Oldies But Goodies: Adventure Comics #73 (Avril 1942)

[FRENCH] C’est la 250ème chronique d’Oldies But Goodies ! Et pour l’occasion, retrouvons une création (ou plutôt une recréation) de Joe Simon et Jack Kirby qui, sans être totalement passée sous silence n’est pas, à mon sens, reconnue à sa juste valeur. A l’époque le Manhunter de DC lorgnait ouvertement sur le Captain America que les deux compères avaient créé chez la concurrence. La ressemblance saute aux yeux mais est pourtant rarement soulignée…

Début 1942, Joe Simon et Jack Kirby, brouillés avec Martin Goodman et Timely/Marvel Comics, changèrent de crémerie et allèrent taper à la porte d’un éditeur bien plus puissant à l’époque : DC Comics. Simon & Kirby avaient déjà à leur actif un certain nombre de créations parmi lesquelles on comptait Captain America. DC su utiliser le duo en lui confiant un certain nombre de personnages existants ou nouveaux qui avaient la particularité de ressembler à une sorte de déconstruction de la formule de Captain America et des Young Allies (l’équipe de jeunes héros dirigées par Bucky, l’assistant de Cap). Ainsi donc on retrouva vite Simon & Kirby aux manettes des aventures du Sandman (qui, avec son auxiliaire Rusty, évoquait fortement la dynamique unissant Captain America et Bucky), le Guardian et la Newsboy Legion (un héros porteur de bouclier qui ressemblait également, à un autre degré, à un Captain America assisté de pseudo-Young Allies), les Boy Commandos (des pseudo-Young Allies encadrés cette fois non pas par un super-héros mais par un soldat, Rip Carter, qui ressemblait en un sens à Steve Rogers, l’alter-ego de Cap).

Et il y avait enfin, comme quatrième axe de ce dispositif, le Manhunter qui, au demeurant, ne portait pas de bouclier, n’avait pas de pseudo-Young Allies dans les jambes et ne ressemblait pas à Steve Rogers). Mais s’il n’y avait aucun de ces points communs (encore qu’on verra plus tard que certains de ces aspects étaient là, à l’aspect embryonnaire), quel était le rapport entre le Manhunter et Captain America ? La réponse est évidente dès la couverture d’Adventure Comics #73, première apparition officielle du personnage. Le Manhunter porte ni plus ni moins que le costume de Captain America dénué de ses particularités patriotiques (étoiles, bandes…) et dont on aurait systématiquement inversé les couleurs. Ce qui est rouge chez Cap devient bleu chez le Manhunter tandis que le bleu se transforme en rouge…

A l’origine, Adventure Comics avait abrité (entre autres choses) les exploits d’un simple limier non masqué nommé Paul Kirk. Ce détective aux aventures assez interchangeables avait été publié à partir d’Adventure Comics #58 et jusqu’au 72 sous le titre « Paul Kirk, Manhunter« . Manhunter (« Chasseur d’hommes) n’était pas un alias distinct utilisé par le personnage et s’entendait alors comme un simple sous-titre pour caractériser le héros (un peu à l’image de l’expression « l’homme sans peur » qu’on colle souvent derrière le nom de Daredevil). Quand Simon et Kirby arrivèrent chez DC et plus spécifiquement sur la série Adventure Comics, l’éditeur décida de ne pas trop secouer les habitudes des lecteurs et leur demanda d’utiliser des noms déjà connus. Ainsi, d’un côté, Simon & Kirby héritèrent du Sandman du Golden Age, qu’ils dynamisèrent. De l’autre, plutôt que d’inventer un personnage au nom original, il fut décidé de reprendre ce terme de « Manhunter » et d’y voir la source à un héros masqué.

Petite théorie qui m’est tout à fait personnelle (c’est à dire pas spécialement construite sur des renseignements glanés mais juste une impression, vous êtes prevenus) : Visuellement le Manhunter que Simon & Kirby lançaient alors chez DC ressemblait grandement, comme on l’a dit, à une version modifiée du costume de Captain America, lancé en mars 1941. Paul Kirk le Manhunter avait été publié pour la première fois en janvier 1941 (Adventure Comics #58, donc). Baptiser « Manhunter » le pseudo-Captain America semble donc régler deux problèmes potentiels face à Timely/Marvel : D’une part cela compliquait la tâche pour déterminer que le Manhunter était une copie de Captain America (après tout Paul Kirk le devançait de deux bons mois). De plus si jamais Marvel avait vraiment montré les dents, il aurait suffit de modifier le costume et d’encadrer tout ça comme un simple changement de tenue pour un personnage qui, d’une manière ou d’une autre, existait depuis de nombreux mois. Nommer leur création Manhunter était donc, pour Simon & Kirby, une manière d’ouvrir le parapluie.

