Oldies But Goodies: Blast-Off #1 (Oct. 1965)

[FRENCH] Dans Comic Box #68, dans le cadre d’un dossier sur les comics et l’exploration spatiale, nous avons déjà évoqué les 3 Rocketeers, éphémère création de Jack Kirby qui, quand on s’y intéresse dans le détail, a le mérite de permettre de décoder une partie du parcours du créateur. Ces trois astronautes, en effet, exploraient l’espace bien avant les Fantastic Four, y découvrant parfois des choses extrêmement similaires ou compatibles. Une nouvelle preuve de la cohérence gigantesque de l’univers de Kirby.

A la fin des années 50, Jack Kirby était sur le départ de chez DC mais pas encore confortablement installé chez Marvel. Entre les deux il accepta également d’autres missions, comme le strip de presse « Sky Masters » mais aussi différents lancements chez Archie Comics qui, sans doute inspiré par le renouveau de DC, avait des envies de jouer un rôle dans le Silver Age. Jack Kirby (en tandem avec Joe Simon) créeraient donc pour Archie « Adventures of the Fly » ou encore Lancelot Strong, le Shield du Silver Age, sorte de juste milieu entre Superman et Captain America. Kirby viendrait également muscler certaines anthologies fantastiques d’Harvey Comics, parmi lesquelles Alarming Tales ou, dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, la série Race For The Moon, montée de toute pièce pour rebondir sur la fascination du public pour les débuts de la course aux étoiles (se référer au dossier de Comic Box #68, qui s’étend plus sur ce contexte). Et Kirby était « chaud » en ce qui concernait les histoires intersidérales (son strip Sky Masters traitait déjà du sujet). Kirby s’installa donc sur Race For The Moon à partir du #2 (septembre 1958), produisant quelques histoires concernant des archétypes d’astronautes ou de pilotes de vaisseaux. Souvent, les équipages pouvaient être interchangeables d’une histoire à l’autre et, si on faisait abstraction du nom du capitaine, on aurait pu croire qu’il s’agissait de la même escouade de personnages. Dans le numéro suivant, Kirby et Harvey optèrent pour un trio de personnages récurrents, ce qui éviterait d’avoir à réinventer à chaque fois une expédition différente pour arriver à un résultat similaire…

Apparus en 1958 dans Race For The Moon #3, les 3 Rocketeers de Jack Kirby sont une création méconnue du King, qui vient s’insérer quelque part entre les lancements des Challengers of the Unknow (1957) et les Fantastic Four (1961). C’est une évidence sur le plan chronologique pour une simple question de date mais la progression thématique est également réelle. En 1957 Kirby composait ses Challengers avec Ace (le leader pilote), Rocky (le bagarreur grande gueule), Prof (l’intello) et Red (le jeune impétueux sportif). Ces aventuriers de l’impossible s’étaient réunis après avoir survécu à un crash d’avion. En 1961, lors de l’invention des Fantastic Four, Kirby collaborait à la mise au point d’un autre quatuor bien connu, celui-là ayant survécu au crash d’une fusée. Chez les Fantastic, la logique du groupe était un peu différente : Reed Richard, le leader, était en quelque sorte une compression des rôles tenus par Ace et Prof chez les Challengers. Ben Grimm, alias la Chose, était semblable en tout point à un Rocky qui aurait reçu des superpouvoirs. Et il y avait l’apparition d’une femme comme membre officiel : Sue Storm (future Sue Richards), semblable en tout point à June, la charmante alliée officieuse des Challengers. Entre les deux, moins connus parce qu’ils furent publiés chez Harvey Comics et que leurs aventures ont moins duré, on trouve les 3 Rocketeers qui sont une sorte de maillon manquant, une version comprimée des Challengers s’intéressant plus particulièrement à l’espace. Les visages étaient différents mais les fonctions étaient reconnaissables : Kip Mc Coy était le pilote/leader équivalent d’Ace, Beefy Brown était le Rocky de service quand à « Figures » Faraday (malgré une calvitie plus prononcée que Prof et le port de lunettes) était le scientifique du groupe. Les 3 Rocketeers relevaient donc de la même dynamique de groupe que les Challengers, auxquels on aurait retiré l’élément d’impétuosité et de jeunesse incarné par Red. Le contexte de la science-fiction et même une certaine terminologie (les 3 Rocketeers avant les 4 Fantastiques) préfiguraient, eux, certains éléments du groupe refondateur de l’univers Marvel.

