Le Destroyer fut l’un des premiers super-héros initiés par Stan Lee. Mais, en termes de longévité ou de popularité, ce serait également le personnage de Lee le plus endurant de tout le Golden Age (éclipsant ainsi ses autres créations comme Jack Frost ou Father Time). Publié dans divers magazines entre 1941 et 1946, le Destroyer dépasse même, en termes de longévité, la plupart des héros Timely. De quoi faire de lui, par ordre d’importance, le quatrième ou cinquième personnage de la firme dans les années 40. Ce succès relatif s’explique par le fait que Stan Lee, contrairement à ce qu’il avait fait pour Jack Frost et Father Time, n’avait pas vraiment joué la carte de l’originalité. Dans l’épisode initial du Destroyer (Mystic Comics #6, octobre 1941), il utilisait clairement une recette empruntée à Captain America (et donc à Joe Simon et Jack Kirby) en la « délocalisant » : Le journaliste américain Keene Marlow décide que pour enquêter sur les méfaits des nazis il lui faut s’aventurer en Allemagne, derrière les lignes ennemies, mais il ne tarde pas à être fait prisonnier. Conduit dans un camp de concentration, il est enfermé aux côtés d’un scientifique qui s’est révolté contre les nazis. Heureusement pour Marlow, le bon professeur ne se déplace jamais sans un exemplaire d’un miraculeux sérum qu’il a mis au point (ou bien les éléments du sérum peuvent se réunir au fond d’une geôle, ce n’est pas très clair). Louant l’héroïsme de Marlow, le scientifique, avant de mourir, lui injecte ce produit et fait de lui l’équivalent d’un super-soldat. Marlow, devenu un être humain parfait, peut alors s’enfuir et décide de profiter à la fois de sa nouvelle endurance physique et du fait qu’il se trouve en Allemagne pour attaquer les nazis de l’intérieur, par l’arrière. Il devient une sorte de super-héros infiltré, le Destroyer, actif surtout en Europe continentale.
Il y avait un potentiel inexploité dans la personnalité de Marlow qui n’allait pourtant guère intéresser les auteurs. Stan Lee et ceux qui écriraient à sa suite les aventures du personnage se concentreraient plus sur le côté « maquis », le Destroyer apparaissant souvent comme s’il était en activité 24h sur 24 sans grande vie civile et sans « supporting cast » autre que l’agent Florence Von Banger (nom qui, de nos jours, la ferait passer pour une pornstar puisqu’en argot américain, par analogie au « gangbang » un banger est un partouzeur ou une partouzeuse). En fait, comme le Destroyer laisse le plus souvent de côté l’autre penchant de sa vie, les scénaristes n’ont pas toujours l’air d’être d’accord sur qui se cache sous le masque. Ou en tout cas ils n’en ont pas forcément la même définition. Dans All-Winners Comics #9, par exemple, après avoir ramené une jeune femme en Angleterre, il s’en va en expliquant qu’il doit retourner vers son « peuple ». Or il retourne bien dans l’Europe occupée, ce qui laisserait croire que le Destroyer est soit un européen ressortissant d’un des pays occupés soit un allemand qui est opposé au régime nazi.
Le Destroyer était d’autant plus hyper-actif que les scénaristes s’inspiraient souvent de ce qu’ils lisaient dans les journaux pour la trame de leurs histoires. Ce qui n’était d’ailleurs pas rare à l’époque. A défaut d’internet ou d’une télévision qui pouvait faire vivre les expériences en direct, la plupart des auteurs de comics vivaient les événements par procuration, en lisant la presse et quand, dans certains cas, l’aspect militaire d’une aventure semble beaucoup plus détaillé ou ancré dans la réalité, il n’est pas rare qu’on puisse retrouver un article paru quelques semaines en amont qui en soit clairement l’inspiration.
Le principe de base du Destroyer était de n’apparaître que derrière les lignes ennemies mais pas forcément en Allemagne. Plusieurs de ses aventures se déroulent ainsi dans la France occupée et c’est ainsi que nous retrouvons le personnage près des côtes de France, où la Résistance l’a prévenu qu’il devait absolument rencontrer une unité anglaise de commandos. Le Major Whalen, qui est le contact du héros, ne tarde pas à arriver et à tout bonnement lui confier la garde des plans du « Second Front ». Autrement dit, il donne au Destroyer les détails du D-Day pour qu’il les remette aux résistants français. Mais avant de quitter le héros, Whalen glisse une confidence à son oreille (ce qui n’a pas de sens puisqu’ils sont seuls et que si vraiment il fallait tenir un secret, il aurait fallu faire des messes basses depuis le début de l’entrevue). Cette fois totalement briffé, le Destroyer s’élance, non sans avoir promis qu’il ne faillirait pas à sa mission.
