Oldies But Goodies: House of Mystery #160 (Juil. 1966)

[FRENCH] Il est télépathe, chauve, son nom de famille est Xavier et il porte un gros X sur son uniforme. Mais ce n’est pas le fameux Professeur X (mentor des X-Men) ni même un personnage de Marvel. Marco Xavier est au contraire l’identité secrète que le Martian Manhunter utilisera vers la fin des années 60 dans des circonstances dignes de James Bond !

J’onn J’onzz, le Manhunter From Mars (ou alternativement le « Martian Manhunter »), est un membre bien connu de la Justice League of America. En fait, dans la première version historique de ce groupe, il en sera même un des co-fondateurs avant de devenir plus, tard, dans les années 80, le leader de l’équipe. Une autre de ses distinctions est d’avoir devancé de quelques mois l’apparition de Flash (Barry Allen) et donc d’être en un sens le premier nouveau héros régulier du Silver Age de DC. Mais son existence continue dans les années 50/60 tint plus d’un caprice éditorial que d’une réelle popularité. Il faut croire qu’à ses débuts DC reçu bien quelques lettres de lecteurs demandant qu’on continue à publier ses exploits. Mais jamais, à l’époque, la société n’osera franchir le pas et lui donner un titre réellement à son nom. Peut-être qu’une des réticences éditoriales tient au fait que le héros n’était pas réellement « blanc ». Nous ne le saurons jamais avec certitude. Toujours est-il que le Manhunter from Mars fut confiné aux histoires secondaires de la série Detective Comics (où Batman occupait la première place) puis, plus tard, d’House of Mystery (qui lui permis au moins d’être en vedette sur la couverture). En fait, les premières années de carrière du héros se découpent en trois phases : Martien arrivé par accident sur Terre et piégé en attendant de retrouver son monde d’origine (Detective Comics #225, Novembre 1955), le surpuissant J’onn J’onzz est obligé d’utiliser ses pouvoirs pour changer de forme et passer pour un humain, le détective John Jones, en poste à Middletown. Middletown est le nom de nombreuses villes aux USA, situées dans des états différents et, bien que celle de John Jones est sans doute totalement fictive (et dérivée d’un compromis entre les « Smallville » et « Metropolis » de Superman) on ne peut exclure qu’il s’agit d’une des cités portant réellement ce nom. Ironiquement Middletown était aussi la ville où opéraient divers super-héros de Timely dans les pages d’U.S.A. Comics, aux alentours de 1941. Dans cette première phase le Martian Manhunter affronta des hordes d’aliens (saturniens, vénusiens…) parfois contradictoires qui, bizarrement semblaient doués pour s’écraser à proximité du seul martien basé sur Terre. Dans le même temps il était le très sérieux détective Jones, flanqué d’une policière nommée Diane Meade. Diane était à l’évidence le « love interest » de la série, même s’il n’y avait pratiquement pas de tension romantique. Le Manhunter from Mars avait la peau verte tandis que Diane était une américaine de type « Wasp ». Pas possible pour les auteurs ou les lecteurs d’imaginer une relation entre ces deux-là. Il était bien trop tôt pour envisager un couple multi-ethnique dans les comics.

Puis après Detective Comics #326 (1964), le Martian Manhunter fut transféré, changé de magazine. Il n’y avait plus de place pour lui dans Detective, on l’incorpora donc dans les pages de House of Mystery, anthologie plus portée sur le mystérieux et le surnaturel. Pour justifier la présence d’un extra-terrestre dans un titre si occulte, le dernier épisode de Detective Comics mettait en scène une situation dans laquelle le héros se trouvait forcé de faire croire à sa mort. Ou en tout cas à la mort de son alter-ego d’apparence humaine, John Jones. Fini la vie de policier, qui était lié à sa présence dans Detective Comics. Dans un premier temps le Manhunter deviendrait super-héros à plein temps, sans identité de rechange. Et pour justifier son arrivée dans les pages de House of Mystery, on expliquerait qu’il avait découvert une terrible menace qu’il était seul (ou presque seul, puisque accompagné de son ami le petit extra-terrestre ridicule Zook) à pouvoir arrêter : The Idol-Head of Diabolu (la « tête-idole de Diabolu »). Il s’agissait d’une sorte de buste mystique très ancien qui ressemblait à une tête de Decepticon et en voulait au monde entier.