En dehors de çà, il n’y avait aucun rapport entre le Manhunter d’Adventure Comics #58-72, Paul Kirk, et la version de Simon et Kirby. Non seulement le Manhunter d’Aventure #73 n’était pas un détective mais en plus il ne partageait pas la même identité civile. Le nouveau héros masqué avait en effet pour alter-ego un certain Rick Nelson, amateur de safaris et de chasses… Quoi qu’il en soit, la première histoire du Manhunter s’ouvre sur une page montrant le héros, en rouge et bleu, prêt à en découdre avec un individu grotesque, portant une tenue verte et orange sous le titre « Manhunter et le secret de la revanche du Buzzard ! ». On nous explique alors que Manhunter chasse « la proie la plus rusée et dangereuse qui soit… l’Homme ! ». Ou plus exactement « Seul et sans armes Manhunter traque ceux qui sont des loups pour l’homme et sont des prédateurs qui s’attaquent aux faibles ! ». Tout commence un soir alors que Rick Nelson, un riche sportif, célèbre son retour aux USA après une expédition de chasse en Afrique. Des gens de la haute société et des notables se réunissent dans son appartement pour danser et discuter. Parmi eux on note la présence d’un inspecteur, Donavan, qui fait visiblement partie des proches de Nelson. Le policier est tout heureux d’être invité. Cela le change du stress de ses enquêtes. Visiblement la ville où l’action se déroule, Empire City, souffre d’une criminalité galopante. Nelson lui propose de se relaxer et d’écouter un peu la musique de la radio pour se changer les idées. Mais l’inspecteur reste morose et explique que pendant que Nelson était à l’étranger les choses se sont encore empirées. Les crapules sont bien plus dangereuses qu’auparavant.

D’ailleurs l’émission de radio qu’ils écoutent est interrompue par un flash d’information. Le speaker explique qu’un criminel notoire, le Buzzard, a été vu dans le voisinage : « La police est alertée et les citoyens sont encouragés à la prudence. Le Buzzard est.. » Mais le commentateur de la radio est abattu en direct sans avoir le temps de finir sa phrase. C’est le Buzzard lui-même qui s’est introduit dans le studio d’enregistrement, s’empare du micro et termine la phrase restée en suspens : « … est bien plus rusé que n’importe quel flic qui oser se lancer à sa recherche ! ». Personnage à l’allure grotesque (et qui n’est pas sans évoquer, en un sens, le futur Vulture, adversaire de Spider-Man), le Buzzard est un criminel décharné. Et c’est sans doute ce physique atypique qui l’a poussé au crime. Toujours au micro, il explique : « A une époque je devait mendier pour les quelques miettes que votre supposée société voulait bien me laisser ! Mais c’est terminé ! J’ai décidé de me servir, de prendre tout ce que je veux ! Tout ! Et je défie tout homme de m’arrêter ! ». Le nom de Buzzard (soit, en bonne et due forme dans la langue de Molière, le « Busard ») tiens peut-être d’une simple coïncidence, puisqu’il était de bon ton de puiser dans la zoologie pour peupler les rangs des ennemis des super-héros et que, dans le genre, Batman avait déjà bien utilisé la recette. Mais on peut aussi se demander si l’inspiration du Buzzard de Simon & Kirby ne vient pas d’un homonyme, ennemi juré du Shield du Golden Age (et publié par MLJ Comics). On sait que le Shield de MLJ fut une influence énorme pour Simon & Kirby au moment de créer Captain America. Il ne fait donc pas l’ombre d’un doute que les deux auteurs suivaient au moins d’un œil les aventures du Shield dans la revue Pep Comics. Et comme le Buzzard de MLJ avait sévit dans plusieurs épisodes début 1941 et qu’il s’agissait (comme dans le cas du criminel « inventé » par Simon & Kirby) d’un malfaiteur vêtu de vert. Et comme le vert n’est pas franchement la couleur qui évoque le plus spontanément le plumage d’un busard, il y comme un gros doute (néanmoins il ne s’agit pas d’une certitude) que le Buzzard adversaire du Manhunter soit inspiré par celui qui, quelques mois plus tôt, affronté le Shield…

