Rarement le titre « The Beginning of the End! » aura été aussi si justifié dans un comic-book. Sur la première page de Doom Patrol #121, le dessinateur Bruno Premiani se retourne vers l’éditeur de la série, Murray Bultinoff (on notera que le scénariste ne s’est pas écrit lui-même dans la scène). L’artiste s’exclame : « Est-ce vrai ? Tu ne m’as pas dit comment finir la page ! Tu vas tuer notre Doom Patrol ? ». Et l’éditeur pointe un doigt (non, pas ce doigt-là) vers le lecteur en expliquant que même lui n’en sait rien, que seul un peloton de marines pourrait sauver les héros. Des marines où… les lecteurs. Tout est entre leurs mains, explique l’éditeur… Et Premiani, s’inquiète… « Ce serait terrible… Nous avons créé ces personnages avec de grands problèmes mais un grand cœur… ». Et le dessinateur se met ainsi à passer en revue l’équipe. Il y a Robotman, pilote de course dont seul le cerveau a survécu à un terrible accident. Depuis on lui a reconstruit un corps robotique orange à la force herculéenne mais avec lequel il ne peut passer pour humain. Puis il y a Rita, alias Elasti-Girl, capable de grandir à une taille géante… ou au contraire microscopique. Enfin il y a Negative Man, un pilote d’avion qui a été contaminé par une étrange radiation et qui est capable de matérialiser un double négatif de lui-même, une sorte de Human Torch fait d’une énergie noire. Tout ce petit monde est dirigé par un personnage surnommé de façon assez explicite le Chief, qui est tout simplement le plus grand génie du monde. C’est lui qui a inventé le corps de Robotman, qui a soigné Elasti-Girl ou encore protégé Negative Man. Et après toutes ces épreuves, maintenant on voudrait les tuer ?
A la base de la Doom Patrol, le Chief informe ses co-équipiers que la police fouille encore les décombres mais qu’elle considère que le Brain et Mallah sont morts. Robotman et Negative Man se réjouissent de la disparition de deux de leurs pires adversaires mais le Chief les interrompt. Cet acte de Madame Rouge doit se concevoir comme un avertissement. Après la Brotherhood, la Doom Patrol sera sans doute sa prochaine cible. D’ailleurs à peine le Chief fait cette prédiction qu’une voiture ouvre le feu devant chez eux, blessant un passant. Negative Man matérialise alors son double négatif et emporte le blessé au plus proche hôpital. Robotman, lui, ramasse les douilles dans l’espoir qu’on puisse faire une analyse balistique. Mais l’une des balles qu’il ramasse est intacte. Le coup n’a pas fait mouche. Bizarre… En l’écoutant parler de cette balle, le Chief lui hurle alors de s’en débarrasser car c’est sans doute… une mini-bombe qui explose et détruit le bras de Robotman (ce qui en soi n’est pas un problème, Robotman peut être reconstruit à volonté).
Ailleurs, Rita, alias Elasti-Girl, mène la belle vie avec son richissime mari. Ce dernier se trouve être le super-héros Mento mais il n’est pas membre de la Doom Patrol. En général, il essaie même d’éloigner sa femme autant que possible de la « patrouille ». Aussi il ne saute pas de joie quand il voit qu’elle enfile son uniforme aux couleurs (rouge et blanc) de l’équipe. Elle vient d’entendre à la radio la nouvelle de l’attentat à la base de la Doom Patrol et elle s’y précipite. Mento défoule alors ses nerfs en cassant la radio tout en maudissant le nom de… Marconi. Peut-être qu’il aurait mieux fait de proposer de l’aide à son épouse, non ? Elasti-Girl se rue au QG où elle est accueillie par… des mitraillettes. Robotman et Negative Man sont en effet armés au cas où Madame Rouge attaquerait à nouveau. Cette attitude dénote de la spécificité de la Doom Patrol. On imagine mal Superman et Batman s’emparer d’armes à feu parce que Lex Luthor serait sur le point d’attaquer la base de la Justice League.