Dans chaque épisode, la tête de Diabolu déclenchait une nouvelle menace que le Martian Manhunter devait arrêter. Stopper Diabolu était devenu une sorte de défi feuilletonnant. Le combat occuperait le héros pendant deux ans, jusqu’à ce qu’il arrive enfin à détruire la tête-idole de Diabolu. Mais franchement les monstres invoqués par l’esprit de Diabolu avaient été pour la plupart bien ridicule et plutôt que de continuer dans cette voie le scénariste Jack Miller décida de changer d’axe, débutant ainsi la troisième phase de l’existence du Martian Manhunter. Après les envahisseurs extra-terrestres et les démons de Diabolu, Miller allait regarder du côté de… James Bond ?

Dans House of Mystery #160 (Juillet 1966), le Martian Manhunter est convoqué dans le QG d’un département spécial de la sécurité. La chose est déjà bizarre en soi car ce genre de services n’avait jamais réellement fait appel au Manhunter, qui était plutôt un partenaire habituel de la police. Un responsable lui montre l’emblème d’une terrible organisation, Vulture, qui menace le monde libre. Comme de bien entendu les services secrets n’ont pratiquement pas la moindre piste pour traquer cet équivalent du SPECTRE de James Bond et demande au Manhunter de l’aider. L’idée de base de Jack Miller est sans doute de faire référence à une autre notion du mystère, cette fois plus du tout tournée vers le surnaturel mais bien vers l’espionnage. La seule chose que le contre-espionnage ait découvert, c’est que le riche playboy Marco Xavier est lié à quelques membres de la pègre. Il n’a pas de famille, pas d’amis et vit seul dans une villa méditerranéenne. C’est le seul lien avec Vulture. La mission du Martian Manhunter, s’il l’accepte, est d’aller surveiller de près le dénommé Marco Xavier. Forcément le héros ne recule pas devant le défi et s’envole en direction de l’Europe, devenant du coup un des rares héros de DC basés en dehors des USA.

Bientôt le martien utilise son pouvoir de changer d’apparence pour se déguiser en clochard passant devant la villa de Xavier. Il voit alors le milliardaire quitter sa demeure pour aller faire un tour et décide de le prendre en filature. Mais rapidement, au détour d’un virage, J’onn J’onzz s’aperçoit que la voiture de Xavier est tombé dans un ravin. Le véhicule est en flammes et le corps a brulé sans laisser de trace. Un instant le héros pense que sa mission aura été de courte durée. Le seul indice vers Vulture vient littéralement de partir en fumée. Mais… bientôt il se ravise. Après tout il est le seul à savoir que Xavier est mort. Et comme le playboy n’a aucun proche vivant… il lui suffit de prendre la place du mort.

Le Martian Manhunter se transforme une nouvelle fois et prends l’apparence de l’homme qu’il suivait. Bien qu’il ne sache pas grand chose de Xavier, il lui suffit de faire semblant qu’il a été choqué dans l’accident et souffre d’une perte partielle de mémoire. Quand les secours arrivent, ce sont des gendarmes qui sont visiblement français (on le voit à leur accoutrement mais aussi à leurs « Sacrebleu » et à leurs « Monsieur »). Non seulement le Martian Manhunter vient de quitter les USA mais on comprendra qu’il vient de s’installer en France, même si ce n’est pas franchement dit dans l’épisode.

Rapidement J’onn/Xavier s’aperçoit que sa ruse a fonctionné à merveille. Il fait mieux que suivre Marco Xavier. Il EST Marco Xavier. Ramené à sa villa il en profite pour inspecter la correspondance et les notes de l’homme mort qu’il remplace mais soudain on lui annonce un visiteur qu’il n’attendait pas. Un certain Senor Mendez. Assez brusque, Mendez explique qu’il est venu demander à Xavier de découvrir pour lui dans quel bateau le riche Apollo Magnus transportera bientôt un précieux chargement d’or. Ca tombe bien. Dans le courrier du vrai Marco Xavier, J’onn a trouvé une invitation pour une fête qu’Apollo Magnus donne le soir même. Mendez est ravi et lui donne « l’avance qu’il réclame toujours : 10.000 $ ». Visiblement le vrai Xavier était un informateur.

