« Parmi tous les tumultes titaniques que Blue Flame a rencontré lors de ses batailles contre le crime, il n’avait jamais pensé que le jour viendrait où il rencontrerait un homme comme S. Aitan. D’ailleurs était-il un homme ? ». L’entrée en matière de l’unique épisode de Blue Flame cherchait visiblement à convaincre le lecteur que le héros existait de longue date. On aurait pu croire au énième numéro d’un héros très connu (ce qui était d’une certaine manière le cas si on considère que le personnage est
Là, le scénariste préfère commencer en s’intéressant à l’adversaire du héros. On découvre ainsi le dénommé S. Aitan (aperçu et identifié sur la première image) en train de marcher dans la rue avec un sac d’où dépasse des bijoux. Comme un policier tente de l’arrêter, l’arme à la main, on en déduira que S. Aitan (personnage à l’allure satanique, au point d’avoir des oreilles en pointe) vient de commettre un hold-up. Le policier le menace mais ça n’arrête pas le terrible S. Aitan, qui le neutralise d’un coup en pleine face : « Comment osez-vous interférez ? ». Puis le voleur saute dans une voiture et prends la fuite. C’est à ce moment que Blue Flame arrive sur les lieux, volant tout en étant enveloppé de flammes, dans une attitude une nouvelle fois typique du Human Torch des origines. Il tente de rassurer le policier tombé à terre : « Ne vous donnez pas la peine, Flaherty ! Je vais mettre la pression sur ce personnage ! ».
N’étant pas le dernier des abrutis, Blue Flame en déduit qu’il faut chercher sous le véhicule et trouve la bouche d’égout à travers laquelle S. Aitan s’est enfuit quelques instants plus tôt : « S’il peut supporter de courir dans les égouts, je pense que je le peux aussi… ». Bientôt Blue Flame est surpris par le gangster qui apparaît derrière lui : « Sois le bienvenu dans mon humble demeure… Tu veux te joindre à moi ? ». Comme de bien entendu, Blue Flame n’est pas le moins du monde intéressé par cette proposition. Il s’enflamme, à nouveau couvert de flammes bleues, et se précipite vers le voleur, lui arrachant des bijoux qu’il tient : « Je vais te reprendre ces joyaux volés ! Oh, mais tu as décidé de te taire maintenant que tu es pris ? ». Mais bien vite Blue Flame déchante. Le S. Aitan qu’il vient de capturer n’est qu’un mannequin de cire et les pierres précieuses sont fausses. Le héros a été trompé une nouvelle fois (et le scénariste, lui, se garde bien de nous expliquer comment le supposé mannequin de cire a pu parler quelques cases plus tôt).
Plus tard, Blue Flame constate avec amertume que son adversaire est sous l’eau depuis plus de 5 minutes et qu’il s’est sans doute noyé. Le héros utilise alors le hors-bord pour retourner vers la ville. Ce qui peut sembler bizarre au premier abord (il irait plus vite en s’enflammant et en volant) mais quand on y réfléchit le hors-bord lui permet sans doute de transporter les bijoux sans les endommager. Le héros fonce ensuite au Q.G. de la police pour rendre le butin, expliquant que le coupable s’est noyé. Mais le commissaire, très étonné, lui demande alors ce que veut dire un message écrit sur une carte de visite : « Tu m’amuses beaucoup, Flamme Bleue, peut-être que nous nous rencontrerons à nouveau ! Signé… S. Aitan ! ».
Et ainsi s’achève le seul épisode de Blue Flame paru pendant le Golden Age. La raison première, c’est qu’il n’y eut pas de Captain Flight Comics #12. Le titre s’arrêta avec ce numéro et il ne risquait donc pas d’y avoir de suite. Il est cependant permis de douter que Blue Flame était promis à un grand avenir, même si l’anthologie avait duré. Dans le jargon des comics, ce récit est ce qu’on appelle un « filler » (un « remplisseur »): un épisode bouche-trou produit bien avant et qui n’a servi qu’à boucher un trou de six pages dans la revue. D’ailleurs c’est évident si on y regarde bien. L’histoire semble comporter de nombreux soucis de logique interne mais si on y regarde bien elle était sans doute plus longue à l’origine (ce qui explique ces références étranges à des sujets) et a été écourtée pour correspondre aux pages disponibles. Reste à savoir comment et pourquoi Four Star Publications a pu prendre le risque de publier un tel plagiat d’Human Torch et de risquer le courroux de Timely/Marvel, le véritable éditeur de la « Torche Humaine » originelle. En fait il faut remettre les choses dans le contexte de l’époque. Bien qu’Human Torch soit très célèbre et identifiable dans les comics des années 40, Timely/Marvel était loin d’être un éditeur aussi important que DC ou Fawcett à l’époque. La preuve en est que la société avait du renoncer de poursuivre les imitations de Captain America et en avait été réduit à publier un avertissement demandant à ses lecteurs de préférer l’authentique plutôt que les copies. Singer un personnage de Timely, c’était donc moins risqué qu’imiter Marvel ou DC. En tout cas à l’époque.
