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From The Other Side – Episode #2

Les étrangers dans les comics #1: « America, America, que Dieu t’illumine de sa gloire »

Salut. C’est encore Fabrice. Je vous propose un voyage aller-retour des deux côtés de l’Atlantique. Nous parlerons comics, artistes, industrie et j’exprimerais comment et pourquoi certaines choses sont ressenties différemment selon qu’on soit dans l’Ancien ou le Nouveau Monde… Cette semaine, voyons comment les personnages étrangers sont représentés par les créateurs américains. Et croyez moi, il y a du gratiné !

CANADA : UN PAYS DISTANT

Donc Marvel Comics relance une nouvelle série d’Alpha Flight. Bien. Pour les nouveaux venus, une petite leçon d’Histoire. Alpha Flight est LA grosse équipe de super-héros du Canada. Ils furent créés par John Byrne (pour ce qui est des personnages) et Chris Claremont (pour ce qui est du titre) dans Uncanny X-Men #120. Byrne avait un lien spécial avec le Canada puisqu’il y a passé une partie de son enfance. Quand il créa la première série Alpha Flight pour Marvel (en 1983), ça n’avait rien d’un cliché, avec une compréhension, un vécu, de la situation géopolitique (il faisait parfois allusion aux vrais responsables politiques du Canada) et un excellent rendu des paysages.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin et quand Byrne quitta la série, la fièvre du « et si on foutait tout en l’air » s’empara des bureaux Marvel. Des personnages vinrent, partirent, vécurent quelques aventures insipides et surtout le contexte canadien devint inexistant. Ce qui veut dire que cela aurait aussi bien pu être Infinity Inc. ou les Défenseurs ou encore Atari Force mais plus un titre de super-héros aux senteurs de Canada, comme cela devait l’être au départ.

Quand la série fut relancée en 1997, c’était le contraire. La série était devenu si politique — avec la théorie du complot revenant dans chaque numéro (et le dessin irrégulier) — que les lecteurs firent ce qu’ils font de mieux quand ils veulent s’éviter un mal de tête: ils fuirent la série (qui se retrouva illico dans le back des comics soldés). Après 20 épisodes, Marvel arrêta les frais. Ouf !

En 30 ans d’existence, Alpha Flight reste un mystère. En dehors des épisodes de Byrne, la spécificité politique ou sociale du Canada n’apparaissent plus. Les personnages sont à cet égard devenus trop superficiels. Et pourtant il y avait plein de choses à écrire sur une nation aussi proche des USA. Un auteur aurait pu écrire une histoire pendant la seconde guerre mondiale, quand les relations entre les deux pays étaient limitées (même les comic books américains n’étaient plus exportés et les publishers canadiens durent créer les leurs come Johnny Canuck). Un autre auteur aurait pu parler de l’immigration entre les deux nations. Il aurait pu exploiter le statut du Québec, avec les aspirations des indépendantistes.

Mais rien de tout ça n’arriva. Nous fûrent coincés avec les aventures de « tiens je suis vivant/à non tiens je suis mort à nouveau » Guardian et son équipe. Un comic mono-dimensionnel, très décevant.

SUPER-HEROS ETRANGERS ? GROS CLICHÉ…

Les autres super-héros non-américains que nous connaissons sont juste « creux ». Ils ne devraient pas représenter leur pays mais se retrouvent à représenter ce que l’audience américaine s’imagine sur ces pays. Ce qui veut souvent dire… pas grand chose. Classons les dans trois catégories: a) les Captain America/Supermen de leur nation, b) les « traditionnels » et c) les mutants.

a/ Les Caps et les Sups : les champions.

Nous venons de voir que le Canada a Captain Canuck et Johnny Canuck. Et même, dans Superman #200, il y a ce Superman du Québec, Hyperman. Pour l’Argentine, DC inventa Erewhon (pour les besoins de la Justice League) tandis que Marvel avait le Defensor (datant du Golden Age). Pour l’Europe, il y eut un temps où les héros des pays de l’Est étaient très visibles puisqu’ils étaient des ennemis des USA (comme le Red Guardian ou Vangard). Marvel permit même un « Captain Corps », dérivé de Captain Britain (un des « Captains » les plus cools à avoir été inventé), avec des versions françaises, anglaises et même allemandes. Les personnages modelés d’après un original américain sont des versions mirroirs. La « characterization » est souvent basique et les costumes d’un ridicule… La vérité c’est que le modèle « America » ne peut guère se transposer sur d’autres pays (sauf Britain, donc, mais peut-être s’agit-il d’un connection anglo-saxonne). Mais bon, pas de souci, avoir un seul Captain ça va. Et puis Superman n’est pas américain après tout. Quelqu’un comme lui pourrait être adopté n’importe où. Pas besoin de créer un personnage flashy pour démontrer son patriotisme. 🙂

b/Les Traditionnels.

