Adapter le comic-book Happy! de Grant Morrison et Darick Robertson, paru à l’origine chez Image (et en VF chez Delcourt) n’avait rien d’une chose facile. Comment rendre à l’écran l’idée d’une petite licorne bleue hantant un tueur-à-gages moribond ? Après quelques teasers inégaux, la série TV (dans laquelle Christopher Meloni incarne le tueur) a fait ses débuts cette semaine sur Syfy et donné chair à un monde délirant, bien que parfois ses références visuelles empruntent facilement à des réalisateurs connus.
Disons-le d’office, c’est avec un peu de réserve et d’appréhension que nous avons regardé le premier épisode d’Happy!, sachant que les teasers nous avaient semblés pas forcément convaincants. Rendre cohérent un univers noir avec un ami imaginaire réalisé à coup de 3-D, c’est un exercice casse-gueule. Et puis les premières images nous semblaient très colorées par rapport au parti pris du dessinateur Darick Robertson dans les pages d’origine. A la base, Happy, on l’envisagerait plutôt comme une sorte de Sin City (entendons-nous bien, le film de 2005, le meilleur des deux) où quelqu’un à mi-chemin entre Marv et Hartigan tente de sauver une petite fille… alors qu’un truc pas très clair se joue (peut-être) dans sa tête. Du coup, même si Christopher Meloni est connu pour avoir incarné sur le petit et le grand écran quelques personnages de polar, on pouvait se demander s’il serait à l’aise dans la peau de Nick Sax, un personnage peut-être un peu plus carré dans le comic-book et bien entendu en proie à des visions (réelles ou imaginaires, c’est la question ma bonne dame). Mais dès les premières minutes ces réserves s’estompent, avec une tonalité finalement bien « Sincityesque ». Entre les voix forcées, bourrues, le côté « hardboiled » et d’entêtants flocons de neige, on s’y croirait. Il suffirait de virer la couleur de son téléviseur pour l’avoir cette ambiance attendue. Au lieu de noir et blanc ou d’une palette sombre, la direction artistique a choisi un registre plus coloré, certes, mais pour mieux montrer combien les choses y sont sales, patinées. D’abord le sang gicle, c’est certain… par bouteilles entières. Mais c’est jusqu’à la simple vitre qui est maculée, tapissée d’empreintes de doigts, de matière grasse.
S’il y a quelques libertés prises avec la linéarité de l’histoire (notamment une scène de suicide délirante dans les premiers instants ainsi qu’un accent plus présent sur ce qui arrive à la petite Hailey), histoire que le premier épisode ne soit pas qu’une mise en place, l’essentiel est là, à l’écran. C’est à dire que cela ne prétend pas être la meilleure série au monde mais qu’elle prend soin de représenter le matériel d’origine. Reste bien sûr que le concept de base du comic-book a quelque chose de clivant et que, forcément, la série télévisée n’est pas pour tout le monde. Il y a ceux qui s’y sentiront tout de suite à l’aise, en immersion totale… Et ceux qui se sentiront exclus de la blague et qui en seront quitte pour s’en tenir à un premier degré. Forcément, quand vous vous retrouvez à vous demander « Et la licorne, est-ce qu’elle joue bien au moins ? », cela laisse des gens sur le carreau. Mais, surprise, pour les fans du personnage de Morrison, Happy est bien campé, dans un bleu certes un peu moins brut que dans la BD mais qui fonctionne assez bien à l’image. La bestiole-cartoon imaginaire est animée avec tout le côté caricatural et l’exagération qui convient.
Si la bonne surprise demeure (pour peu que l’on soit client de l’idée), la réalisation pêche un peu par endroits. C’est à la fois rare, isolé mais un peu trop marqué pour que l’on passe à côté. D’un seul coup, par exemple, allez savoir pourquoi, l’écran est divisé en plusieurs vignettes. Mais ce parti pris disparait aussi vite qu’il est apparu, semble ne pas être géré. On lorgne un peu sur des Tarantino. Mais à d’autres moments Meloni qui lutte pour rester éveillé (bourré de comprimés et cumulant les problèmes médicaux) a quelque chose d’un Jason Statham dans Hyper Tension. Plus loin, quand c’est au tour d’Happy d’entrer en scène, on passe par une caméra volant à travers les immeubles tandis que l’on a droit à quelques percussions. Merci Alejandro González Iñárritu (oui, nous aussi on a vu Birdman). Alors peut-être que quelqu’un de la production s’est dit que les deux projections imaginaires bleues (pourtant bien différentes) seraient rapprochées par certains et qu’il valait mieux tourner la chose en clin d’œil. Mais ces sorties donnent un côté patchwork à l’ensemble. Pourtant qu’on ne s’y trompe pas. Nous sommes entrés dans l’épisode avec les réserves mentionnées mais les avons oublié assez vite, devant ce buddy movie improbable et sans doute pas parfait, mais qui fonctionne et déploie son petit univers de manière à ne pas être simplement « une série TV basée sur les comics de plus ». Le contrat est donc largement respecté.
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