A l’appartement de Nelson, tout le monde est sidéré par l’aplomb avec lequel le Buzzard ose s’attaquer à la société toute entière. L’inspecteur Donavan saute sur un téléphone pour donner quelques premiers ordres à ses hommes et leur ordonner de se rendre au studio de radio. Puis, en se dirigeant vers la sortie, Donavan explique à Nelson que le Buzzard est, à lui tout seul, la cause de la vague de criminalité. Nelson est dubitatif : « Allons, ce n’est pas un seul hors-la-loi qui peut mettre en déroute les forces de police ! Tiens, regardez, moi… Quand j’étais dans la jungle. Il n’y avait pas un animal trop dangereux ou trop rusé que je ne pouvais pas traquer ! ». Donavan se retourne vers Nelson et lui explique, poliment, qu’il est bien gentil, qu’il est sans doute le plus grand chasseur au monde… Mais qu’en termes de criminalité il joue dans le bassin des petits. Le policier poursuit : « Ouais ! Je sais ! Les lions et les tigres sont féroces… Mais il est une proie plus dangereuse, plus coriace, plus vicieuse que tous les fauves que vous avez pu chasser. Et c’est l’Homme ! Ca, c’est une vraie excitation ! Et en plus au service de la Justice ! Vous devriez commencer par le Buzzard ! Il est le plus vif et le mortel des oiseaux que vous pourrez croiser ! ». Dans un premier temps Rick Nelson ne bronche pas. Après le départ de Donavan il retourne s’amuser avec ses invités et commence à danser avec une jolie brune, Gloria. Mais les mots de l’inspecteur ont fait mouche et l’esprit de Nelson n’est plus à la fête. En son fort intérieur il pense : « Si quelqu’un peut traquer les bêtes de la jungle, pourquoi n’en ferait-il pas de même avec les bêtes de la civilisation ? Bah ! Quelles pensées fantasques ! ». Bien vite, il sort de sa réflexion et se concentre à nouveau sur la fête… Et sur Gloria…

Au même moment, l’inspecteur Donavan et ses hommes arrivent au repère du criminel. Le Buzzard jubile : « Ho ho… Les crétins pensent qu’ils ont remonté ma piste ! Si seulement ils savaient que j’ai fait exprès de les diriger jusqu’ici ! ». Alors que les policiers approchent, il saute et le commentaire nous explique que « sa cape bat comme s’il s’agissait d’une paire d’ailes géantes ». La scène entretient le doute quand au fait que le Buzzard est simplement très agile ou bien qu’il vole. Dans tous les cas il arrive à quitter l’endroit et, sans se faire voir, appuie sur un interrupteur qui déclenche un piège mortel. Donavan et ses hommes tombent dans une trappe géante, vers une mort certaine. Le Buzzard se moque de ses victimes : « Maintenant je vais vous regarder voler jusqu’en bas ! Ha-ha-ha-a ! Bande d’idiots ! Pendant que tous vos effectifs courraient après moi, mes hommes cambriolaient une banque à l’autre bout de la ville ! ».

Le lendemain, les journaux se font l’écho de la mort de Donavan et de ses hommes. Les vendeurs à la criée clament la triste nouvelle dans les rues. Et c’est penché à sa fenêtre que Rick Nelson apprend que son ami a été assassiné. Il jure alors de prendre la relève : « Je vais suivre la piste, Donavan ! Je vais le traquer… et le forcerait moi-même à s’asseoir sur la chaise électrique ! ». Dans la scène suivante, Rick Nelson a enfilé la tenue rouge et bleue du Manhunter. Ce qui est curieux car à ce stade rien ne justifie dans l’histoire qu’il utilise une identité masquée. Nelson pourrait aussi bien proposer son aide aux forces de police sans pour autant avoir besoin de se « déguiser ». On ne sait pas non plus pourquoi il choisit ce costume plus qu’un autre alors que dans la plupart des cas les origines de super-héros expliquent (au moins tacitement) pourquoi le personnage a besoin de se masquer mais aussi la raison de l’apparence qu’il se choisit. Désirant venger Donavan, Nelson à une raison de se lancer dans l’héroïsme mais rien – tout au moins dans cette histoire de 1942 – ne vient nous expliquer l’origine du costume et du nom.