Je veux dire par là les héros utilisant des totems ou des croyances, des légendes de ce pays adaptés comme source de pouvoir. Ils sont nombreux, tellement que nous ne pouvons tous les citer ici. Mais dans cette catégorie, comment ne pas citer les Global Guardians de DC (Cascade, Centrix, Chrysalis, Dr. Mistr, Fleur-de-Lis, Godiva, Little Mermaid…). DC a toujours porté beaucoup d’attention au reste du monde puisqu’ils avaient compris, voilà déjà longtemps, que c’était comme comme pour les films, qu’on pouvait faire de l’argent à l’export. Et ils créérent donc ces Global Guardians, composé de héros venus de nombreuses nations, avec l’espoir d’attirer l’attention de lecteurs étrangers. Mais malheureusement les Gardiens n’eurent jamais de titre. Ils furent des guests dans Infinity Inc. ou JLA…

Nous pourrions aussi parler d’un des héros des 70’s: Brother Voodoo (le nom parle de lui-même), une sorte de Dr. Strange haïtien… Quoi que de nos jours on le trouverait trop haut en couleurs !

Mais le plus populaire des personnages étrangers dans les comics (sauf Wolverine, encore qu’il n’est plus vraiment originaire du Canada, comme « révélé » dans Origin) vient d’un pays qui n’existe même pas: Black Panther. Quand il est apparu dans Fantastic Four, pendant les sixties, issu de son Wakanda natal, il fut immédiatement adopté par les lecteurs. Ces derniers demandèrent son retour, qui ne manqua pas de se faire, dans les pages d’Avengers. Certainement parce qu’il était une création et que les auteurs n’avaient pas à craindre la « réalité » d’un Wakanda, Black Panther fut très développé (au point que les lecteurs américains de comics connaissent sans doute bien mieux la politique interne du Wakanda que celle de nombreux pays réels). Nous pouvons en déduire que les auteurs n’aiment pas écrire sur des personnages étrangers (trop de recherches, trop de soucis « diplomatiques »…) et qu’il est plus aisé pour eux de créer de nouveaux pays qui ne limitent pas leur imagination.

c/Les Mutants

De manière surprenante, les mutants (principalement chez Marvel) viennent du monde entier et sont bien rédigés. C’est une sorte de tradition depuis Giant-Size X-Men #1. Dans les seventies, les USA se préoccupaient assez du monde extérieur (il faut dire qu’avec le Viet-Nam, les USA soignaient leurs alliés). Cela se transposait parfaitement dans X-Men. Quand le titre fut relancé, Len Wein, Roy Thomans, Bill Mantlo et Dave Cockrum pensaient qu’une équipe internationale s’intégrerait très bien. Ce serait une métaphore de la lutte anti-racisme qu’ils allaient ajouter aux X-Men.

Les mutants (comme les hommes) sont frères où qu’lls soient nés et élevés. Les nouveaux X-Men incluaient alors une déesse africaine (Tornade), un (supposé à l’époque) Canadien (Wolvie), un fermier russe (Colossus), un irlandais (Le Hurleur) et même un « elf » allemand (Diablo).

Avec le temps, de nouveaux membres vinrent selon le même principe. Les Nouveaux Mutants avaient un Brésillien (Solar) et une écossaise (Félina). Et même Génération X avait une Algérienne (quoi que sa nationalité ait été ensuite remise en question), M, et un chicano (Skin). Et comment oublier des mutants périphériques comme les Maximoffs (Vif-Argent et la Sorcière Rouge) d’Europe Centrale et Sabra, d’Israël. Chris Claremont et après lui Scott Lobdell, Joe Kelly ou Chuck Austen n’ont jamais cessé d’apporter des éléments internationaux (des situations aussi bien que des personnages) dans le monde des X-Men. C’est une des clés du succès de la série. Uncanny X-Men fut d’ailleurs plus rapidement un « hit » à l’étranger qu’aux Etats-Unis.