La Doom Patrol est bien loin de se douter qu’au même moment, sous la surface de l’océan, Madame Rouge les attends déjà. Elle s’est alliée à un autre ennemi du groupe, le Captain Zahl, et ils sont tapis dans un sous-marin qui croise non loin de l’île. Le Captain Zahl en veut au Chief car ce dernier est l’inventeur de bombes anti-U-Boats qui ont détruit l’embarcation de Zahl quand il était un marin nazi, pendant la seconde guerre mondiale. Et tandis que la Doom Patrol décharge ses valises, les hommes-grenouilles de Zahl sont déjà en train de prendre pied sur l’île et de préparer une embuscade. Leur premier geste est de faire exploser l’avion qui a amené la Patrouille sur l’ile. Voici les héros piégés, sans solution de repli. Mais bien sûr l’explosion n’est pas passée inaperçue et ils s’élancent pour se battre contre les commandos de Zahl… Qui doivent être un peu « dopés » car deux hommes lancent sur Robotman un bout du train d’atterrissage de l’avion aussi facilement que s’il s’agissait d’un bout de papier. Le sous-marin de Zahl fait surface et il tire un projectile qui, au demeurant, parait inoffensif. Mais il s’agit en fait d’un sable résistant aux radiations. Un sable qui a pour effet de bloquer les pouvoirs de Negative Man. Quand à Elasti-Girl, elle est vite piégée sous un filet en acier. Ne reste que Robotman, qui est vite paralysé par une charge magnétique. Et le Chief, handicapé cloué dans son fauteuil roulant, ne dispose d’aucun pouvoir… Le leader de la Doom Patrol concède alors qu’ils sont battus… Mais ca ne suffit par pour Zahl. Il veut encore plus humilier l’équipe en leur proposant un marché ignoble : il a piégé un petit village, Codsville, habité par quatorze pêcheurs « ordinaires ». Et il a dans sa main deux détonateurs. L’un fera exploser l’ile de la Doom Patrol tandis que l’autre est lié à Codsville. Les héros ont le choix entre leur vie… ou celle du village… A bord du sous-marin, Madame Rouge est furieuse : elle ne souhaitait que la défaite de la Doom Patrol, pas sa mort ! Mais Zahl la tranquillise : ils préféreront sans doute sacrifier la vie de 14 inconnus plutôt que la leur…
Dans les heures qui suivent, les 14 pêcheurs de Codsville, conscient qu’ils doivent leur vie au sacrifice de la Doom Patrol, décident de rebaptiser leur village « Four Heroes ». Mento, désormais veuf, vient en bateau non loin du site de l’île. On ne peut s’en approcher car l’eau y reste bouillonnante (j’imagine à cause du réacteur nucléaire qui s’y trouvait). Mento lance alors une rose et écrase une larme… Puis il dit au capitaine du navire de le ramener à terre. Il a désormais un seul objectif : traquer les assassins de la Doom Patrol ! Pas un d’entre eux ne lui échappera !
L’histoire terminée, le dessinateur Bruno Premiani se tourne à nouveau vers l’éditeur. « Alors c’est vrai ? La Doom Patrol est morte ? ». Mais son interlocuteur se tourne vers le lecteur. Même lui ne sait pas si la Doom Patrol reviendra. Les seuls qui peuvent les sauver… Ce sont les lecteurs ! Si les ventes de ce dernier numéro sont suffisantes, on leur laissera une nouvelle chance. D’ailleurs la couverture était ornée d’un «You decide ! » (« C’est vous qui décidez ») qui fait qu’on peut voir dans ce numéro un lointain ancêtre de l’épisode où le deuxième Robin (Jason Todd) avait été sacrifié sur décision du public, grâce à une hotline. A la fin des années 60, DC Comics n’avait sans doute pas envie de s’encombrer d’une hotline et préférait se baser sur la seule réalité des ventes. Mais cette démarche de mettre explicitement dans les mains du lecteur la responsabilité de la poursuite (ou pas) de la série était sans précédent. Pire : comme visiblement les ventes ne furent pas au rendez-vous, on ne revit pas la Doom Patrol – on ne la mentionna même pas – pendant des années. Le vœu final de vengeance de Mento (qui aurait pu fournir la base d’une nouvelle série) resta longtemps sans la moindre retombée réelle. Les bons étaient morts. Les méchants avaient gagnés et étaient repartis sans être arrêtés… Un résultat incroyable pour une revue pourtant approuvée par le Comics Code !
[Xavier Fournier]
P.S.: si vous aimez « Oldies But Goodies », ne manquez pas le début d’une nouvelle rubrique complémentaire sur www.comicbox.com, mercredi (4 mars 2009 prochain…
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