Oldies But Goodies: Batman #69 (Fév. 1952)

[FRENCH] Nous avons déjà vu comment Bill Finger, le créateur de Catwoman, avait impulsé en 1950 une rédemption de la femme-chat. Finie sa période criminelle : Autrefois sans identité, Catwoman était devenue Selina Kyle, une alliée (mais aussi, peut-être, une compagne potentielle) de Batman. Mais Finger travaillait par touches. Et si Catwoman n’était plus malhonnête, il fallait alors la remplacer dans la pègre de Gotham. D’où la création du King of the Cats ou du Cat King, selon votre préférence…

On aurait pu penser qu’après que Selina Kyle ait été littéralement guérie du mal dans Batman #62 (comme on a pu le voir ici) et ait renoncé à l’identité de Catwoman, sa carrière ne pouvait guère que prendre deux chemins. Soit, par un revirement total, devenir une auxiliaire active de Batman (Catwoman rejoignant alors Batman et Robin dans leur combat contre le crime), soit se fondre dans un relatif anonymat et, faute de devenir la fiancée officielle de Bruce Wayne, disparaître petit à petit. Mais le scénariste Bill Finger (co-créateur de Batman mais aussi de Catwoman) avait en tête quelque chose de plus feuilletonnant, assez différent des habitudes de DC à l’époque. En 1950 il avait fait de Selina Kyle une simple commerçante honnête, propriétaire d’une animalerie, mais jouait depuis avec les nerfs des héros et des lecteurs. Régulièrement Batman et Robin croisaient le chemin de Selina, le temps de se demander si sa carrière de Catwoman était réellement terminée et surtout si elle était totalement honnête. C’était déjà le cas dès Batman #65 (« Empress of the Underworld », juin 1951) et c’est ainsi que s’ouvre l’histoire qui nous intéresse présentement, parue dans Batman #69, en 1952.

Bruce Wayne (Batman) et Dick Grayson (Robin) passent en civil devant l’animalerie de Selina et le jeune garçon confie comment, à chaque fois qu’il passe devant cette devanture, il a du mal à croire qu’une commerçante si respectée ait été la néfaste Catwoman. Bruce lui dit alors de se souvenir que pendant sa carrière criminelle elle était victime d’une amnésie sélective et qu’elle n’était pas vraiment elle-même. D’ailleurs, en parlant de criminels, Bruce explique à Dick qu’il est temps qu’ils aillent en chasser quelques-uns… Ils enfilent donc rapidement leurs costumes de Batman et Robin et partent en patrouille nocturne à travers Gotham. Mais ce soir là tout à l’air calme. Vont-ils rentrer bredouille ? Batman l’espère… Cela voudrait dire que pour une fois rien de néfaste ne se produit dans la ville. Mais c’est de Gotham dont on parle. Et pendant ce temps-là, dans un autre quartier, une bijouterie est attaquée par… des hordes de chats ! C’est le début d’une nouvelle vague de crimes. Tandis que le personnel de la boutique tente de maîtriser les félins, un gant griffu s’empare des bijoux les plus précieux. Plus étonnant : Les chats répondent aux commandes de cette main mystérieuse au point de prendre les pierres précieuses dans leur gueule et de les ranger dans des sacs… L’idée d’une troupe de chats dressés peut paraître ridicule… Enfin « paraître »… Elle l’est… Mais le principe vient sans doute de l’inspiration première du nom du personnage. Le « King of the Cats » est un vieux compte folklorique anglais, sur des chats qui enterrent un trésor. C’est sans doute là que Bill Finger a trouvé l’inspiration d’une bonne partie de l’épisode…

Arrivant, trop tard, sur les lieux, Batman et Robin ne pensent pas au folklore anglais. Ils ne peuvent s’empêcher de remarquer : « Des chats ! En train de commettre un vol ! Quelqu’un utilise une vieille méthode de Catwoman ! ». Et quand Batman interroge le propriétaire du magasin, celui-ci lui confirme que quelqu’un habillé dans un « costume de chat » vient de s’enfuir dans une allée sombre.