On notera aussi une chose : Entre la couverture, la page d’introduction et cette première case où Nelson porte le costume de Manhunter, le masque n’est jamais représenté de la même façon, ce qui semble indiquer que Simon & Kirby ont travaillé dans l’urgence. Sur la couverture, Manhunter porte une cagoule rouge qui lui dissimule le haut du visage (essentiellement c’est l’équivalent du masque de Captain America ou de Sandman en rouge). Sur la page d’introduction, Manhunter a été représenté avec une cagoule qui ne masque pas son visage à proprement parler. Mais le coloriste l’a quand même traité comme si un masque rouge avait été dessiné, masquant à postériori le héros. Dans cette première scène interne où il apparait en costume, Manhunter apparait sans le masque rouge mais représenté comme si un masque couleur chair recouvrait tout son visage. L’impression donnée est que le duo d’auteurs hésitent quand à la formule finale de leur personnage, comme s’ils n’osaient pas conserver le Manhunter de la couverture, qui ressemble tant (trop ?) en un sens à un Captain America recolorisé.

A se demander d’ailleurs si ces pages ne seraient pas en partie des planches prévues pour Captain America, produites au moment de la fâcherie avec Marvel : Il parait en effet assez difficile de croire que Simon, Kirby et Martin Goodman auraient pu se fâcher pile au moment où les dix premiers épisodes de Captain America avaient été produits et avant que les auteurs ne commencent les ébauches d’autres histoires suivantes. D’autres options sont possibles. Chez Marvel/Timely, Simon & Kirby dessinaient aussi des couvertures représentant d’autres héros tels que Captain Terror ou le Destroyer. Le schéma de couleurs du Manhunter évoque assez celui du Captain Terror (et même son origine, en un sens, est compatible avec celle du Manhunter, Terror revenant de la Guerre d’Espagne là où Nelson revient d’Afrique). Le masque facial de Manhunter tel qu’il apparait dans la scène évoque aussi grandement le masque similaire du Destroyer. A plus forte raison parce que par la suite ce masque de Manhunter sera conservé mais colorisé en bleu clair pour mieux le faire ressortir… Et c’est aussi de la sorte que le Destroyer apparait dans certains comics du Golden Age de Marvel. Enfin, les pseudonymes du « Manhunter » et du « Destroyer » se renvoient un peu l’une à l’autre. On peut donc grandement se demander si le Manhunter n’est pas une sorte de patchwork de planches jamais livrées à Marvel, avec certaines silhouettes qui proviendraient, elles, de projets de couvertures qui avaient été d’abord pensés pour représenter Captain America, Captain Terror et/ou le Destroyer. Cet effet « patchwork » expliquerait pourquoi le masque du héros change pratiquement à chaque nouvelle page, bien le coloriste se soit efforcé de recouvrir les différences dans plusieurs passages.

Une nuit, tandis que le Manhunter patrouille sur les toits, cherchant la trace du Buzzard, il observe une patrouille de police sidérée parce que… le criminel vient de pirater la fréquence des forces de l’ordre et leur lance un nouveau défi. Il va organiser un nouveau cambriolage ce soir et personne n’osera l’arrêter ! Il annonce même qu’il s’attaquera au transfert du joyau (au singulier) de la couronne (Il faut croire que l’Angleterre a prêté une pierre précieuse à l’Amérique). Manhunter tempête. Il jure, lui, qu’il l’arrêtera, ce Buzzard ! Mais alors que tous les policiers convergent vers l’endroit où est gardé le joyau, à l’Ouest, Manhunter fonce vers l’Est. Il flaire que, comme précédemment, le Buzzard est en train de monter une diversion en vue de détourner l’attention de son objectif réel. De plus : « Le Buzzard est un prédateur pour ceux qui sont faibles et désemparés. Il n’organiserait pas un gros coup comme le vol du joyau de la couronne ! ». Manhunter prend donc, lui, la direction des quartiers défavorisés et c’est là qu’on voit que la tentation de le rapprocher de la formule de base que Simon & Kirby employaient chez DC est grande : Alors que Manhunter marche dans la rue, il entend des garçons discuter entre eux de l’étrange créature costumée, mi-homme, mi-oiseau, qu’ils viennent de croiser. Les trois garçons sont à l’image du « gang de kids » typique de Simon & Kirby, à l’image des Young Allies, de la Newsboy Legion ou des Boy Commandos. Manhunter les aborde et leur demande où ils ont vu l’étrange apparition. A travers la description qu’ils en font, le héros à la confirmation que les enfants ont bien vu le Buzzard. Pour un peu, comme Guardian ou Rip Carter, Manhunter récupérerait son propre groupe de gosses. Mais ceux-là sont d’un tempérament différent. Quand ils réalisent que ce qu’ils ont vu n’était autre que le terrible Buzzard, ils prennent la poudre d’escampette. Non, finalement, au contraire de la plupart des créations que Simon & Kirby lanceront à l’époque chez DC, le Manhunter se passera de sidekicks.