Quand à leur origine, Kirby ne s’encombra pas vraiment de détails. Sans doute aussi que pour mieux mettre en relief les incroyables situations qu’ils pouvaient rencontrer l’auteur préféra ne pas s’étendre sur la vie personnelle des héros, de manière à ne pas dévier l’attention du lecteur. Les Rocketeers existaient dans un futur indéterminé (peut-être proche) dans lequel l’exploration du système solaire s’était banalisée et où il était courant de se rendre sur la Lune ou sur les plus proches planètes. Ce contexte suffisait à expliquer l’existence du trio.

Le problème, en 1958, c’est que Jack Kirby avait envisagé cette équipe comme un concept régulier, appelé à revenir de numéro en numéro… Mais l’éditeur Harvey n’était pas vraiment connu pour avoir de la suite dans les idées. Et Race For The Moon #3 fut aussi le dernier de la série. Les planches originales de ce qui aurait du être le quatrième numéro de la série, déjà produites par Kirby, restèrent dans un carton pendant des années.

Jusqu’en 1965 où (sans doute motivé par le fait qu’entre-temps le même Kirby était passé chez Marvel et avait lancé coup sur coup Les Fantastic, les Avengers, les X-Men, Thor et bien d’autres choses) Harvey décida d’exhumer le matériel resté inédit et de publier les 3 Rocketeers dans une nouvelle série titrée « Blast Off ! » (« Décollage !« ). Les trois personnages reprirent donc du service à travers des aventures qui, normalement, auraient du être publiées 7 ans plus tôt.

« The Great Moon Mystery » commence par une scène se déroulant sur le sol lunaire (la vision du globe terrestre, dans le lointain, le prouve). Un petit véhicule lunaire, à mi-chemin entre le tank et la jeep monoplace, avance sur le sol ravagé, ramenant au bout d’un bras mécanique… Une femme dans un scaphandre orange, visiblement inerte. Et le commentaire se charge d’instaurer l’ambiance : « Les 3 Rocketeers tombent sur l’aventure la moins plausible d’arriver sur la Lune. Sauf qu’elle arrive ! Il y a une fille magnifique, un mystère séculaire… et le plus fou, le plus sauvage voyage dans l’Histoire de l’Homme ! Suivez les Trois Rocketeers dans l’inconnu ! » En fait l’impossibilité sur laquelle Kirby insiste le plus est la présence (à l’époque considérée comme saugrenue) d’une femme. La plupart des aventures spatiales montrées dans Race For The Moon/Blast-Off n’étaient d’ailleurs pas mixtes puisqu’on envisageait l’exploration du système solaire comme une aventure para-militaire. La profession d’astronaute ou de capitaine de vaisseau était vue comme un prolongement du métier de pilote de chasse. L’espace, c’était comme le régiment et on n’imaginait pas automatiquement que les femmes auraient leur place dans un environnement si inhospitalier. La meilleure preuve étant que dans la réalité également ces messieurs passèrent avant les dames. Gagarine fut le premier homme dans l’espace en 1961 mais il fallut attendre 1963 pour que Valentina Terechkova soit la première femme à en faire de même. Douze astronautes américains mâles ont bien marché sur la Lune… Mais aucune femme. Et vu sous cet angle la phrase « C’est un petit pas pour l’Homme… » prend une autre tournure. Tout ça pour dire qu’en 1958, moment où Kirby produit l’histoire, la chose étrange dans la scène n’est pas le fait qu’on se trouve sur la Lune où qu’un engin futuriste s’y déplace (après tout l’action se déroule dans l’avenir) mais bien la présence d’une femme dans un environnement où on imagine alors seulement des mâles conquérants. Rapidement, l’homme aux commandes de l’engin (il s’agit de Beefy Brown, l’un des 3 Rocketeers) émet un signal en direction d’une base proche, en forme de dôme. Il leur demande d’urgence de le laisser entrer. Une pluie de météorites frappe la zone et il ne veut pas risquer que sa cargaison (la femme brandie au bout du bras mécanique). Une fois à l’intérieur, l’homme au scaphandre bleu montre sa trouvaille à Kip Mc Coy. Lequel n’est pas étonné par la pluie de météorites mais bien par la trouvaille de son collègue : « Bon sang ! C’est.. c’est une fille ». Et Beefy de le reprendre : « Ce n’est pas juste une fille, Kip, c’est Trina Taylor, la vedette de la télévision en 3D. Tu ne la reconnais pas ? ».