On sent que Robin (qui, sans doute trop jeune pour s’intéresser aux filles, n’a jamais été réellement un grand fan de Selina Kyle) remet tout de suite sur le tapis une possible rechute : « Bon sang, Batman, est-ce que tu crois que Catwoman est retombée dans le crime ? ». Le héros adulte est plus hésitant mais ne peut ignorer les indices : « Je… Je ne sais pas ! Peut-être que son amnésie est revenue ! Nous le verrons bientôt ! ». Lancé à la poursuite de la silhouette féline, ils sautent par dessus une palissade et se précipitent au coin de la rue. Mais là ils sont interceptés : quelqu’un pourvu de longues griffes les attaque au point de déchirer une partie de leurs vêtements : « Enfin, Batman et Robin, nous avons notre première rencontre ! Et c’est une CAT-astrophe pour vous ! Ha ha ! ». Notons au passage que ce dialogue est un pur exemple du style de Finger, qui avait déjà souvent utilisé les jeux de mots à base de « CAT ». Dans Batman #35 (1946), Catwoman évoquait une CAT-aracte, un CAT-erpillar… etc… Et c’est finalement une continuation de tout le vocabulaire que Finger avait mis au point dans la mythologie de Batman, avec la Batmobile, le Batplane, le Batarang, le Bat-Signal.

L’attaquant recule dans l’ombre mais Robin est bien obligé de constater : « Ce n’est pas la voix de Catwoman ! C’est un homme ! ». L’inconnu prend alors le temps de se révéler à la lumière. C’est bien une version masculine de Catwoman : « Permettez-moi de me présenter : Je suis le maître du monde des chats… le King of the Cats ! ». Pourquoi pas simplement Catman ? Parce que pendant le Golden Age des Comics il y a avait déjà eu différents personnages nommés Catman et que Finger ou plutôt DC Comics ne voulaient sans doute pas de ce genre de complications légales à l’époque.

De toute manière Bill Finger aurait l’occasion de se « refaire » quelques années plus tard puisqu’il est associé à la création ultérieure de deux Catman dans l’univers de DC. Il est très probablement le scénariste de Blackhawk #141, paru en 1959 (où apparait un Catman jaune et gris) et assurément celui de Detective Comics #311 (1963) où apparait Tom Blake, le Catman le plus connu des lecteurs contemporains (puisqu’on a pu le revoir dans Secret Six). Et il convient de rappeler que Finger était par ailleurs le co-créateur de Wildcat… Bref, on parle clairement d’une marotte dans la carrière de l’auteur… Peut-être pas une idée fixe mais en tout cas une idée qui revient très régulièrement dans sa carrière…

Pour en revenir au King of the Cats, le Roi des Chats profite de l’effet de surprise pour sauter dans une voiture assez baroque, sa « Kitty-Car » : « Dommage que vous n’ayez pas amené votre Batmobile ! Nous aurions pu faire la course ! ». Simples piétons, Batman et Robin ne peuvent que regarder le véhicule qui s’éloigne. L’adulte est le premier à réagir : « Robin, voilà des ennuis ! Si cet homme a décidé de devenir le roi de la pègre, nous risquons de devenir des combattants du crime très occupés ! ». De retour à la bijouterie, Batman découvre que le voleur mystérieux est un as de la manipulation. Les employés ont bien sur rattrapés autant de chats que possible… Mais ils transportaient de faux bijoux ! Le King of the Cats s’est servi des chats comme d’une diversion, alors qu’il s’emparait des vraies pierres précieuses… De retour à la Batcave, Robin peste : « A peine nous sommes-nous débarrassés d’une reine du crime que nous devons nous préoccuper d’un roi d’un crime ! ». La reine du crime, c’est Catwoman. L’univers du Batman du Golden Age est en effet à peu près aussi féminisé que celui de Tintin. Catwoman étant pratiquement la seule criminelle récurrente, il n’était pas rare qu’on la qualifie non pas de « reine des chats » mais bien de « reine du crime ». Cette distinction sera importante pour une bonne compréhension d’autres scènes de cet épisode. La réaction de Batman est différente mais assez pittoresque : convaincu que le King of the Cats va leur donner du fil à retordre, le héros commence à construire une nouvelle vitrine à trophées pour les futures affaires liées au malfaiteur. Et il voit juste puisque, dans les jours suivants, le King of the Cats fait la une des journaux avec de nouveaux vols que Batman n’arrive pas à empêcher.

