fin du golden age est inconnue. La date la plus souvent retenue est la conversion de All Star Comics en All Star Western (et donc l’arrêt de la publication de la Justice Society of America qui était le titre emblématique des super-héros du golden age). Les raisons de cet arrêt sont également incertaines même si des travaux récents donnent un nouvel éclairage qui dément les théories les plus communément admises. La majorité des fans de comics sont persuadés que les comics de super-héros ont été arrêtés car les ventes étaient en fort déclin. Il n’en est sans doute rien. En ce qui concerne National Periodical Publications (le plus gros éditeur de l’époque qui deviendra ultérieurement DC Comics), trois motivations éditoriales ont visiblement conduit à l’arrêt des publications.
L’une des principales caractéristiques des super-héros de DC Comics qui seront arrêtés est qu’il ne s’agit pas de personnages provenant de l’écurie de l’éditeur. En effet, jusqu’en 1945, deux sociétés « sœurs » se partageaient un logo commun sur les couvertures de leurs publications : Detective Comics A Superman Publication. National Periodical Publications (NPP) détenue par Harry Donnenfeld et Jack Leibowitz et All American Comics (AAC) détenue par Donnenfeld et Max Charlie Gaines. NPP (société créé par le Major Wheeler Nicholson) publiait Superman, Batman et beaucoup d’autres séries dont Zatarra, Congo Bill, Green Arrow, Aquaman & Johnny Quick.
AAC publiait quant à elle Wonder Woman, Flash [Jay Garrick], Green Lantern [Alan Ladd], The Spectre, etc. Les personnages ne possédant pas leur propre magazine était rassemblés dans la Justice Society of America publiée dans All Star Comics. Mais les relations entre les trois actionnaires principaux n’ont pas toujours été cordiales. Ainsi, pendant environ un an, suite à de forts désaccords, les publications All American Comics n’arboreront plus le logo commun Detective Comics A Superman Publication mais un logo propre : All American Comics. Cette situation se réglera par le rachat des parts de Gaines (qui partira fonder Educational Comics dont la période de gloire sera sous l’égide de son fils Bill qui transformera la société en Entertainment Comics mieux connue comme EC Comics) et la fusion des deux sociétés.
La caractéristique commune des super-héros massivement arrêtés par DC Comics est qu’il s’agit de personnages de l’écurie All American Comics. Certains historiens des comics y voient une volonté affichée de tuer le fond d’AAC. Il est ainsi intéressant de remarquer deux choses pour étayer ce raisonnement. Premièrement, Wonder Woman n’a pas été arrêtée alors qu’il s’agissait d’un personnage AAC. Le fait que le contrat liant William Marston Moulton (le créateur du personnage) et l’éditeur prévoyait un retour de droits du personnage en cas d’arrêt de la publication explique sans doute cela. Deuxièmement, tous les super-héros qui ont continués à être publiés dans l’ombre tutélaire des trois grands (Superman, Batman & Wonder Woman) sont des personnages originellement publiés par NPP.
Quoiqu’il en soit de cette première motivation, la deuxième est incontestable et beaucoup plus terre à terre. En arrêtant les publications de super-héros, réalisait une excellente opération fiscale. En effet, du fait des contraintes de productions, l’éditeur disposait d’épisodes complets d’avance (ou de scénario) pour chacun des personnages. Du fait de l’arrêt de publication, ce matériel était considéré comme Written Off (c’est-à-dire non utilisable) et permettait de passer en charge déductible l’intégralité des dépenses engagées pour leur réalisation.
Enfin, la troisième motivation managériale est également très terre à terre. Les chiffres de vente des comics de super-héros n’étaient pas mauvais, mais d’autres genres avaient visiblement de bien meilleurs résultats. Il s’agissait notamment des titres de l’éditeur Dell qui publiait majoritairement des funny animals et du western (les deux sous-licences). Les titres de super-héros n’ont donc pas été arrêtés à cause de leurs mauvais résultats mais afin de lancer des nouvelles tendances qui pouvaient potentiellement être plus rentables.