Dans le dôme de protection les trois hommes entre en une véritable effervescente. C’est un peu comme si on découvrait une femme dans un sous-marin qui est depuis des mois en plongée. Une fois Trina Taylor installée sur une couchette (mais toujours inconsciente), les héros l’observent, fascinés. Beefy est béât devant son beauté : « Elle est encore plus belle sans son casque. Mince… Trina Taylor, la pin-up des planètes ! ». Et la réponse de Kip est symptomatique du manque de présence féminine dans le secteur : « La seule femme sur la Lune… Et il a fallu que ce soit toi qui la trouve… ». Dans un autre registre, « Figures » Faraday se présente de manière vieillotte, comme s’il était en train de faire le fier : « Montrose Farraday, maître mathématicien et scientifique des environs, me présente au rapport ». La phrase a au moins le mérite de nous apprendre son vrai prénom. Mais ses deux compères n’ont pas manqué de remarquer le zèle du savant, au grand dam de Beefy : « Huh ! Regarde le Roméo atomique ! Elle n’est pas pour toi, Figures ! ». De toute manière leurs ronds de jambes restent sans effet puisque la belle Trina reste inconsciente. Le seul qui puisse donner quelques informations, finalement, c’est Beefy, qui explique l’avoir trouvée en train d’errer aux alentours du cratère Garibaldi… Et il ne comprend toujours pas comment elle a pu survivre sans que la pluie de météorite ne la décapite…

Kip, qui est toujours celui qui prend des initiatives, déduit qu’elle n’est pas arrivée là toute seule. Et qu’il y a peut-être eu un accident. Peut-être qu’il y a d’autres survivants. Enfilant leurs combinaison (Kip est toujours en orange, Beefy en bleu et Figures en vert), les 3 Rocketeers prennent alors place sur une sorte de monture à réaction, une sorte de version primitive du Fantastic-Car et ils décollent (visiblement la pluie de météorites est terminée et il n’y a plus de danger) . Comme ils ne sont que trois dans la base, cela implique de laisser la femme toute seule et Beefy s’inquiète, se demandant si elle ne risque rien. Mais Kip explique qu’elle est juste très fatiguée… et qu’il lui a laissé un mot d’explication, au cas où ils ne seraient pas revenus avant qu’elle s’éveille.

Survolant la surface lunaire, les 3 Rocketeers finissent pas tomber un étrange spectacle. Une sorte de colline étriquée, autour de laquelle du matériel, des hommes en combinaison et même des véhicules flottent, formant comme un anneau artificiel. Personne ne sait ce qu’est la colline mais Kip comprend immédiatement ce que sont les composants de l’anneau : « On dirait une équipe de tournage de la télévision. Ils devaient être en train de tourner une sorte de séquence sur la Lune, avec la fille, quand ceci leur est arrivé. Qu’en dis-tu, Figures ? ». Et le savant analyse plutôt l’étrange force qui maintient l’équipe de tournage dans ses filets : « Ils semblent pris dans une sorte de champ invisible. Je dirais que cela vient de cette pointe rocheuse ! ». Kip se dit qu’il faut d’urgence analyser cette force, avant que les astronautes prisonniers n’arrivent à bout de leur réserve d’oxygène.

Mais « vite » et « précaution » ne riment pas dans le vocabulaire de Beefy. Il prend son arme atomique (car ils sont comme ça les astronautes, ils ne sortent jamais sans leur arme atomique) et tire le rocher sans se poser plus de question : « Je vais faire exploser cette pointe rocheuse ! Cela pourrait détruire la force irradiante, Kip ! ». L’éclair d’énergie frappe la base du rocher et avant que les trois héros puissent réagir, ils sont happés par « une mer de lumière ». Transformés en énergie lumineuse « par des forces inconnues de l’Homme, le pouvoir d’un étrange vent qui souffle à travers l’infini ». En fait les 3 Rocketeers sont projetés dans une sorte de boyau qui les propulse dans l’espace.