N’empêche que, grâce à sa rencontre avec les jeunes, Manhunter est sur la pister du Buzzard. Il ne tarde d’ailleurs pas à l’apercevoir lui-même : « La seule maison qui vaille la peine d’être pillée dans le quartier est cette vieille bâtisse… Yep ! C’est là qu’il va ! Je vais l’y devancer ! ». Quelques minutes plus tard, quand le Buzzard entre la maison qu’il veut cambrioler, il est soudain piégé par une corde que le Manhunter avait disposé là. Le Buzzard se retrouve coincé, la tête en bas ! Manhunter approche en ironisant : « Bien, bien, bien… Regardez ce que je viens d’attraper ! Mon nom est Manhunter et je collectionne… les busards ! ». Le Buzzard, lui, n’a rien perdu de sa verve : « Un chasseur, hein ? Si tu es vraiment « sport », tu dois donner à ta proie une chance de se défendre ! ». Et le Manhunter est bien d’accord, d’ailleurs il coupe lui-même la corde qui retenait le Buzzard : « Okay ! Je vais te donner ta chance… Mais c’est bien plus que ce que tu as donné à Donavan et ses hommes ! Maintenant utilises tes mains pour te battre ! ». Mais le Buzzard proteste, en pointant le doigt vers une porte : « Tu es capable de ne pas te battre à la loyale ! Je demande une paire de témoins, de manière à ce que le combat soit régulier ! ». Manhunter, une nouvelle fois, cède aux exigences : « On peut aussi appeler l’armée et la marine si tu veux ! Tu auras ce que tu mérite de toute manière ! ». Mais, bonne poire, Manhunter passe la tête dans la pièce voisine et, voyant un groupe d’hommes attablés, leur demande s’il peut les déranger une minute. Les hommes les rejoignent et Manhunter se retourne ver le Buzzard : « Voilà tes témoins, maintenant allons-y ! ». Le Buzzard jubile… car les hommes de la pièce à côté sont en fait sa bande ! Tous sautent sur le Manhunter, qui est donc battu de manière totalement déloyale. Mais le criminel n’en a que faire. Quand Manhunter revient à lui, ce dernier est solidement ligoté sur une chaise. C’est au tour du Buzzard de se moquer de lui : « Quelques fois, la proie est plus rusée que le chasseur, hein, mon pote ? ». Manhunter lui promet que cela ne va pas durer.