Finalement Batman et Robin se décident à aller poser des questions à une experte en la matière : « Je pense qu’il est temps que nous allions parler avec Selina Kyle ! Étant une ex-Catwoman, elle devrait pouvoir nous donner quelques conseils pour combattre le King of the Cats ! ». Une fois à l’intérieur de l’animalerie, cependant, la réaction de la jeune femme est mi-figue mi-raisin en ce qui concerne son imitateur : « Je suppose que si j’étais toujours une criminelle, je serais intéressé par l’idée de le rencontrer ! Vous devez admettre qu’il a du cran ! ». Mais la discussion est interrompue par l’arrivée d’un garçon de course qui livre des fleurs. Batman note alors que Selina a l’air intimidée et qu’elle semble avoir un admirateur secret. Mais la jeune femme botte en touche. Elle prétexte un soudain mal de tête pour mettre fin à l’entrevue. Mais Batman a remarqué quelque chose. Les fleurs livrées sont un assortiment de Tiger Lillies (une variété de tulipes) et de « Cattail Reeds » (des roseaux). Entre des tulipes « tigres » et des roseaux « queue de chat », Batman commence à se méfier. Robin aussi. Au point d’emporter, ni vu ni connu, la carte qui accompagnait les fleurs. Une fois sorti de la boutique, il montre le message à Batman : « De la part de quelqu’un qui a toujours applaudi les exploits de Catwoman », signé d’un simple K. L’adulte a la déduction rapide : « K, ceci confirme mes soupçons ! Le King of the Cats fait la cour à l’ancienne Catwoman ! ». Finger n’avait que rarement officialisé la tension sexuelle entre Batman et Catwoman mais elle était manifeste. Et ici, sans que les choses soient formellement écrites, on sent que se dessinent le contour d’une jalousie. N’importe quel admirateur de Selina Kyle nommé Kurt ou je ne sais quoi aurait pu lui envoyer ces fleurs. Et s’adressant à Catwoman, on comprendrait que l’admirateur joue sur des jeux de mots au niveau des fleurs. Mais il suffit de ce simple K pour que les soupçons de Batman s’enflamment et voit – à mots couverts – le King of the Cats comme un rival amoureux.

Pendant ce temps, dans une usine, un garde installé devant un coffre-fort remarque un chaton mignon, qu’il caresse. Mais quelques minutes après l’arrivée du chaton, une porte s’ouvre et le garde est face au… Cat King ! (suit tout une partie de l’épisode où le criminel n’est pas nommé « King of the Cats » mais bien « Cat King », ce qui semble indiquer une hésitation de l’auteur concernant le nom définitif à lui donner). Le garde tente de dégainer son arme mais il est frappé par un choc électrique. Le Roi des Chats se moque de lui : « Ah ah ! Dommage que tu ne savais pas que lorsqu’on caresse la fourrure d’un chat, cela libère de l’électricité statique ! Dès que tu as touché du métal, tu as reçu un choc ! ». Puis, sans doute après avoir forcé le coffre, le voleur quitte l’usine. Mais il a mal choisi son moment. Batman et Robin, qui survolaient la ville en Bat-Plane, l’ont aperçu ! Batman, utilisant une échelle de corde, descend alors de l’engin et saute sur le « Cat King ». Le criminel explique alors qu’il ne l’attendait pas… et qu’il n’a pas le temps de rester. S’engage alors une poursuite hors du périmètre de l’usine, jusqu’à un ravin surplombant une rivière. Le Cat King semble acculé et Batman lui crie de ne pas se jeter dans le vide. La hauteur est trop grande et personne ne pourrait survivre à ce plongeon. Revient alors une autre marotte de Finger, l’idée que les chats ont « neuf vies ». Le Cat King répond au héros qu’il va gaspiller une de ses vies supplémentaires mais qu’il est prêt à prendre le risque. C’est plus une pirouette qu’une phrase à prendre au sens littéral. Le Cat King/King of the Cat ne prétend pas réellement avoir neuf vies. Mais on ne peut s’empêcher de penser à Batman #35, dans lequel Finger écrivait déjà une scène où Catwoman sautait dans une CAT-aracte. Là, le truc est évident d’emblée. Le Cat King saute, mais en prenant le temps de s’emparer d’un lourd rocher. Batman remarque que son adversaire a utilisé « un vieux truc de cirque : Il utilise ce bloc de pierre pour se lester, ce qui va lui permettre de traverser les eaux sans problème ! ».

