Au demeurant dans les comics du Golden Age, le monde était simple : Il y avait le blanc et le noir, le jour et la nuit, le bien et le mal. Le héros était valeureux, n’avait pas le moindre doute et était exempt de tout défaut. Il y avait bien quelques antihéros comme le colérique Namor le Sub-Mariner, chez Marvel, mais la limite entre le bon et le mauvais supportait très peu de transgressions. Comme l’avait dit Bruce Wayne dès l’origine de Batman, les criminels étaient un genre à part, craintif et superstitieux. En admettant qu’un super-héros arrive à en remettre un dans le droit chemin, l’ex-criminel promettait alors d’adopter une vie honnête et se fondait dans la société civile. Puisque bien souvent on nous expliquait qu’il s’agissait de pleutres on aurait assez mal vu qu’un ex-criminel décide à son tour de combattre le mal. Non seulement parce qu’il n’était pas supposé avoir les mêmes valeurs mais parce qu’en un sens cela aurait été remettre en cause le statut même du héros. Si un personnage qui avait été touché par le péché arrivait à se hisser à la même hauteur que le héros pur et valeureux, Batman et ses confrères y auraient perdu de leur superbe. C’est pour cela, sans doute, que le justicier de Gotham joua au chat et à la souris pendant des années avec Catwoman sans véritablement qu’on laisse Selina Kyle se racheter.
Finalement les seules conditions dans lesquelles on tolérait une rédemption d’un ex-criminel c’est quand celui-ci avait une épiphanie, une révélation impliquant un changement profond de sa personnalité. Et de préférence l’essentiel de sa carrière criminelle devait s’être déroulé AVANT qu’on le rencontre. On sentait bien que le Shadow avait fait des choses pas forcément très nettes avant de devenir un justicier urbain. Et le super-héros Plastic Man était un voleur avant de tomber dans une cuve de produits chimiques, d’échapper à la mort et de faire un séjour dans un monastère, le tout faisant de lui un homme nouveau. Dans le Golden Age les occasions où l’on rencontre vraiment un personnage d’abord sous la forme d’un criminel avant qu’il se rachète sont beaucoup plus rares. En général on trouvait un biais pour expliquer que, non, Black Canary, adversaire de Johnny Thunder, n’avait finalement jamais été « mauvaise » mais au contraire un agent infiltré dans le crime.
En fait Inferno a dès le début deux apparences. Il n’était pas rare de commander un dessin de couverture sans que l’histoire intérieure soit terminée. Et le personnage que Steel Sterling combat sur la couverture de Zip Comics #10 n’a rien d’anodin. Il est entièrement enflammé. C’est essentiellement une sorte d’Human Torch du mal. Mais à l’intérieur les auteurs n’osèrent pas s’approcher autant du héros de Marvel. Moralité : Inferno était un bad guy en apparence éphémère, comme il en apparaissait beaucoup chaque mois. Les lecteurs des aventures de Steel Sterling en furent cependant quitte pour le retrouver dès le mois suivant. Dans une nouvelle enquête, Sterling se déguise en mafieux en espérant retrouver la piste d’un autre méchant, le Rattler (en gros « le Serpent à sonnette »). Pendant ce passage « undercover » Sterling rencontre Inferno qui le prend pour un collègue et sympathise avec lui. Et quand l’identité de Sterling fini par être dévoilé, Inferno en vient à l’aider à coffrer le Rattler, décidant de se racheter. En fait Zip Comics #10 à 13 forme un arc cohérent dans lequel on assiste à l’apparition d’Inferno, à ses débuts dans le crime puis sa rencontre déterminante avec Sterling et sa décision de se « ranger » et de payer ses dettes. Dans Zip Comics #12, Inferno annonce ainsi à Steel Sterling qu’il va se livrer à la police pour expier ses crimes (c’est à dire filer à la case « Prison »). Le mois suivant les deux personnages se retrouvent néanmoins puisque Sterling doit, pour une autre enquête, infiltrer la prison où se trouver Inferno. Cette fois le bagnard le reconnaît mais le super-héros décide de l’utiliser comme un informateur et organise même son évasion pour qu’Inferno puisse l’aider de l’extérieur. Quand l’histoire s’achève, les forces de l’ordre s’apprêtent à remettre Inferno au trou mais Sterling témoigne alors en sa faveur et on promet à Verrano une sortie rapide. N’empêche. Inferno reste alors un simple type en civil qui, de temps à autre, crache du feu. Où est-ce que tout ça nous mène ?
Inutile de dire qu’Inferno ne s’est pas donné la peine de refuser sa libération pour s’évader. Il refuse donc de participer au projet et son interlocuteur, surpris, réalise que quelque chose ne tourne pas rond: « Écoute Mec ! Tu en sais trop là dessus ! Tu sais même qu’on va se débarrasser du juge qui nous a tous envoyé ici. Et qu’on va enlever sa fille aussi ! ». Mais Inferno reste de marbre et répète qu’il ne veut rien avoir à faire avec ce plan. L’autre comprend alors qu’Inferno risque de les dénoncer et lui saute pour le menacer. Le tout dégénère bien vite dans un combat entre les deux hommes. Ils sont alors séparés par les gardes. Les autres détenus, solidaires, prétendent alors que c’est Inferno qui a commencé. Les gardes décident donc de le mener devant le directeur de la prison pour décider de son sort.