LE ROYAUME UNI, PORTE DE L’EUROPE

En raison du nombre d’auteurs anglais, il n’était que logique qu’ils prennent en main les aventures de leur super-héros nationaux. Dans la plupart des cas, ce n’était pas si mal. Et souvenons-nous que le Royaume-Uni était si important, qu’à un moment ils ouvrirent une branche (où notre ami Richard Starkings débuta !). Etrangement, la série qui aurait pu être le plus brillant exemple d’un comic book américain plein de personnages étrangers bien conçus, Excalibyr, ne le fut pas.

Oh, cela commença bien. Chris Claremont est un type qui s’intéresse beaucoup aux lecteurs et auteurs non-américains (il se débrouille aussi en espagnol, ce qui l’a aidé dans son travail avec Salvador Larrocca). Souvenez-vcous qu’il a même créé Captain Britain pendant les 70’s, dans une série qui n’était même pas disponible aux USA ! Et Alan Davis est royal quand il s’agit de représenter l’Angletterre.

Mais après leur départ, le titre se résuma à une simple série mutante de plus et perdit son âme européenne. La série fut très populaire en Europe et je me souviens qu’à sa fin (au numéro 125), à notre bureau de Comic Box nous viment arriver de nombreuses lettres demandant pourquoi Marvel arrêtait ainsi la seule série non localisée en Amérique.

En fait, les comics sont chers à leur lecteurs. Et puisque la plupart des lecteurs non-américains lisent les séries traduites, ils pensent que la version de leur pays est la seule version. Ils oublient que leur éditeur national « importe » juste le matériel. Et ils ne comprennent pas des choix éditoriaux qui sont définis seulement en considérant le marché américain.

D’un autre côté, les éditeurs américains considérent souvent que cette sorte de mags n’est que de second, voir troisième ordre. D’où la « cancellation » ou des équipes créatives parfois de second ordre. Mais comprenez-moi bien. C’est une sensation générale concernant beaucoup de séries (comme Justice League Europe). Il y eut de grands talents sur Excalibur, comme les espagnols Carlos Pacheco et Salvador Larroca. Ce qu’il en reste, c’est que les nombreux lecteurs disséminés ne comptent guère quand s’envisage la fin d’un titre. Seules les ventes domestiques comptent.

La morale ? Les comics sont un média américain. Oui. L’audience est malgré tout internationale. Oui. Donc que devraient faire les compagnies de comics pour mettre de bons personnages étrangers dans leurs comics ? Simple: engager des auteurs étrangers ou demander aux scénaristes américains de faire des recherches sérieuses. Quand Michael Crichton écrivit Timeline/Prisonnier du Temps (okay, c’était pas très bon mais c’est juste un exemple), il a passé un certain temps en France afin de comprendre l’époque médiévale.

C’est drôle. Tandis que je préparais cet article, j’ai réalisé que la raison pour laquelle, finalement, les persos venus d’autres cultures/pays étaient si pauvrement gérés était parce que 95% des auteurs de ce milieu ont pour langue maternelle l’anglais. C’est vrai, je pense que des scénaristes Japonais, Français ou Italiens seraient une expérience intéressante. Ceci prouverait que l’industrie des comic-books à l’esprit ouvert, non seulement en terme de graphisme (ça on le sait déjà) mais aussi au niveau des histoires. Après tout, tout auteur de talent devrait être capable d’écrire un personnage comme Wonder Woman, n’est-ce pas ? Quel que soit le sexe du scénariste…

Il y a des dessinateurs et des coloristes venus de partout, mais des scénaristes ? Quelques-un (comme J.M. Lofficier). Et si les éditeurs ne savent pas où chercher, je connais une horde de types talentueux sur ce continent ! 🙂

[Fabrice Sapolsky]

La prochaine fois : « Because you demanded it ! » (même si vous n’avez rien demandé…)

LES ETRANGERS DANS LES COMICS – 2 : le retour !

* Il y a des exceptions comme Rex Mundi qui est très documenté et les bouquins japonais que Marvel a essayé de manière sporadique.

NB : Pour ceux intéressés pour voir tous les personnages étrangers créés dans les comics, essayez ces pages merveilleuses:
http://blaklion.best.vwh.net/international1.html
http://blaklion.best.vwh.net/international2.html/

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