Arrivé à ce passage, notre sixième sens de collectionneur de comics doit commencer à s’activer. Mais j’y reviendrais plus loin… Les trois aventuriers, prisonniers du faisceau, sont alors projetés dans des mondes étranges, très différents les uns des autres. S’en suit une page où chaque vignette représente une planète étrange. L’une d’entre elles est un marais habité par des hommes crabes. L’autre est un monde aquatique. La troisième abrite une sorte de dinosaure poilu géant. Sur la quatrième, des têtes jaunâtres crèvent le sol et la dernière qu’on nous montre est peuplé par des robots. Mais là aussi il faut ouvrir grand les yeux et activer son sixième sens de fan de comics. Les héros, cependant, décident de plus céder à la panique et de se concentrer sur leur point de départ en espérant que le rayon lumineux réagira à leurs pensées.

Au bout de quelques instants c’est le cas. Ils se retrouvent prêt de l’endroit où se tenait le grand pic rocheux détruit par Beefy. Il n’en reste plus qu’un cratère fumant. Kip s’approche alors de la bouché béante et théorise : « Je crois que tout a commencé. Il y a un million d’années peut-être. Peut-être plus. Quand quelqu’un a placé une machine ici, sur la Lune, et l’a abandonné à la poussière, qui avec le temps s’est durcie au point de former de la roche ». Mais l’arme atomique de Beefy n’a laissé aucune trace qui pourrait étayer cette théorie. Le colérique sergent n’en démord pas et considère que la vision qu’ils ont partagé est une preuve de quelque chose. Kip continue : « Peut-être était-ce juste un cauchemar… Peut-être était-ce une route vers une autre dimension, disponible pour des créatures supérieurement développées. Peut-être même des créatures… comme nous ! Une route construite à partir d’ondes cérébrales par cette machine ! ».

Les méditations de Kip sont cependant interrompues par l’arrivée de secours qui ont l’ordre de les ramener à la Base 4, où les attend un officier. Les 3 Rocketeers commencent à raconter leur histoire devant le gradé puis s’interrompent d’un seul coup en se demandant d’ailleurs où sont passés les hommes de l’équipe de tournage qu’ils voulaient sauver. Et Trina, la belle Trina Taylor ? Ils l’ont laissé seule dans leur dôme de sécurité. Elle doit s’inquiéter ! Ils doivent y retourner ! Mais le militaire les interrompt. Ils devront attendre s’ils veulent l’autographe de Trina Taylor car la femme et son équipe de tournage sont depuis longtemps retourné sur Terre. Les trois hommes ont disparu depuis une semaine ! Et le militaire de conclure l’histoire avec cette question : « Où donc avez-vous été pendant une semaine… avec des réservoirs d’oxygène permettant de tenir seulement 5 heures ? ». Ainsi, la preuve est donc faite que ce n’était pas un cauchemar et que les trois héros viennent de vivre une aventure vraiment très étrange.

C’est sans doute pour capitaliser sur le succès émergeant du Marvel Age que Harvey Comics publia en 1965 ces aventures oubliées dans Blast-Off #1… Et, une fois effectué ce « retour des héros », tenta même de poursuivre les aventures des Rocketeers au-delà de ce que Kirby avait pu produire. Mais toujours dans l’indécision propre à Harvey. C’est-à-dire qu’en tout et pour tout Blast-Off ne dura qu’un numéro et qu’on revit les 3 Rocketeers à partir de décembre 1966 dans Unearthly Spectaculars #2. Comme il n’y avait plus de pages laissées par Kirby, on commanda au scénariste Otto Binder et au dessinateur Mike Sekowsky mais c’est pour le moins charitable de dire que le tandem Binder/ Sekowsky n’arrivait pas à la hauteur du King et que les histoires furent de qualité moindre. A ce stade il semble bien qu’Harvey n’en était plus à lorgner sur Kirby mais souhaitait plutôt capitaliser sur la diffusion de Star Trek. L’origine que Binder donna finalement aux 3 Rocketeers fin 1966 sentait très fort la dynamique de groupe sur le pont de l’Enterprise. Kip McCoy est montré comme un intrépide pilote très directif, qui s’attire la rancœur d’un mécanicien (Beefy Brown) et d’un scientifique désormais surnommé « Doc Faraday » et non plus « Figures ». Le sort fait pourtant que ce sont le mécanicien et l’ingénieur qui lui sont attribués pour partir patrouiller dans l’espace. Car « en l’année atomique 1075 », les Nations Unies de la Terre ont créé un programme afin que des centaines de patrouilles, les « Planetroops » sillonnent l’espace pour prévenir de tout danger. Et à l’évidence les rapports des 3 Rocketeers tels qu’écrits par Binder s’inspirent largement de l’intrépide Capitaine Kirk, du mécanicien Scotty et du Docteur McCoy (alors que les relations du groupe vues par Kirby étaient beaucoup plus détendues). Ne manque guère plus que la mention « Carnet de bord de l’Enterprise… » et la présence d’un extra-terrestre qui ne comprendrait que la logique pour parfaire le tableau. Ce lifting ne portera cependant pas chance aux 3 Rocketeers. Suivant sa tradition d’inconstance, Harvey supprima également la série Unearthly Spectaculars au numéro suivant, paru au printemps 1967. Voilà comment les Rocketeers réussirent l’exploit d’avoir une « courte » carrière répartie sur trois séries différentes représentant seulement en tout et pour tout quatre comic-books, étalés sur une période de neuf ans.

