Pour ceux qui ne le connaîtraient pas Hydroman est un héros du Golden Age qui avait le pouvoir de se transformer en… eau (si besoin est, reportez-vous à son origine que nous avons déjà traité ici). Création de Bill Everett datant de 1940, Hydroman était une sorte de chaînon manquant entre deux autres héros lancés par le même auteur : Il était à mi-chemin entre Amazing Man (qui pouvait se transformer en vapeur verte) et Namor The Sub-Mariner (qui était lui aussi un héros aquatique, bien que n’allant pas jusqu’à se transformer dans cet élément). Le reste du temps, quand il ne poursuivait pas les criminels, Hydroman était simplement Robert « Bob » Blake, un notable comme on en trouvait de façon assez générique dans les comics de l’époque. En 1943, il semble qu’Eastern Color ne publiait plus les aventures d’Hydroman que par habitude. A l’époque de ses débuts, dans la revue Reg’lar Fellers Heroic Comics, il était courant qu’Hydroman soit la vedette de la couverture. Mais avec l’entrée en guerre des USA, l’éditeur avait recentrée la revue (rebaptisée dans la foulée « Heroic Comics » sur un contenu plus militaire. L’essentiel des couvertures montraient désormais des soldats… Et pour qui ne connaissait pas le magazine, il était impossible de deviner que, passées les premières histoires courtes, Heroic Comics abritait aussi les aventures d’un super-héros. Eastern continuait donc les aventures d’Hydroman sans les promouvoir, se souvenant sans doute qu’à un moment Bob Blake avait été la locomotive du titre…
L’épisode commence réellement avec un petit retour en arrière. Un après-midi, alors qu’il se promène, Bob Blake s’arrête devant la vitrine d’une bijouterie et aperçoit une broche en forme d’araignée. Il se souvient alors que le lendemain c’est l’anniversaire de sa chère Joyce et qu’il lui faudra un cadeau. Bob décide alors d’acheter la broche et rentre dans la boutique pour demander le prix. Mais là, il se passe un incident digne du commerce où on vend des Gremlins. Le vendeur (sa couleur jaunâtre est supposée nous renseigner sur son origine « non caucasienne ») prend un air très embêté et s’embrouille avant de dire à Blake que la broche est déjà vendue. Auquel cas que fait-elle encore dans la vitrine ? Le héros, en sortant de la boutique, se le demande, en s’interrogeant également sur l’air louche du vendeur. Mais il est bientôt stoppé dans son raisonnement pas une terrible nouvelle. Un vendeur de journaux, en criant les titres du jour, lui apprend que le procureur a été retrouvé mort, étranglé. Robert Blake se précipite, achète le journal et découvre ainsi les circonstances étranges de la mort de l’home : «
Et le vendeur, revenu à lui, s’empare d’un téléphone pour informer sa hiérarchie que quelqu’un est sur leur piste. Finalement le vendeur prend un taxi pour se rendre à un mystérieux rendez-vous. Hydroman, qui était dans le vase, a pu épier la conversation et, sous la forme d’une trombe d’eau survolant les rues, prends en filature le taxi.
Hydroman a repris son apparence civile pour passer inaperçu et tape à la porte comme si de rien n’était, tout en se disant à voix haute que cette suite a été louée au nom de la Baronne Taklachak. L’homme qui ouvre la porte lui demande de manière patibulaire ce qu’il veut… Mais Bob Blake force l’entrée et se retrouve immédiatement dans la pièce, encerclé par les membres de cette étrange secte. La femme (qui est visiblement la Spider Woman auquel fait référence l’intro de l’histoire, s’exclame alors : « Qui es-tu, idiot ? Enfin peu importe ton identité, tu viens de te suicider ! Attaque le, Nikko ! ». Un des tueurs saute sur Blake mais ce dernier s’en débarrasse en le jetant sur ses congénères : « Pas cette fois, Nikko ! ». On en retire donc bien l’impression que Nikko était l’assassin du procureur et que le nom de Barton était une erreur. En fait, Robert Blake ne semble pas spécialement pressé d’utiliser ses pouvoirs, se surestimant sans doute. Mais le nombre est contre lui. Surtout quand un de ses adversaires l’assomme avec une chaise… Il est vite attaché avec la fameuse « toile » si résistante…
Néanmoins le gang de l’Araignée n’a aucune idée que cet intrus est par ailleurs Hydroman. Ils ne l’ont rencontré que sous son apparence civile. Quand Spider Woman décide de se débarrasser de ce curieux, elle prend donc sans s’en rendre compte une décision lourde de conséquence : Elle ordonne qu’on le noie dans la baignoire de la suite. En fait, toute trace d’eau peut recharger les pouvoirs du héros. Mais il décide de jouer la comédie pour mieux cacher le fait que cette tournure des évènements l’arrange. Il commence à implorer, feint d’être paniqué. Spider Woman ricane, convaincue que l’homme a une phobie particulière de l’eau. Il est donc plongé dans la baignoire sans cérémonie… mais, comme prévu par le héros, le contact avec l’élément liquide renouvèle les pouvoirs d’Hydroman… C’est dans son costume super-héroïque qu’il émerge de l’eau ! Comme un tourbillon, il submerge alors le gang… mais pas la maîtresse du réseau !