Mais le Buzzard se désintéresse de Manhunter et retourne à des affaires plus pressantes. Il ordonne à ses hommes d’amener la vraie propriétaire des lieux, la riche veuve Marston. Son but est de lui faire changer son testament de manière à ce que le bénéficiaire soit un certain Hugo Van Beck. La vieille femme n’est pas dupe : « Et si je signe ça, vous me ferez tuer pour hériter ! ». Le Buzzard assure (de manière pas très convaincante) que ce n’est pas son intention et se fait plus menaçant. Mais il ne remarque pas que, derrière lui, deux mains neutralisent ses hommes les uns après les autres. Tandis que tout le gang reportait son attention sur la veuve Marston, Manhunter, expert en pièges, n’a pas eu de mal à se libérer. De toute manière la vieille femme n’est pas sans tempérament elle-même. Pas impressionnée par le Buzzard, elle lui arrache son masque : « Je pensais bien que j’avais reconnu ta voix ! Tu est le clochard à qui j’avais donné un peu d’argent et un repas ! ». Le Buzzard est furieux d’avoir été reconnu et promet de la tuer… L’ennui c’est que derrière lui il ne reste plus d’hommes de main. Manhunter a mis hors de service tout le gang et peut tomber dessus le Buzzard sans que quelqu’un d’autre s’en mêle ! : « Tes jours de tueur sont terminés ! Un bon chasseur connait les cordes, Buzzard ! C’est pourquoi je n’ai pas peiné à me libérer ! ». Sous les coups du Manhunter, le Buzzard tombe, inconscient. Reconnaissante, Madame Marston demande alors à son sauveur s’il va livrer les hommes. Curieusement il répond que non : « Je vais plutôt les expédier ! ». Et le lendemain, de manière assez bizarre, la police reçoit, comme si c’était un paquet de la poste, une cage contenant tout le gang. On comprendra que, puisque Rick Nelson est un chasseur, que sa marque de fabrique soit de livrer ses proies dans des cages…

Manhunter continuerait de paraître jusqu’à Adventure Comics #92, ce qui n’est pas un si mauvais « score » pour un héros du Golden Age. Mais, bizarrement, Rick Nelson ne connaîtrait que cette seule et unique aventure d’Adventure #73. Dès le #74, en effet, les responsables de DC préférèrent rebaptiser le personnage… Paul Kirk, comme si le Manhunter costumé avait été la continuation directe du personnage créé avant l’arrivée de Simon & Kirby. Et tant pis si physiquement Kirk et Nelson ne se ressemblaient pas ! Pour le meilleur et pour le pire, le Manhunter devint donc Paul Kirk. Y compris de manière rétroactive : une réimpression de cette première histoire dans New Gods #4 fut relettrée de manière à ce que le nom de Rick Nelson disparaisse, sauf dans une case (le moment où Donavan téléphone à ses hommes). Ce qui donne (à tort) l’impression à certains lecteurs modernes que Manhunter s’est toujours appelé Paul Kirk en dehors d’une case où il y aurait « lapsus ». De toute manière Simon & Kirby avaient d’autres chats à fouetter. Leurs Boy Commandos ou la Newsboy Legion rencontraient plus de succès, tout comme leurs épisodes de Sandman. Simon & Kirby laisseraient donc rapidement le soin à d’autres de produire les aventures du Manhunter qui n’aura pas, loin s’en faut, le succès d’un Captain America, bien qu’un certain nombre d’ingrédients communs soient présents. On peut néanmoins se demander si Jack Kirby n’avait pas encore un peu en tête le costume de Manhunter quelques années plus tard, au moment de créer celui porté par Giant-Man chez les Avengers…

Disparu après ça, le Manhunter ne ferait pas partie des super-héros de DC qui auraient droit à un retour en grande pompe dans les années 60. Ce qui est logique : Il n’avait pas fait partie de la Justice Society et n’avait dont pas de raison de siéger dans les « réunions » de super-héros qui avaient lieu une fois l’an dans les pages de la Justice League. Les choses allaient se compliquer, d’une certaine manière, en 1974, quand Archie Goodwin et Walt Simonson allaient moderniser le concept en le transformant en « feuilleton secondaire » publié dans les pages de Detective Comics. L’idée était qu’une organisation maléfique, le Conseil, avait kidnappé Paul Kirk à la fin des années 40 pour se livrer à des expériences sur lui et le cloner pour en tirer une armée de super-soldats. Dans un nouveau costume, le vrai Manhunter allait chasser les forces du Conseil et ses propres clones, non sans que Batman s’en mêle. A la fin de ce feuilleton devenu « cult », Manhunter finissait par se sacrifier pour vaincre ses adversaires. Si je dis que les choses se compliquèrent c’est qu’en théorie (en tout cas à l’époque) les super-héros du Golden Age avaient existé sur une terre parallèle (Earth 2) tandis que les héros modernes vivaient sur Earth 1. Or, la présence de Batman démontrait que les événements (y compris l’existence de Kirk/Nelson dans les années 40) s’étaient déroulés sur Earth 1.