Les 3 Rocketeers sont-ils pour autant une anecdote ? Comme mentionné par ailleurs dans l’article paru dans Comic Box #68, il existe beaucoup de points communs entre The Sentinel, une nouvelle d’Arthur C. Clarke parue au début des années 50 et qui a servi de fondation à ce qui allait devenir 2001 : A Space Odyssey (ou 2001, Odyssée de l’Espace, si vous préférez) et plusieurs créations de Jack Kirby. Disons que c’est une source d’inspiration dans laquelle il revient puiser à plusieurs moments de sa carrière. Et « The Great Moon Mystery » paru dans Blast-Off #1 n’y échappe pas ! Dans The Sentinel, une expédition lunaire découvre un artefact en forme de tétraèdre qui émet un signal vers l’infini. Et qui s’interrompt quand les explorateurs le détruisent… à l’aide du pouvoir atomique (Beefy utilise aussi une arme atomique, bien que plus « portable »), avant de commencer à théoriser quelle race a bien pu déposer l’engin (c’est ce qui donnerait plus tard, dans la version finale de 2001, la découverte du Monolithe sur la Lune), les deux histoires se terminant du coup sur un constat très similaire…

Dans le cas des 3 Rocketeers, cependant, pour peu qu’on soit un peu collectionneur de comics, on se fait une petite idée de la race qui a bien laisser cet encombrant souvenir et offrir un voyage aux héros un voyage entre les dimensions. Car les fans connaissent bien une race connue pour séjourner sur la Lune et apparaître dans plusieurs dimensions à la fois : Les Gardiens (et particulier Uatu The Watcher (alias le Veilleur ou le Gardien selon les éditeurs qui le traduiront en version française). Uatu… qui se trouve être un personnage secondaire de la série Fantastic Four (il a fait sa première apparition en 1963, dans le #13 de leur série) et, de plus, réside sur la Lune. Hasard ? Peut-être mais voilà : le boyau lumineux très caractéristique qui entraîne les trois hommes dans l’espace n’est pas sans avoir son équivalent dans l’univers Marvel. Quelques années plus tard, il s’avérera que ce genre de technologie (dans laquelle le corps de l’individu semble comme avalé dans l’estomac d’un boa lumineux) sera précisément utilisée par Uatu et ses semblables, donc, utilisent la même manière de se déplacer dans l’espace à travers de longues distances. On peut se reporter par exemple à la conclusion de Captain Marvel #38 pour voir une scène vraiment très similaire où le héros Kree Mar-Vell et d’autres personnes quittent la Lune exactement de la même manière pour se rendre sur le monde central des Gardiens (je fais référence à ce passage de Captain Marvel car c’est une des occasions où je me souviens avoir vu plusieurs personnages dans le boyau lumineux mais il a été utilisé bien d’autres fois par Uatu). A quelques années d’écart on trouve donc la même technologie extra-terrestre, utilisée pour quitter le même satellite… Mais chez deux éditeurs différents !

Et puis il y a un autre moment où cette aventure des 3 Rocketeers devrait agiter les antennes des Marvelophiles de longue date : le moment où les trois hommes sont projetés à travers des mondes différents, vignette après vignette.