La fin des années quarante et le début des années cinquante seraient donc le lieu d’énormément d’exploration avec la naissance des Romance Comics pour attirer un public féminin, des Horror Comics et de nombreuses autres tendances plus ou moins couronnées de succès. Ces expérimentations étaient également nécessaires pour une raison contextuelle que rappellera Vince Sullivan, un des premiers Editor de DC Comics engagé par le Major Wheeler Nicholson et qui lancera par la suite Magazine Enterprises (ME). L’essor de la télé portait ombrage aux comics de super-héros et notamment à cause de la diversité des programmes de la première et de l’immobilisme des seconds.
L’un des directions dans laquelle s’engagea rapidement DC Comics fut le comic de guerre. Dans un premier temps, la caractéristique commune des épisodes publiés était uniquement la thématique militaire. Mais rapidement des épisodes comportant des personnages récurrents commencèrent à apparaitre. Nous avons déjà étudié Sgt. Rock dans French Collection #62, le personnage le plus connu de cette ligne de comics mais il n’est pas et de loin le seul (le phénomène c’est également produit dans d’autres genres comme nous l’avons vu pour la science-fiction notamment). En mai 1959, deux personnages apparaissent dans Our Fighting Forces #45. Il s’agit d’un marine et de son sergent qui opèrent sur une île du pacifique (contrairement au Sgt. Rock et à la Easy Company qui opèrent majoritairement en Europe). Ce duo de personnage sera désigné sous le nom de Gunner & Sarge, leur nom civil n’étant jamais donnés.
Le théâtre d’opération du pacifique était sujet à des techniques d’escarmouche, contrairement à la campagne d’Europe qui nécessitait l’engagement de divisions entières ou le moyen orient ou l’utilisation de l’infanterie motorisée était indispensable (lieu de prédilection de l’équipage de The Haunted Tank que nous étudierons dans un prochain French Collection). Gunner & Sarge vivront donc une série de missions locales (environ une cinquantaine) qui se traduisirent par des engagements contre les forces et soldats japonais qui mettaient régulièrement à l’épreuve leur solidarité.
Le changement majeur de la série fut l’introduction d’un troisième personnage en la « personne » d’un berger allemand de la section K-9 (qui exista réellement) dont le surnom sera Pooch. Les aventures du trio continuera jusqu’à Our Fighting Forces #94 où ils seront remplacés par la série Fighthing Devil Dog qui rapporte les exploits du frère cadet de Sgt. Rock. Ironiquement, Fighthing Devil Dog sera lui-même évincé du titre par l’équipe des Loosers dont font partie Gunner & Sarge et sur laquelle nous reviendrons dans un prochain French Collection.
Pooch aura lui également une « continuation » même s’il faut plutôt parler de descendance puisqu’il est lié d’une manière ou d’une autre à la lignée de Rex the Wonder Dog sur lequel nous reviendrons également dans un prochain French Collection. En France, Gunner & Sarge seront publiés dès août 1960 (Choc 1ère série n° 11) dans les Petit Format de guerre de l’éditeur Artima / Arédit.
Les épisodes publiés reprendront à la fois leur aventures « solo » ainsi que certaines impliquant Pooch. Le repérage des épisodes sans ce dernier n’est pas très évident dans la masse des épisodes car la traduction du titre Gunner & Sarge est très aléatoire. Dans certains épisodes, les traducteurs iront même jusqu’à inventé des noms patronymiques aux deux héros trahissant ainsi l’esprit de l’auteur Robert Kanigher (qui écrivit la majorité des séries de guerre de DC Comics) et qui voulait que leur anonymat permette à tout à chaque de s’identifié avec les personnages.
[Jean-Michel Ferragatti]1 – Même si les premières apparitions de Captain Comet, The Avenger ou Martian Manhunter (à venir dans le prochain French Collection) et le court revival des trois héros phares de Timely (Captain America, The Sub-Mariner & The Human Torch) font régulièrement débat).