J’onn accepte l’argent en souriant intérieurement : c’est autant qu’il donnera bientôt à une oeuvre de charité. Puis, profitant de ses pouvoirs d’invisibilité il décide de suivre Mendez sans être vu. Bientôt l’homme s’engouffre dans une boutique de souvenirs. La dite boutique est en fait un passage qui mène à une salle secrète de réunion. Le QG des agents de Vulture ! Mais il y a un hic. Tout Vulture est là, sauf le chef de l’organisation qui intervient à distance, par le biais d’un écran géant. Qui plus est il est masqué ! Pas moyen de voir de qui il s’agit ! A partir de là s’installe une chose assez curieuse dans la série. Les agents de Vulture appellent leur patron Mister V (ou Mister Vulture) tandis que le Martian Manhunter semble se fixer sur le fait qu’il est masqué et l’appelle le « sans visage » ou, en anglais « Faceless »). Mister V est clairement en train de mettre la pression à ses agents en exigeant qu’ils avancent plus vite dans l’affaire Magnus. Le Manhunter se dit qu’il pourrait coffrer toute la bande maintenant mais que s’il le fait, il ne capturera jamais le big boss. Il décide donc de continuer à être Marco Xavier et à jouer le jeu.

Le soir même, Xavier se rend à la fête d’Apollo Magnus qui, malgré son prénom n’a rien d’un Apollon. Là encore une partie des convives ont un accent français à couper au couteau. Rapidement Marco Xavier, qui est bien plus séduisant (et a de faux airs de Tony Stark) attire l’attention de plusieurs femmes dans la soirée. L’une d’entre elles lui parle de moments visiblement sensuels qu’ils ont passé ensemble sur le yatch d’Apollo. Ce qui donne une idée au héros. Il invente un prétexte pour demander à Apollo s’il pourrait lui emprunter ce bateau pour le week-end. Mais Apollo est embarrassé et bredouille qu’il est déjà réservé pour un autre ami. J’onn/Xavier en déduit qu’Apollo n’utilise pas ses navires réguliers pour transporter l’or. Bien sûr le Martian Manhunter ne devrait pas avoir à « déduire ». Il est télépathe et en théorie il lui suffirait de lire l’information dans le cerveau de Magnus. Dès qu’il rentre chez lui, « Xavier » prévient Mendez par téléphone…

Mais c’est bien sûr pour mieux tendre un piège à Mendez. Le week-end suivant, le Martian Manhunter s’envole au dessus de la Méditerranée pour surveiller le yatch. Au début il ne remarque pas de danger particulier. Mais bientôt il aperçoit un périscope. Vulture a donc envoyer un sous-marin attaquer le bateau ! L’ennui c’est que l’équipage du aussi a vu le Martian Manhunter par le (en théorie le héros ne peut pas utiliser son invisibilité s’il se sert de ses autres pouvoirs. Et comme il vole…). Ils tirent donc une torpille contre lui. Le héros est tenté de la laisser s’écraser contre sa poitrine surpuissante mais il a peur que les ondes de choc endommagent le yatch.

Il arrive donc à grimper dessus et à la diriger comme une monture. Il prend alors la direction du. Retour à l’envoyeur ! Mais c’est seulement pour jouer avec leurs nerfs. Alors qu’il approche avec la torpille, il utilise sa force pour envoyer le projectile dans les bas-fonds (« où il ne fera pas de mal », visiblement le Martian Manhunter ne s’intéresse pas à l’écologie). Puis il s’empare du sous-marin qu’il emporte dans les airs, jusqu’à la plus proche plage où il ouvre la paroi de l’engin comme s’il s’agissait d’une boîte de sardines. Malheureusement les hommes de l’équipage sont issus de la section qu’il a déjà pu observer dans la fausse boutique à souvenirs. Son enquête, du coup, n’a pas réellement progressé. Il espérait capturer des gens plus haut dans la hiérarchie, voir le boss lui-même, Mister V. ! Aussitôt le Martian Manhunter tente de faire parler les hommes en leur demandant qui est « Faceless ». Vu qu’il est mystérieusement le seul à l’appeler comme ça, on ne s’étonnera pas que les hommes ne puissent pas le renseigner. De toute manière ils ne savent rien. Mister V. les a toujours contacté de manière secrète. Le Martian Manhunter les attache alors en insistant « Heureusement que je surveillais Mendez et que je vous ai suivi depuis votre port d’attache ! ».