Une autre raison de l’existence de cet épisode est qu’il n’a sans doute pas été produit pour Four Star Publications. On ne connait pas l’identité du scénariste mais les dessins sont marqués d’un « SZ » qui correspond à la signature de Zoltan Szenics. Zoltan Szenics ? Qui est donc ? Quelqu’un de pas aussi populaire qu’un Joe Kubert ou qu’un Gil Kane. Szenics fait partie de ces noms qui ne sont pas imposés dans l’Histoire des comics mais qui y ont contribué, à leur manière et de façon régulière, pendant plusieurs années. Si on se base sur ce qui est connu et identifiable, Zoltan M. Szenics (1915-1995) aura passé la plus grande partie de sa carrière comme lettreur et encreur. C’est à dire principalement comme un assistant pour d’autres artistes. Mais pendant le Golden Age on ne créditait pas systématiquement l’équipe créative et on n’a qu’une vision très partielle du parcours de Szenics. On sait qu’il était d’origine hongroise et qu’il a commencé à travailler dans le milieu de la BD américaine dès les années 30. Mais Szenics (surnommé Zully par ses pairs) ne signait pas toujours ses travaux de son propre nom. Cette aventure de Blue Flame en est la preuve. Il est arrivé d’autres fois que Szenics prenne pour pseudonyme une variation de son prénom, Zolton. Peut-être utilisa-t-il d’autres noms, ce qui complique la tâche de tout historien lancé sur sa trace. Parmi les divers repaires identifiables, on sait que Szenics avait collaboré au fameux studio « Eisner & Iger » (qui fournissait du contenu clé en main aux éditeurs à la fin des années 30). Szenics faisait déjà partie des employés réguliers de Quality Comics en 1940 et qu’il était à ce titre un collègue de gens comme Jack Cole. Szenics fut aussi le lettreur de Will Eisner sur les premiers épisodes du prestigieux Spirit. Le plus souvent lettreur ou encreur, il ne fut que très rarement dessinateur (on note ainsi quelques pages du Black Hood de chez Archie/MLJ). Il travailla aussi pour des histoires publiées par DC Comics et sans doute d’autres éditeurs…
En quoi cette carrière mal connue peut-elle nous éclairer sur la genèse de Blue Flame ? C’est simple : Elle ouvre quelques hypothèses. A commencer par le fait que cet épisode pourrait tout simplement avoir été, à l’origine, une histoire pensée et produite pour être vendue à Timely/Marvel quelques années plus tôt. Un épisode test que Szenics aurait illustré pour tenter sa chance auprès de la société de Martin Goodman ou que le studio « Eisner & Iger » lui aurait commandé en le destinant à Goodman. L’explication la plus simple serait que « Blue Flame » soit simplement un épisode prévu pour Human Torch mais qui ne serait jamais paru et qui aurait été simplement recolorié quelques années plus tard pour tenter de le faire passer pour un autre héros finalement pas si éloigné. Ce qui est intéressant de noter c’est que dans Marvel Comics #1, en 1939, le scénario du premier épisode d’Human Torch fait tout spécialement référence à la capacité du héros à changer la couleur de sa flamme… en bleu ! La mise en couleurs des dessins, elle, n’en tient pas compte, mais il y a, dans le texte, un gros indice qu’Human Torch a bien failli être bleu. Une variation de cette idée de départ est que Blue Flame n’aurait pas été une histoire d’Human Torch maquillée mais une imitation initiée par une demande de Martin Goodman lui-même. On sait qu’il cherchait à reproduire le succès de son héros-vedette. L’invention de plusieurs autres héros de Timely fut causée par les demandes de Goodman qui demandait à ses auteurs ou aux studios de lui fournir d’autres personnages façon Human Torch. C’est ainsi que furent créés, à des degrés divers, des personnages comme le Fiery Mask de Joe Simon ou encore le Blue Blaze, héros lugubre qui doit ses pouvoirs à… une flamme bleue. Une troisième théorie (à laquelle je crois moins, mais ce n’est qu’un sentiment personnel) serait de s’en tenir aux images et à l’uniforme (le simple slip) porté par le héros dans Captain Flight Comics #11 : Blue Flame ne serait pas une histoire d’Human Torch maquillée mais un dérivé avorté. Ce serait Toro, le compagnon brun de la Torche, qu’on verrait dans cette histoire. Il se serait agît de donner ses propres aventures solo à ce faire-valoir mais, pour une raison ou pour autre (par exemple ne pas vexer Carl Burgos, l’inventeur d’Human Torch), le projet serait resté dans les cartons. Au moment de le publier Four Star Publications se serait donc contenté de changer la couleur de la flamme mais le « costume » serait resté dans l’état. On ne peut être sur de ce qu’était Blue Flame à l’origine mais c’est assurément une histoire maquillée, transformée à la va-vite pour combler les dernières pages disponibles d’un magazine sur le déclin.
[Xavier Fournier]
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