Tuer la version de Goodwin et Simonson permettait également de laisser le champ libre à Jack Kirby (alors revenu chez DC depuis quelques années) de (re)créer son propre Manhunter. Un héros au costume similaire (bien que pas totalement identique) dont l’alter-ego était Mark Shaw. Techniquement, Kirby créé même deux Manhunters : un, vieux, qui meurt en début d’histoire (il aurait été ironique de l’appeler Rick Nelson, puisque le nom n’appartenait plus à personne) puis Mark Shaw qui lui succède. L’idée était sans doute de suivre la logique propre à DC depuis le Silver Age de rénover d’anciens concepts du Golden Age. De même qu’il y avait deux générations de Flash, Atom, Hawkman ou Green Lantern qui n’étaient pas directement liées, il semblait possible d’imaginer qu’il y avait donc un Manhunter moderne, vivant sur Earth 1 (bien qu’on ait vu que Paul Kirk, par la force des choses, avait aussi existé sur Earth 1). Dans First Issue Special #5 (août 1975), Kirby lança donc son nouveau Manhunter, qui était le nouvel avatar d’une secte séculaire qui s’était battue pour le bien, les Manhunters. En poussant un peu, vu le peu de détails donnés au moment où Rick Nelson utilise pour la première son costume, on pouvait imaginer qu’il avait lui-même été une recrue des Manhunters dans les années 40 (par exemple lors de son voyage en Afrique). Mais First Issue Special proposait un nouveau concept dans chaque numéro, ce qui fait que Mark Shaw resta sans suite (en tout cas à l’époque).

Pour compliquer le tout, le Manhunter de Goodwin et Simonson avait de nombreux fans, y compris parmi les scénaristes du moment. D’abord, pour la petite histoire, on notera qu’un personnage nommé Nimrod The Hunter, portant un costume très semblable (mais, entre autres choses, recolorisé) à celui du Manhunter de Goodwin/Simonson apparaît… chez Marvel, dans Captain Marvel #37 (février 1975). C’est sans doute un hommage de la part de Steve Englehart et Al Milgrom et ce clin d’œil resta sans lendemain. Mais l’offensive resta chez DC. Là aussi il y avait des fans du Manhunter façon Goodwin/Simonson.

Aussi quand Gerry Conway lança la Secret Society of Super-Villains, en 1976, il incorpora un clone survivant de Paul Kirk (un de ceux créés par le Conseil). Mais ce clone-là (qui deviendrait un ami de Captain Comet), à la différence des autres copies de Kirk, n’était pas maléfique et avait infiltré la Secret Society pour mieux pouvoir combattre de l’intérieur les plans de Darkseid. Cet autre Manhunter serait cependant vite tué après que Conway ait quitté la série.

Tout cela encourageait néanmoins une nouvelle fois le lecteur à intégrer deux constats : Premièrement, il était là encore évident que tout ça se passait sur Earth 1 et que le Paul Kirk de 1942 n’avait pas, au contraire des super-héros de la Justice Society, vécu sur Earth 2 (encore qu’on pouvait imaginer qu’il y avait un Manhunter de Earth 2 dont on n’avait pas daigné nous parler). Secondement, il semblait qu’il ne fallait pas faire grand cas de Mark Shaw, le Manhunter entrevu dans First Issue Special, qui semblait destiné à rester un singleton dans la continuité DC, les séries semblant préférer faire référence à Kirk où à d’éventuels clones (comme ce serait une nouvelle fois le cas, bien plus tard, dans la série Power Company).

Mais en 1977, Steve Englehart, passé chez DC pour scénariser (entre autres choses) les aventures de la Justice League, allait relancer la machine dans une autre direction. Captain Marvel #37 nous avait montré qu’il était fan de la version Goodwin/Simonson. Peut-être trop pour oser y retoucher. Dans Justice League of America #140, il emprunta donc une nouvelle direction. De la même manière qu’il y avait, sur deux terres différentes, un Green Lantern du Golden Age ‘(Alan Scott) et un Green Lantern « moderne » (Hal Jordan) aux prétentions beaucoup plus cosmiques, Englehart parti du principe qu’il pouvait y avoir une organisation interstellaire de Manhunters, que ces Manhunters étaient ceux qu’on avait vu dans First Issue Special #5, que Mark Shaw avait été manipulé par eux sans le réaliser et qu’en prime les Manhunters avaient été les agents des Gardiens de l’Univers avant l’invention des Green Lanterns. Seulement voilà, l’essentiel des Manhunters étaient des robots défaillants, qui avaient finalement décidé de détruire toute vie biologique.