C’est que pour lui il s’agit d’éviter qu’on fasse le lien avec Marco Xavier. Car il est en train de réaliser que l’enquête contre Vulture va l’occuper bien plus longtemps que prévu et qu’il va devoir utiliser cette identité sur le long terme. Le commentateur conclut alors l’histoire en questionnant les lecteurs : « Aimez-vous la nouvelle identité secrète du Martian Manhunter ? Alors surveillez ses prochaines aventures ! ». Il est difficile de croire que Jack Miller, au moment d’écrire cette histoire, ignorait l’existence de Charles Xavier, patron des X-Men. Qui plus est le dit Charles Xavier a un demi-frère nommé Cain Marko. Aussi donner le nom de Marco Xavier à cette nouvelle identité du Manhunter, par ailleurs télépathe, semble assez gonflé. Une tentative d’attirer les lecteurs de Marvel ? Difficile à croire car en cette période les X-Men étaient loin d’être des stars. Quand à la ressemblance physique entre Marco Xavier et Tony Stark, elle pourrait n’être accidentelle. D’après quelques témoignages de ses collaborateurs, il semble que Miller était à part dans l’équipe de DC et avait tendance à s’habiller de manière beaucoup plus « classe » que ses collègues, voir même à vivre un peu au dessus de ses moyens. Il est donc possible qu’il projette une partie de lui-même dans l’identité du playboy Marco Xavier. La filiation avec les films de James Bond semble, elle, certaine…

La lutte contre Vulture, phase trois de l’existence du Martian Manhunter, allait l’occuper jusqu’en 1968 (House of Mystery #173) dans lequel il finirait par démasquer « Faceless ». En fait le leader de Vulture était… le vrai Marco Xavier, qui avait fait croire à sa mort pour mieux pouvoir diriger son organisation sans que le soupçonne… Et qui avait donc deviné d’office, en voyant un autre Marco Xavier le remplacer, qu’il s’agissait du Martian Manhunter. Bien que cette explication soit en un sens logique (la série manquait de personnages réguliers qui auraient pu créer la surprise en révélant qu’ils étaient Mister V.), elle ne colle pas avec la plupart des épisodes intermédiaires, dans lesquels « Faceless » tend certains pièges au héros qui n’ont aucun sens si le gangster savait à qui il était confronté. Le vrai Marco Xavier passe cependant très près de tuer le Martian Manhunter avec une arme expérimentale. Mais elle n’est pas terminée et elle explose, tuant Xavier sans laisser de trace (hmmm… il ne serait pas en train de nous refaire le coup du corps qui a disparu ?). Sa mission terminée, le Martian Manhunter n’aura plus d’utilité pour son identité « française » et redeviendra longtemps le Martian Manhunter à plein temps. D’autant plus que DC déciderait ne plus avoir besoin du personnage tout court : dans Justice League of America #71 (1969), J’onn retrouve son peuple sur « New Mars » et quitte la Terre pour plusieurs années. La troisième phase du Manhunter (autrement dit la version Marco Xavier) marque donc pour lui la fin du Silver Age mais aussi de ses aventures façon James Bond.

Ce qui est fascinant c’est qu’on peut se demander ce qui se serait passé si l’existence de Marco Xavier avait connue le succès espéré par DC et Jack Miller. Et si le Martian Manhunter était devenu le Xavier le plus connu des lecteurs de comics, s’il était resté sous cette identité, est-ce que cela aurait influé sur la manière de Marvel de ramener les X-Men au milieu des années 70. De manière amusante on reverrait pourtant le Martian Manhunter associé au nom de Xavier dans l’événement Amalgam (le mélange temporaire des univers de Marvel et de DC). Amalgamé avec le Professeur X, le Martian Manhunter deviendrait Mister X, le mentor de la X-Patrol. Logique, en un sens…

[Xavier Fournier]

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