D’abord, il y a la méthode, typique, elle aussi, d’Uatu le Gardien. Dans Fantastic Four #13, alors que le Red Ghost s’est introduit dans sa demeure lunaire, l’extra-terrestre le projette dans divers mondes, en se ventant : « En une brève microseconde je peux te transporter dans les Limbes où tu resteras pour l’Éternité. Ou bien en dépensant une infime partie de mon énergie mentale, je peux t’envoyer un million d’années dans le passé. Ou encore dans le lointain futur, où tu serais témoin de la mort de galaxies entières ».

A chaque vignette le Red Ghost change de monde… Et le Gardien explique bien que le processus est à base de pensée. C’est d’ailleurs la scène qui établit qu’Uatu peut visiter l’espace-temps comme bon lui semble et servira plus tard de base pour que le personnage soit maître de cérémonie en ouverture des épisodes de What If, où on nous montre qu’il peut se rendre dans une myriade de réalités alternatives comme bon lui semble.

Cette scène de Fantastic Four #13 aura aussi, bien plus tard, une sorte de redite dans Uncanny X-Men #137 (produit par Chris Claremont et John Byrne) où c’est Wolverine qui entre par accident dans la demeure d’Uatu et… est lui aussi projeté de monde en monde à chaque case ! Si on reprend, les 3 Rocketeers sont donc sur la Lune et utilisent par accident un moyen de transport identique à celui des Gardiens (le boyau lumineux) avant de se mettre à « zapper » entre les mondes comme tout personnage de Marvel qui se serait introduit chez Uatu et qui serait ainsi puni de son imprudence. Mieux !

Il y a encore un autre lien avec l’univers Marvel (plus précisément une autre histoire de Jack Kirby parue chez Marvel). Si on remonte à la scène où les 3 Rocketeers traversent des planètes à chaque nouvelle case, on reconnaît certaines créatures ! Au quatrième monde, si on étudie ces visages en forme de dômes jaunes qui sortent du sol, on peut identifier les Hill People, race extra-terrestre lancée par Jack Kirby en mai 1961 dans Journey Into Mystery #68 !

Le ressortissant le plus célèbre de ce peuple sera Spragg la Colline Vivante, d’abord antagoniste dans une histoire de monstre puis, dans les années 80, récupéré par John Byrne pour en faire un adversaire de She-Hulk. Techniquement, Spragg, apparu en 1961, précède Blast-Off #1 de quatre ans. Mais on doit se souvenir que l’histoire des 3 Rocketeers avait en fait été dessinée en 1958… et que Kirby y utilisait donc déjà, dans les décors, des personnages qu’il ressortirait trois ans plus tard chez Marvel (et je ne suis pas certains à 100% qu’en cherchant dans d’autres histoires les autres monstres montrés dans ce passage ne soient pas eux aussi identifiables avec d’autres projets de Kirby). A partir de ce moment-là s’installe rétrospectivement l’impression que les 3 Rocketeers sont en train de furieusement se promener dans le « multivers » et de taper à la porte d’un univers Marvel qui n’est même pas encore créé…

La vérité, sans doute un peu moins « romanesque », c’est que la création même d’Uatu, en 1963, est elle aussi inspirée de la nouvelle d’Arthur C. Clarke dont nous parlions plus tôt. Là où Clarke parlait d’une « Sentinelle », Jack Kirby utilise dans Fantastic Four #13 un « Gardien » plus humanoïde mais qui représente le même genre d’énigme pour l’humanité. D’où dans les deux cas la même utilisation d’un contexte lunaire et d’un système de veille lié à l’autre bout de l’univers. Quand aux ressemblances graphiques, elles peuvent s’expliquer par une sorte de réflexe, de tendance propre à Kirby et à ceux qui suivront ses traces de représenter d’une manière voisine un faisceau de téléportation ou la transition rapide entre plusieurs mondes. La vraie chose étonnante est que « The Great Moon Mystery » ne dure que cinq pages. Et qu’en l’espace de ces quelques pages, outre un embryon d’équipe qu’on peut considérer comme une étape vers la création des Fantastic Four, on rencontre quand même un grand nombre de « vignettes » qui ont un lien avec l’univers Marvel créé trois ans après !

[Xavier Fournier]

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