En attendant le Cat King semble hors d’atteinte (pour une raison étrange, Batman n’a pas l’idée de s’emparer lui aussi d’un rocher et de plonger à sa suite). Il rejoint donc Robin, qui vient de poser le Bat-Plane. Mais il a une idée en tête : « Nous devons convaincre Selina de collaborer à nouveau avec la Loi en tant que Catwoman. Peut-être qu’elle pourrait l’appât pour piéger le Cat King ! ». Cette fois les deux héros retournent voir la jeune femme mais ne lui cachent pas la vérité. Ils lui expliquent qu’ils savent que le Cat King lui a envoyé des fleurs. Surprise, Selina est ennuyée. Elle explique qu’elle veut travailler avec la loi… Mais que les choses sont compliquées. Elle implore alors les héros de la laisser, leur promettant de leur donner une réponse le lendemain. Batman, qui s’attendait à une réponse positive et instantanée, est déçu : « Bon sang ! Elle pleure ! Je… Je pense qu’elle est tombée amoureuse du Cat King ! ». Néanmoins ce sont des gentlemen. Ils quittent donc la boutique mais, après avoir fait quelques mètres, ils se retournent et aperçoivent le… King of the Cats (qui dans les pages suivantes porte un des deux noms selon les cases) en train d’entrer dans l’animalerie. Les deux héros décident d’approcher discrètement, de manière à entendre ce qui se dit. Le King of the Cats et Catwoman seraient-ils en cheville ? Oui et non. Car il est manifeste que Selina tente de raisonner le Cat King, qu’elle appelle Karl. Elle lui conseille de laisser tomber le crime et de se trouver un travail honnête. Mais le Roi des Chats rétorque qu’il veut beaucoup d’argent et que c’est la seule façon d’en obtenir. Il en a marre de travailler pour des clopinettes.

Le Cat King tente alors de renverser la proposition. Il lui demande de redevenir Catwoman, de se souvenir l’époque où elle était la Reine du Crime. Dégoutée, Selina répond qu’elle ne s’en souvient que trop bien. Le Cat King insiste : « Penses-y ! La Reine du Crime et le Roi des Chats ! Toi et moi… Ensemble ! Nous pourrions diriger la pègre ! Nous serions le Roi et la Reine du Crime ! Qu’en dis tu ? ». Mais Selina n’aura pas l’occasion de répondre. Batman fait alors irruption dans la pièce et assomme le Cat King : « Cette fois on va te rogner les griffes ! ». Le voleur est inconscient mais Selina s’interpose : « No Batman ! Tu ne peux pas l’envoyer en prison ! Je ne peux pas te laisser faire ! ». Le héros tente alors de la convaincre : « Désolé Selina ! Je peux comprendre tes sentiments mais cet homme est un criminel ! Il doit payer pour ses crimes ! ». A ce moment les choses basculent. Selina profite d’un moment d’inattention des héros pour les assommer avec un pot de fleur. Quand ils reviennent à eux, ils sont attachés et le King of the Cats est éveillé… Avec Selina qui le serre dans ses bras : « Je t’ai sauvé seulement pour te donner une chance de revenir à la raison ! Je veux que tu rendes ce que tu as volé et que tu te rachètes ! Promets-moi ! ». Mais le Cat King est dur à convaincre : « J’y penserais. Mais c’est la seule promesse que je peux te faire ! ». Le Cat King ouvre la porte pour s’enfuir et se retourne pour expliquer que la nuit portant conseil, il va aller faire une sieste (en anglais sieste se dit CATnap et on voit le retour du jeu de mots à la Finger) et que ce sera le couronnement de sa carrière.

