Oldies But Goodies: Marvel Mystery Comics #13 (Nov. 1940)

[FRENCH] La Vision du Golden Age est une création de Joe Simon et Jack Kirby. Un personnage verdâtre, drapé dans une grande cape rouge, qui ressemblait aux extra-terrestres de carton-pâte tels qu’on pouvait les voir dans les serial-movies de l’époque. C’est un de ces rares super-héros Timely qui réussiraient à durer au delà d’une douzaine d’apparition, ce qui lui confère le même degré d’importance qu’un Whizzer ou une Miss America. Flirtant ouvertement avec le Fantastique, la Vision se trouve au centre d’un véritable carrefour d’influences, jouant les maillons manquants entre diverses créations du Golden Age et l’histoire moderne des Avengers.

« La Science découvre que la fumée est le portail depuis longtemps recherché vers le surnaturel ! Le « briseur de dimension » du Professeur Enoch Mason pouvait percer un chemin vers l’Au-delà et, une fois fait la différence entre le monde matériel et le surnaturel, ainsi vint la Vision ! Tous les faiseurs de Mal en viendraient à maudire le jour où la Vision apparu, car pour eux il était « Nemesis »… La mort et le désastre s’abattaient sur les adversaires de la société qui le voyaient sous sa vraie forme !!!« . Pour illustrer cet inquiétant préambule, un dessin d’ouverture par Jack Kirby montre un gigantesque Vision surplombant des gangsters qui, comparés à lui, ressemblent à des poupées minuscules (cette forme de gigantisme du héros est une scénographie que Kirby utiliserait plusieurs fois par la suite (comme dans Adventure Comics #73 où Manhunter surplombe la pègre ou encore Adventure 79, où le même héros enjambe un sous-marin…). D’emblée, un long paragraphe explique ainsi les tenants et les aboutissants de Vision, un héros venant d’un monde « surnaturel » (l’adjectif est martelé plusieurs fois dans l’introduction). C’est par la fumée qu’il se matérialiserait sur Terre et, comme nous le précise d’emblée le narrateur « un manque de cette substance (NDLR: la fumée) le piégerait aussi efficacement que des barreaux de fer peuvent piéger un mortel ! » Entre le gigantisme de la scène d’ouverture, l’accent sur le surnaturel et ce terme de « Nemesis » qui le positionne comme le vecteur d’une vengeance sans pitié, Vision a tout d’une tentative de Timely Comics pour essayer de créer un concurrent au Spectre, créé par Jerry Siegel et Bernard Bailly neuf mois plus tôt chez DC Comics. Nous verrons, cependant, que le Spectre n’est pas la seule influence du premier Vision…

Très vite, l’histoire nous intrigue dans le laboratoire du docteur Enoch Mason, où « trois des plus grands esprits américains écoutent cyniquement le discours de Mason« . Séparés du laboratoire par une grande paroi transparente, les trois observateurs sont des inconnus mais cette mise en scène évoque deux choses : D’abord ces trois experts font penser à une visite similaire que l’inventeur d’Human Torch, le Professeur Horton, avait reçu dans Marvel Comics #1, alors qu’il mettait la dernière main à son androïde. Il avait été contacté par une mystérieuse « Guilde scientifique » venue étudier son projet. De là à croire qu’une seule et même organisation scientifique aurait surveillée les plus grandes découvertes du Golden Age de Marvel (et, à partir de là, les débuts de plusieurs héros), il n’y a qu’un pas… pour l’instant pas formellement établi (à part si vous partez du principe que ces observateurs scientifiques font partie d’une structure par la suite identifiée comme le projet Weapon Plus ou quelque chose de ce genre). L’autre chose que m’inspire la configuration des lieux, c’est que le laboratoire de Mason (avec sa baie vitrée) et la présentation de Mason ressemblent énormément au labo dans lequel, en 1941, le malingre Steve Rogers sera transformé en Captain America. Là aussi, les portes sont ouvertes pour qui voudrait « unifier » toutes les expériences scientifiques majeures liées au Golden Age de Marvel. Un seul des trois scientifiques est identifié (un certain Markham) et à partir de là on pourrait tout à fait imaginer une sorte de « rotation » : Le Professeur Reinstein/Erskine (inventeur de la formule du super-soldat), Markham et Enoch Mason auraient pu rendre visite à Horton. La porte reste ouverte pour qui voudrait penser que là, dans cet épisode, ce sont Markham, Horton et Erskine qui rendent visite à Mason et ainsi de suite au moment de la création de Captain America… Encore que le principal obstacle à cette théorie est que les trois observateurs sont qualifiés de « cyniques » et ne croient pas les théories de Mason. Horton, qui avait été en butte à de pareilles moqueries, aurait eu l’esprit plus ouvert…