Ceci aurait pu être une vaine promesse mais, pourtant, on retrouverait bien Spider Woman dans les aventures suivantes d’Hydroman, avec un peu plus de détails la concernant. D’abord son vrai nom est bien la baronne Taklachak (ce qui fait qu’on se demande pourquoi elle se donne la peine de se masquer si c’est pour louer des chambres d’hôtel sous son nom). La nature de son poste par rapport à ses serviteurs est également mieux détaillée : Elle est la grande prêtresse du culte de la déesse Araignée Durga (ou, en VO, le « Spider Cult ») et dans l’épisode suivant, elle change de méthode en utilisant du poison pour tuer ses victimes. Du poison mis au point à partir d’un extrait de venin de Veuve Noire (« Black Widow Spider »). On ne sort pas, non plus, du registre de la bijouterie. Là où, dans sa première apparition, ses hommes signaient leur crime avec une broche en forme d’araignée, les assassinats sont organisés en offrant des bagues aux futures victimes, bagues qui contiennent une aiguille à l’intérieur et qui « piquent » donc de manière mortelle. Évidemment Spider Woman échouera une nouvelle fois, battue par Hydroman. Non seulement les apparitions de Spider Woman sont parfumées d’un racisme tacite (l’étrange non-blanc est veule, sanguinaire et païen) mais la « cible » semble diffuse. Ainsi on pourrait penser que la baronne et ses hommes sont japonais d’origine (puisque représentés comme « jaunes » et méchants) ce qui se comprendrait en temps de guerre. Mais Durga est une déesse-araignée… liée à la mythologie hindoue (c’est l’épouse du dieu Shiva). Le culte de l’Araignée et Spider-Woman sont donc d’origine hindoue et pas « asiatique » dans le sens des clichés visuels de l’époque. Si on s’en tenait à l’image, on pourrait se convaincre que les gens du Spider Cult sont d’énièmes méchants japonais… Mais la mention de Durga nous entraîne sur un autre terrain (peut-être que le scénariste non-identifié de l’histoire avait simplement mal renseigné le dessinateur). Spider Woman et sa secte nous emmène plus vers une ambiance de pulps, où le Shadow et Doc Savage combattait ce genre d’organisations sur une base presque mensuelle…
Malgré le potentielle de devenir l’ennemie « féminine » principale d’Hydroman (son équivalent d’une Catwoman ou d’une Poison Ivy) cette Spider Woman n’aura qu’une carrière assez brève. Il faut dire que les auteurs avaient pris une décision curieuse : l’essentiel des gadgets de Spider Woman (sa toile, son venin d’araignée) sont utilisés « hors champs », laissant à Hydroman le loisir d’arrêter la bande comme s’il s’agissait de gangsters conventionnels. Ses crimes, eux aussi, sont pour la plupart perpétrés avant même le début de l’histoire (sans doute pour ne pas froisser les associations parentales qui, déjà, râlaient sur la violence dans les comics). Ce qui fait qu’au lieu d’avoir une Spider Woman se déplaçant d’immeuble en immeuble avec sa toile ou s’en servant comme projectile pour piéger Hydroman, la Baronne Taklachak est, certes, une femme fatale. Mais elle ne va pas au bout de son potentiel. Le nom de Spider Woman aurait, des décennies plus tard, un autre éclat quand il deviendrait celui d’une héroïne de Marvel Comics (Jessica Drew). Hydroman étant devenu, ces dernières années, un personnage rattaché à Dynamite et à l’univers de Project Superpowers, Spider Woman pourrait en théorie refaire surface chez cet éditeur. Dans la pratique le personnage est surtout tombé dans le domaine public américain, le laissant libre d’autres apparitions.
[Xavier Fournier]
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