Plus tard, Selina libère les deux héros. Robin s’étonne : « Sélina. Tu aimes vraiment ce type… ». Et l’ex-Catwoman lui répond alors que c’est bien naturel. En son fort intérieur, Batman rumine : « Naturel ? Je suppose qu’elle pense que c’est naturel d’aimer un criminel qui ressemble autant à ce qu’elle était… C’est si étrange… Une Catwoman amoureuse d’un Cat King ! ». Selina tente de plaider sa cause, d’expliquer pourquoi elle a voulu laisser une chance au voleur. Elle veut qu’il se rende de lui-même, convaincue que c’est la seule manière de le forcer à se racheter. Pas convaincus, Batman et Robin quittent les lieux. Néanmoins ils ne livrent pas Selina à la police, malgré le fait qu’elle a aidé un criminel à s’échapper. Mais Batman rumine. Une fois arrivé à la Batcave, l’adulte rumine : « Robin, je ne peux pas m’empêcher de penser aux derniers mots du Cat King. Pourquoi insister sur les mots de « Catnap » et de couronnement ? Il semblait nous défier ! ». Robin hasarde alors que ce sont sans doute des indices liés à un futur cambriolage… C’est à ce moment-là que les yeux de Batman tombent sur un article de journal. On y parle d’un rarissime lion noir qui a été acheté par un zoo privé. Il comprend alors le jeu de mot. « Catnap » non pas comme une sieste mais dans le même sens qu’un Kid-napping. Le King of the Cats va « Catnapper » le roi des animaux, d’où l’idée du couronnement…

Quelques heures plus tard le Cat King s’introduit effectivement dans le zoo en question. Il est armé d’un fusil spécial, qui diffuse des fumigènes pour endormir le lion noir qu’il convoite. Là, on est dans la pure surenchère propre aux comics super-héroïques. C’est à dire que pour endormir un lion, un super-vilain ne peut visiblement pas se contenter d’un fusil à fléchette normal. Non, il lui faut un engin trafiqué pour émettre de la fumée. Mais pendant qu’il endort le lion, il est attaqué par surprise par Batman et Robin. Le Cat King utilise alors la crosse de son fusil pour assommer Robin, avant de prendre la fuite. Évidemment, Batman se lance à nouveau à sa poursuite, avant de le rattraper. Ils en viennent aux mains mais dans le combat, ils tombent dans des fosses où sont installés des tigres, séparées par une palissade. Catwoman arrive alors sur les lieux. Cette fois elle porte son costume et n’est plus « seulement » Selina Kyle. Elle ramasse alors le fusil spécial du Cat King mais s’aperçoit qu’il ne reste qu’une balle. Batman et le Cat King sont tous les deux menacés pas des tigres différents, dans des fosses séparées. Et Catwoman ne peut donc qu’en sauver un seul ! Mais qui peut-elle choisir ? Après avoir hésité, Catwoman tire sur le tigre qui menaçait… le King of the Cats ! Elle aurait donc à nouveau choisi le crime et aurait causée la mort de Batman ?