Malheureusement pour lui, le Destroyer ne tarde pas à tomber sur un garde nazi (ne nous demandez pas ce que fait ce garde au milieu de nulle part). Le héros masqué a tôt fait de venir à bout de cet unique adversaire mais il n’a pas le temps de rester sur place pour l’achever. Au contraire il s’écrie : « Pas le temps de le finir ! Je dois livrer ces plans du Second Front à la Résistance ! ». Quelle imprudence ! Pas totalement dans les pommes, le nazi a entendu le monologue du Destroyer et prévient rapidement sa hiérarchie. Très vite toutes les forces allemandes du secteur apprennent ainsi que le Destroyer transporte le fameux plan tant convoité et elles se mettent à sa recherche. Même le responsable global, le Hauptmann Schnagel, décide de se joindre à la chasse à l’homme et, en voiture, prend la route de Chapelle (« Chapelle » pourrait désigner plusieurs endroits en France, ce qui fait que la région exacte des événements reste indistincte, mis à part qu’on reste forcément à proximité des côtes de l’Atlantique ou de la Manche). Conscient qu’on le recherche, le Destroyer est loin de s’affoler. Au contraire il s’en félicite… Quand Schnagel et ses hommes le rattrape, le héros est assez agile pour neutraliser le détachement et pour s’enfuir au volant de la voiture personnelle du gradé. Les allemands le prennent en chasse, néanmoins, et arrivent à suivre la trace du véhicule jusque dans les bois, à proximité d’une maison dont ils s’approchent en faisant preuve de discrétion.
Le Destroyer ? Il est enfermé sur le champ dans une geôle, sans doute pour qu’il puisse assister au carnage qu’à provoqué sa propre incompétence. Ses gardiens se moquent de lui : « Der Destroyer être en train de defenir fou ! Il sait qu’il est la causse de l’échec du débarquement ! ». Et un autre renchérit « Schnagel l’a laissé vivre pour qu’il puise écouter la grande noufelle de la défaite de l’armée des alliés ! ». Et, comme prévu, les forces allemandes attendent, tapies du côté de Chapelle. Mais quand vient le moment, elles ne voient rien venir. Les nazis n’y comprennent rien. Pourtant les plans parlaient bien d’une invasion ici et à cet instant ! En fait l’heure était la bonne mais c’est à des centaines de kilomètres de là que le débarquement se déroule réellement. Là où les forces allemandes sont diminués… parce qu’une partie des troupes a été envoyée à Chapelle attendre un faux débarquement ! Le tout était une tromperie ! Les plans mentionnant Chapelle sont des faux, prévus pour leurrer les nazis et les inciter à se concentrer au mauvais endroit ! Le vrai débarquement (comprenez par là celui qui aura lieu finalement en Normandie) est en train de se dérouler ailleurs !
Keene Marlow a donc un rôle essentiel dans la seconde guerre mondiale telle que vue par Marvel mais sur le long terme il a finalement laissé peu de traces. Bien qu’utilisant le Destroyer, Roy Thomas a totalement effacé Keene Marlow pour le remplacer purement et simplement par un anglais. Fini l’histoire du glorieux journaliste qui avait déjoué le Bund américain sans attendre la guerre. Dans la version réinventée, l’origine est la même (l’homme est bien enfermé avec un professeur qui lui injecte un sérum de super-soldat) mais tout le reste est différent. C’est en fait Brian Falsworth, fils du Union Jack originel (celui de la première guerre mondiale) et frère de Spitfire (héroïne associée aux Invaders). Tout au plus ce que pressentaient de nombreux fans fut officialisé dans le récent Marvels Project : Keene Marlow est une sorte de nom de rechange utilisé par Falsworth pour entrer en Allemagne à une époque où cette dernière était déjà en guerre avec l’Angleterre mais pas encore avec les Américains. L’idée tente de réconcilier les deux noms du héros mais elle me paraît tout au plus un petit pansement de continuité qui remplace peu (ou pas) l’idée d’un américain altruiste qui n’a pas attendu Pearl Harbor pour infiltrer l’Allemagne ou pour lutter contre les fascistes quand il était encore en Amérique. Ceci dit, il en est ainsi : Brian agît comme Destroyer (Marvel l’appelle souvent le Mighty Destroyer pour ne pas confondre avec Drax le Destroyer, le Destroyer lié à Asgard et les nombreux autres Destroyer/Destructeur qu’on peut trouver dans les revues) jusqu’au moment où les Invaders arrivent en Allemagne, en 1942, pensant le sauver. Finalement, Falsworth consent à revenir avec eux en Grande-Bretagne, où il devient le second Union Jack (celui le plus souvent vu quand un flashback montre les alliés anglais des Invaders).
Mais avant de quitter l’Allemagne, Falsworth est réticent à laisser derrière lui le rôle du Destroyer, qui frappe de terreur les nazis. C’est donc l’ami (plus tard révélé comme étant l’amant) de Falsworth, Roger Aubrey (ex-super-héros miniature surnommé Dyna-Mite) qui devient le deuxième Destroyer (ou le troisième si vous comptez quand même Keene Marlow) à parti de 1942. En toute logique c’est donc, du point de vue de l’univers Marvel, Roger Aubrey qui est le héros de l’épisode que nous venons de voir. En fait les deux approches sont possibles (même celle conservant Keene Marlow) puisque récemment Robert Kirkman a ramené le Destroyer originel dans une mini-série MAX se déroulant dans sa propre continuité. Dans cette mini le Destroyer est bien Marlow qui est resté actif pendant des décennies, père et grand-père d’une petite famille. Ces exploits publiés pendant la guerre peuvent donc s’appliquer à lui. D’une certaine manière, en ce qui concerne le Golden Age, l’important reste que le Destroyer (qu’il soit Marlow, Falsworth ou Aubrey) ait été un des personnages Marvel/Timely dont l’actualité ait été le plus lié à au déroulement de la guerre… Peut-être encore plus que Captain America lui-même, qui luttait, lui, contre des saboteurs plus illusoires… Et le débarquement n’était qu’un de ses faits d’armes. Nous reviendrons sans doute à d’autres aspects du Destroyer dans de futures chroniques…
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