Enoch Mason commence sa présentation en expliquant le but de la soirée : « Ainsi gentlemen, avec l’aide de la science moderne j’ai accompli ce que les étudiants de l’Occulte n’ont pas réussi à atteindre… Après 25 ans d’expérimentation, j’ai finalement découvert la réponse à l’Au-Delà… Prouver que ce qu’on appelle les fantômes et les esprits sont en fait des habitants de mondes et d’univers dont les « sphères dimensionnelles » co-existent avec les nôtres ». Interrompu par Markham, qui semble douter de la nature scientifique de l’expérience, Mason reprend : « Mon briseur de dimension va percer une entrée dans la pellicule de force qui sépare notre monde des univers qui se trouvent au-delà. Une entrée assez grande pour qu’une de ces intelligences hyper-dimensionnelles traverse jusqu’à notre plan matériel ». Ce dont Enoch Mason est loin de se douter, c’est qu’au même moment une intelligence nettement moins surnaturelle est en train de penser à lui. « Brains » Borelli est le caïd de la pègre de Lincoln City (visiblement c’est dans cette ville située dans l’Oregon que se trouve également le laboratoire de Mason) et il est en train d’ordonner à ses hommes d’aller faire pression sur le professeur Mason. Soit ce dernier cède, soit on lui prendra ses inventions. Une fois les hommes partis, Queenie, la petite amie (ou l’épouse ?) de Borelli lui demande pourquoi il semble en vouloir autant à Enoch Mason. La réponse de Borelli est surprenante : Il désire se venger de tous les intellectuels. A l’école, il passait pour un abruti. Plus tard, il est tombé amoureux d’une fille qui l’a repoussé car il n’avait pas de bonnes manières et était inculte. Tout le monde le trouvait trop idiot (on en déduira que son surnom de « Brains » lui a été donné par dérision). Depuis Borelli a progressé, il a la main mise sur toute la ville… Mais il n’a pas oublié le mépris qu’il inspirait aux intellos. Depuis, il a pris l’habitude de sponsoriser toutes les expériences scientifiques qui semblent ambitieuses, organisées par des professeurs qui ont forcément besoin d’argent pour mener à bien leurs recherches. Borelli les aides… puis les brise au dernier moment, quand ils sont sur le point de réussir.

Les hommes de Borelli forcent le serviteur noir de Mason a leur ouvrir la porte de la maison et à les guider jusqu’au laboratoire, où l’expérience est en cours, le briseur de dimensions déchaînant des énergies occultes. Pourtant ça n’impressionne pas la bande de Borelli. Les observateurs scientifiques sont mis en joue et les brutes ordonnent à Mason d’arrêter sa machine. A moins qu’il puisse rembourser, tout l’équipement appartient à Borelli ! Mais Mason proteste : « Vous êtes fou ! Je ne peux pas arrêter maintenant ! J’ai attendu 25 ans pour ce moment ! ». Mais les gangsters sont intraitables. Pire, puisque Mason ne peut pas payer ils comptent bien faire exploser l’endroit. Mais soudainement une « vision » se matérialise derrière un des gangsters, à partir de la fumée émanant du cigare de l’homme. Sans s’en douter la brute a aidé à ouvrir la porte sur une autre dimension en fournissant l’élément manquant : la fumée ! Cette « Vision » est drapée dans une cape jaune, sa peau est d’un vert clair (pour autant qu’on sache il ne s’agit pas d’un masque) tandis que son costume est vert foncé. Il suffit d’un simple geste à l’être venu d’ailleurs (il pause la main sur l’épaule d’un des hommes de main de Borelli) pour geler à mort le malheureux, qui s’effondre comme un bloc de glace… Et en quelques mots l’inconnu à la peau verte se présente à Mason et ses invités : « Je suis Aarkus, le destructeur du mal, j’ai traversé le grand froid jusqu’à votre monde et me voici. Je vais attraper l’autre être maléfique (allusion à l’autre gangster qui s’est enfui). Il est destiné à mourir ! Je reviendrais bientôt ! ».