Resté seul, Inferno a tout le temps de méditer sur les événements… qu’il aurait pu empêcher : « J’ai été un idiot ! Ces prisonniers ont tué des gardes à tour de bras ! J’aurais du tout raconter au directeur ! Il n’y a pas d’honneur pour des gens comme ces tueurs ! ». De plus Inferno connaît le reste du plan. Il sait que les évadés ont prévu de tuer le juge Sand. Mais visiblement le personnel de la prison, le croyant dans la combine, ne le croira plus. Alors Inferno se décide à utiliser ses pouvoirs. Défini comme un simple cracheur de feu, Inferno est en fait bien plus et ce depuis sa première apparition, quand le héros Steel Sterling avait confondu les traces laissées par les flammes d’Inferno avec une torche à acétylène. Mais plus encore que l’intensité des flammes dégagées, Inferno se distingue d’un vrai cracheur de feu par le fait qu’il peut spontanément émettre du feu. Pas besoin de boire de l’essence ou de s’équiper d’une allumette. C’est un véritable homme-dragon. La preuve est une nouvelle fois faite dans cette scène où il s’agenouille devant la serrure du mitard et… commence à cracher du feu pour la faire fondre. Il traverse ensuite une bonne partie de la prison, faisant fondre les barreaux quand c’est nécessaire.
Pendant ce temps les fuyards sont arrivés devant la maison du juge Sand. Ce dernier et sa fille sont en train d’écouter la radio, sans se douter qu’ils sont en danger. A ce moment le speaker parle de l’évasion et précise que si certains bagnards ont été repris les meneurs ont réussi à s’échapper… Tout comme Inferno. Et pour lui il y a un régime spécial. On le juge sans doute « armé et dangereux » en raison de ses pouvoirs et l’ordre a été donné de lui tirer dessus à vue ! ». C’est à ce moment là que la bande fait irruption dans le salon du juge. Sand et sa fille sont vite immobilisés. Puis les criminels forcent le coffre-fort et s’emparent des richesses de la famille. Inferno, qui a réussi à semer la police, s’introduit à son tour dans la maison en assommant un prisonnier qu’on avait placé en surveillance : « Je pense qu’on ne m’attend pas… Mais j’aimerais quand même présenter mes respects ! Voici ma carte de visite ! » s’exclame le personnage en donnant un coup de poing à son adversaire.
Bien sûr les propos du juge Sand sont un peu tarabiscoté et on sent qu’il s’agit de maintenir Inferno dans un rôle de « bon bagnard évadé » façon Jean Valjean. En fait, Sand étant juge, il lui suffirait de décrocher son téléphone pour expliquer toute l’affaire aux autorités et qu’Inferno puisse se rendre sans danger. Mais cela reviendrait à le remettre à nouveau en prison jusqu’à la fin de sa peine. On comprendra bien que c’est justement ce que les auteurs veulent éviter. Inferno reste donc en liberté mais dans la clandestinité et les deux dernières cases de l’histoire le voient en train de se confectionner une tenue : « Je pense que le juge avait raison ! Je serais un hors-la-loi… mais je combattrais pour la Loi ! Et, comme Steel Sterling, j’adopterais mon propre costume ! ». La dernière case le révèle dans une tenue rouge et or, portant sur la poitrine un symbole représentant une torche. De fait, Inferno en costume a une ressemblance certaine avec son prédécesseur The Flame, un peu comme si on avait simplement interverti certaines couleurs (d’un autre côté il est certain qu’avec des pouvoirs incendiaires, les couleurs utilisées sont plutôt le jaune, le rouge ou l’orange et assez peu le vert ou le mauve). Et le narrateur conclut « Et ainsi Inferno le Cracheur de Feu débute son étonnante carrière comme un champion du Bien !« .
A l’évidence la raison d’exister du costume (et du masque) est qu’on ne le reconnaisse pas, de manière à ce que la police ne lui tire pas dessus. Mais Inferno est le plus souvent appelé par ce surnom, qu’il soit en costume ou pas, et la ruse devient donc illogique. D’autant que, même lorsqu’il est en costume, d’autres personnages font référence au fait qu’il est un détenu en fuite. On ne peut donc même pas imaginer que les rôles secondaires de cette BD puissent penser qu’il y a deux Inferno (le détenu et le héros). Visiblement tout le monde sait bien que le héros est recherché par la police. A la fin d’une aventure parue dans Blue Ribbon Comics #19, cependant, Virginia apostrophe le procureur, après qu’Inferno ait encore apporté son aide. Elle lui demande d’user de son influence pour le faire gracier. Et le procureur en convient : « Inferno a fait bien plus que rembourser sa dette envers la société pour les quelques méfaits qu’il a pu commette ! En fait le Gouverneur lui-même m’a parlé de gracier Inferno, avant même cette affaire ! ». Inferno termine donc Blue Ribbon Comics comme un homme libre qui n’a plus rien à craindre des forces de l’ordre.
J.M. Straczynski réinventa Inferno ces dernières années, à une période où DC Comics louait les droits des super-héros Archie pour les « moderniser ». Inferno fit partie des quelques personnages qui eurent droit à leurs propres aventures mais il était méconnaissable. Straczynski en fit un concept qui sentait un peu le pilote d’une série TV : L’Inferno moderne était un être amnésique qui contrôlait le feu sans trop savoir pourquoi. Par la suite, d’autres auteurs que Straczynski allaient résoudre le mystère en expliquant qu’Inferno était en fait un androïde (d’où son amnésie). Dans la version des années 40 Inferno n’est pas un androïde et rien ne vient vraiment expliquer ses aptitudes. Mais cette explication en vaudrait d’autres. Ce serait encore, plus ou moins consciemment, une manière de le rapprocher du Huma Torch des origines. De toute manière, même en le limitant à un « simple » cracheur de feu, Inferno n’avait jamais été très loin de ses modèles d’origine. Fin 1940, l’Human Torch avait fait la connaissance de Toro The Flaming Kid alors que ce dernier se produisait, déjà, dans un cirque…
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