On est bien loin du concept d’origine de Rick Nelson/Paul Kirk mais, une fois encore, la scène d’Adventure Comics #73 où le héros apparaît en costume est si soudaine qu’il y a largement la place pour qu’une organisation (que ce soient les Manhunters bienveillants de First Issue Special #5 où les Manhunters destructeurs de Justice League of America #140) lui ait confié ce costume et, comme Mark Shaw, l’ai manipulé (d’ailleurs dès JLA #140, Shaw fait mention de Kirk et de son appartenance au même ordre de Manhunters que lui, sans entrer dans le détail).

Sauf que. Tout ça serait presque trop simple. Quand Roy Thomas lança la série All-Star Squadron (qui racontait les exploits des héros de la seconde guerre mondiale sur Earth 2) au début des années 80, il prit soin d’y intégrer virtuellement tous les héros qui avaient pu être publié par DC (et les concurrents rachetés depuis) dans les années 40. De fait, Manhunter (Paul Kirk) ne tarda pas à apparaître dans les scènes de foules de la série. Ce qui posait à nouveau la question de savoir comment un héros d’Earth 2 pouvait avoir échoué sur Earth 1 à une autre date sans aucune ébauche d’explication.

Tout cela serait finalement amalgamé quelques années plus tard, après la série Crisis On Infinite Earths. D’abord, il en était terminé des terres multiples : tous les super-héros étaient supposés avoir existé sur un seul monde qui avait connu deux grandes générations de super-héros (la première dans les années 30-40, la seconde à l’époque « moderne »). Cela réglait donc d’office la problématique d’un Paul Kirk qui semblait s’être promené à travers les mondes sans en avoir conscience. Mais Englehart scénarisa pour DC le grand crossover Millenium, qui reposait énormément sur les Manhunters « cosmiques » vus à partir de Justice League of America #140. A l’occasion de cet événement, Roy Thomas consacra tout un numéro de la série Secret Origins pour expliquer de manière cohérente les liens entre les différents Manhunters existants à l’époque. L’idée centrale est que les Manhunters « cosmiques », apprenant l’existence du premier Green Lantern terrestre (Alan Scott) crurent à tort qu’il s’agissait peut-être d’un agent placé là par les Gardiens de l’Univers. Ils décidèrent donc de « sponsoriser » un certain nombre de héros pour les représenter parmi la population humaine, en attendant que les Gardiens dévoilent leur jeu. Parmi ces héros il avait Paul Kirk et il y aurait, à terme, Mark Shaw. Bien que dans les années 40 Rick Nelson/Paul Kirk n’ait guère connu qu’une vingtaine d’épisodes et n’ai pas, à l’époque, particulièrement marqué les esprits, à la longue le concept a été l’origine d’une ribambelle de successeurs mais s’est développé en une organisation qui, avec le temps, est devenu une part importante de la mythologie de Green Lantern (de nos jours il est assez courant que Geoff Johns fasse référence aux Manhunters dans ses histoires) mais aussi de l’univers DC en général (à travers des crossovers comme Millenium ou même Sinestro War). Bien sûr, ce n’est pas vraiment ce que Joe Simon et Jack Kirby avaient en tête en composant l’histoire initiale d’Adventure Comics #73 mais, en regardant avec le recul cet étrange personnage dont le masque change pratiquement à chaque case (et qui est rebaptisé un mois plus tard), on peut se dire que, déjà à l’époque, ses créateurs avaient une vision assez « élastique » de ce qu’ils voulaient faire de lui. Et comme la nature a horreur du vide, c’est finalement les personnages les moins bien définis qui laissent parfois le plus de place à la croissance d’idées nouvelles…

[Xavier Fournier]

PS: Il y a bien d’autres personnages portant le nom de code de Manhunter. Certains ont été également liés aux « Manhunters cosmiques » (comme Dan Richards, le Manhunter de Quality) mais dans un souci de clarté, ils feront l’objet d’autres chroniques complémentaires quand l’occasion se présentera.

PS2: Ce dimanche 28 août aurait marqué l’anniversaire de Jack Kirby…

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