Non. Car après avoir sauve le Cat King, Catwoman saute dans l’autre fosse et aide Batman. Elle détache sa cape verte et s’en sert un peu comme un toréador pour attirer la colère du tigre, attirant la colère du félin et laissant à Batman le temps de puiser dans ses bat-gadgets. Le tigre est bientôt ficelé par une Bat-corde. Catwoman peut alors expliquer : « J’ai sauvé Karl d’abord car je savais que tu t’en tirerais si on te laissait la chance d’utiliser ta corde ! ». Rassuré, Batman comprend qu’elle ne l’a pas sacrifié et que c’était la seule décision logique à prendre. Mais cette fois il n’est plus temps de discuter. On maintient donc le King of the Cats en place en attendant l’arrivée de la police. Ému, le Cat King confesse : « Selina, tu m’a sauvé la vie ! Il est donc normal que je t’en fasse don pour que tu en fasses ce que tu veux ! Si tu le désires, je vais me rendre et suivre mon traitement ! ». Catwoman déclare alors que maintenant elle sera fière… d’être sa sœur !

Batman et Robin sursautent. Ils étaient tellement convaincus que ces deux-là étaient amoureux qu’ils n’avaient pas pensé à une autre forme d’amour. Catwoman explique que c’est pour ça qu’elle se devait de l’aider. Elle voulait qu’il se rachète comme elle a pu le faire. Batman est rassuré : « Ca explique beaucoup de choses maintenant que j’y pense. Espérons que ta loyauté envers ton frère sera payante. Karl, tu pourras apprendre un métier en prison. Et si tu te conduits bien, tu seras vite un homme libre ! ». Karl Kyle affirme alors que, pour faire plaisir à sa sœur, il sera désormais honnête. Si Catwoman a pu se réformer alors le King of the Cats peut en faire de même ! C’est donc un happy end, qui se termine avec personne n’étant fondamentalement malhonnête. Ou tout au moins tout le monde promettant de se tenir tranquille à l’avenir.

On pourrait se dire que Bill Finger s’est donc donné beaucoup de mal pour trouver un remplaçant à Catwoman mais, dans le même temps, le dézinguer pratiquement aussi vite. Vue la fin de l’épisode, on comprend que le King of the Cats a peu de chances de revenir enquiquiner Batman. En fait l’idée réelle de Finger était sans doute d’insister sur le fait que Catwoman était maintenant totalement honnête… Et éventuellement la transformer en super-héroïne. Tous ces épisodes où l’honnêteté de Selina Kyle est éprouvée servaient sans doute de « test ». Une partie du public ou même de l’éditorial n’aurait sans doute pas accepté que Catwoman, femme de mauvaise vie, se retrouve traiter comme une héroïne d’un coup de baguette magique. Mais avec assez d’épisodes intermédiaires pour souligner qu’elle avait changé ? Malheureusement Finger semblait être le seul de cet avis. Dès 1954 d’autres scénaristes ramenèrent Catwoman dans le giron de la pègre.

Ce qui est intéressant, c’est que cet épisode a donné lieu à une forme de légende urbaine, sans doute surtout basée sur la vision de sa couverture (où le King of the Cats et Catwoman sont installés sur des trônes, comme un roi et une reine). Comme le Cat King propose à Selina Kyle d’être reine, un certain nombre « d’analystes » ont trouvé la conduite de King of the Cats assez malsaine et y ont vu une ébauche d’inceste. Leur logique veut si Karl Kyle est le roi et que Selina est la reine… Alors le frère aurait des idées assez équivoques envers sa sœur. En fait cette analyse est fausse et tient pas à la lecture. A aucun moment le Cat King ne semble réellement proposer « la botte » à sa sœur, même à un sens purement platonique. Il admire visiblement les exploits passés de sa sœur comme Catwoman et on comprendra que c’est l’inspiration de sa carrière. Et il lui offre un bouquet de fleurs, oui. Mais sorti de là, à part dans une seule case où il dit qu’ils seront roi et reine ensemble, l’idée de Karl Kyle est que tandis qu’il est « Roi des Chats », sa sœur est « Reine du Crime », ce qui fait qu’ils règneraient ensemble… mais pas forcément sur le même trône. Donc il ne s’agit pas d’y voir une même couronne partagée par un couple frère/sœur, à l’instar de l’antiquité égyptienne mais plutôt une situation à l’européenne, où on trouve dans une même famille diverses têtes couronnées régnant sur des royaumes différents. Et quand bien même… Rien ne semble inapproprié dans la conduite familiale de Karl Kyle… Cette histoire d’inceste est donc surtout le fruit d’un bouche-à-oreille délirant… Tout au plus, ce qui peut inciter à la méfiance, c’est cette histoire de « traitement » mentionné vers la fin, qui induit que Karl Kyle n’est pas entièrement maître de lui-même. Mais pas spécialement qu’il veuille faire passer sa sœur à la casserole…

Ce qui est drôle sur le long terme, c’est que le King of the Cats, relativement oublié, resta honnête plus longtemps que sa sœur. En fait pendant des décennies on ne ferait plus référence à lui et il faudrait attendre Superman Family #211 (1981) pour qu’on fasse de nouveau référence à lui (mais simplement comme le frère de Selina, il ne semblait pas avoir replongé). Au passage l’épisode officialise (si certains doutaient) que Karl Kyle est bien un ressortissant de Terre 2. Il est donc le beau-frère du Batman de Terre 2 et l’oncle d’Huntress, bien que ces liens soient assez peu exploités. Inversement, il n’y aura pas de King of the Cats ou de Karl Kyle de « Terre 1 » (comprenez sur la Terre de DC pré-Crisis). Par contre en 1993, Batman: Legends of the Dark Knight #46 présente ce qu’on peut qualifier de version revue et corrigée (disons « Post-Crisis ») du King of the Cats, qui est en fait une fusion entre des aspects du Catman moderne (Tom Blake) et du Cat King.

Dans cette histoire écrite par Doug Moench, un serial-killer portant un costume de chat noir oblige Batman et Catwoman à s’allier contre lui. Mais cette « modernisation » de Tom Blake n’a pas tenu, remplacée plus tard par l’approche de Gail Simone dans Secret Six, qui n’avait rien à voir avec le serial killer décrit dans Batman: Legends of the Dark Knight. A moins de croire que deux super-vilains félins peuvent partager le même nom civil (ce qui semblerait un peu gros) le Catman noir, celui de 1993 a donc vite été effacé. La question est de toute manière caduque, tout l’historique de Catwoman et de Catman ayant été passée à la trappe à l’occasion de la refonte de l’univers DC en 2011.

Il convient de souligner que la version Karl Lyle du King of the Cats a refait une apparition mineure (et donc perçue par le grand public) dans Seven Soldiers: Bulleteer #3, en 2006. Le scénariste Grant Morrison part du principe que, tout comme Catwoman à l’époque, le King of the Cats a pu rester honnête… mais continuer d’utiliser son identité masquée comme un héros. On le découvre donc comme invité d’une convention de super-héros. L’implication est que le King of the Cats est depuis des années un super-héros mineur qui serait actif « hors champ », en dehors de toute parution régulière de DC. Là aussi, la pertinence même des Seven Soldiers dans l’univers actuel (post-2011) de l’éditeur n’est plus de mise mais c’est une forme d’happy end assez intéressante pour le personnage, qui va sans doute bien au delà de ce que Finger avait pu imaginer pour lui à l’époque… Si le King of the Cats devait revenir dans le DC actuel, il aurait donc le choix : Apparaître dans la série Catwoman (et donc sur la Terre principale de DC), dans le rôle du frère de la protagoniste de la série ou bien dans Earth-2 où, pour le coup, il pourrait être prendre la relève de Catwoman et d’Huntress. Ce n’est pas le potentiel qui manque…

[Xavier Fournier]

Xavier Fournier

Xavier Fournier est l'un des rédacteurs du site comicbox.com, il est aussi l'auteur de différents livres comme Super-Héros - Une Histoire Française, Super-Héros Français - Une Anthologie et Super-Héros, l'Envers du Costume et enfin Comics En Guerre.

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