Tout au long de son histoire la liste des pouvoirs de la Vision du Golden Age (puisque Aarkus est la Vision du Golden Age, au cas où vous ne l’auriez pas compris) ne vas pas être très fixe. On est un peu dans le même registre que le Spectre (la Vision lui doit également une bonne part de sa personnalité lugubre) ou que Mandrake, avec des exploits qui par moments peuvent sembler tenir de la magie, tandis qu’à d’autres on penche plus pour de l’hypnotisme ou diverses techniques mentales. Cependant c’est à peu près la seule foi où on verra Aarkus geler un de ses adversaires ou générer du froid. En se référant à sa phrase d’introduction, on peut en déduire que contrairement aux apparences ce n’est pas que la Vision possède le pouvoir de congeler un adversaire. Plus simplement il vient de traverser le « grand froid » qui sépare son monde du notre et sans doute que sa température s’est abaissée. S’il a gelé l’homme, c’est sans doute qu’Aarkus lui-même se trouvait à une température très basse, du fait de sa traversée. L’autre gangster a réussi à s’enfuir à travers la nuit, courant sur la route. Mais quand il se retourne il aperçoit derrière lui le visage de la Vision qui atteint une taille démesurée, comme s’il s’agissait de la tête d’un géant. Et ses yeux émettent des rayons de lumière qui aveuglent le fuyard, bientôt rattrapé et renversé… par ce qui n’était qu’une voiture. On ignore par contre si la Vision s’est contenté de jeter un sort hypnotique en profitant d’une voiture qui passait par là où s’il est bien, en civil, l’automobiliste qui témoigne par la suite auprès de la police, en expliquant que l’homme a surgit devant lui et qu’il n’a pu l’éviter. La solution hypnotique parait la plus simple mais comme il était évident, dans le passage précédent, que la Vision se mettait physiquement à la poursuite de l’homme, toutes les interprétations sont possibles… Cependant plus tard, dans Marvel Mystery Comics #17, lors d’une scène similaire, la Vision est réellement au volant d’une voiture, projetant vers l’homme qu’il poursuit l’illusion d’un regard géant.

Dans le laboratoire de Mason, les scientifiques sont sous le choc. Le professeur téléphone à la police pour la prévenir qu’il y a un mort chez lui mais à peine l’appareil est-il raccroché que ce cher Enoch s’effondre. Comment expliquer aux policiers que l’homme a été tué par une entité venue d’un autre monde ? Mais soudain il est interrompu par un homme inconnu, habillé chic, qui le contredit : « Ce n’est pas comme ça que cela s’est passé, Docteur Mason. L’homme a été gelé à mort quand il est entré en contact avec un des câbles de réfrigération de votre briseur de dimension… ». L’assistance est plus étonnée de l’irruption de l’homme que de ses affirmations. Qui est-il ? Comment est-il entré ? Mais l’homme brun rétorque à Mason : « C’est vous qui m’avez fait entrer ! C’est moi, Aarkus, sous une forme matérielle. Seuls ceux qui approchent de la mort peuvent me voir sous ma forme véritable de Vision ! ». Ce qui est bien entendu d’emblée une contradiction puisque tous les occupants de la pièce ont pu le voir sous sa forme « verte » quelques instants plus tôt sans que leur vie soit en danger. D’ailleurs c’est la seule fois où la Vision fera mention d’un quelconque danger lié au fait de le voir sous sa forme d’origine. Dans les épisodes suivants, il sera assez courant que le public le voit sous son apparence « véritable » sans que le héros s’en offusque spécialement ou fasse mention d’un danger lié au fait de le voir. Cette idée de ne pas le voir sous son identité de Vision est donc aussi vite énoncé qu’oublié. Quelques instants plus tard la police arrive et constate que l’homme est mort de froid en entrant en contact avec le câble mentionné plus tôt par Aarkus. Néanmoins ayant constaté que l’homme était bien venu pour agresser Mason, l’inspecteur explique qu’il laissera des agents pour garder l’endroit jusqu’à ce que l’affaire soit éclaircie.

Mais dans une ville tenue par la bande de Borelli, ce n’est pas un garde qui va faire peur à la pègre. Le gang revient en force et s’introduit dans la demeure de Mason, capturant d’abord sa fille, Sheila, puis s’attaquant au docteur et à l’inconnu qui l’accompagne. Le dit inconnu, c’est Aarkus sous sa forme humaine mais il semble qu’il ait besoin d’une source de fumée pour se retransformer à nouveau. Et comme il n’y a pas de fumée à l’horizon le héros, même s’il est assez bagarreur, plie vite sous le nombre de ses adversaires. Assez vite Enoch, Sheila et Aarkus sont transportés dans une sorte d’entrepôt où Borelli peut confronter « ceux qui lui ont causé tant d’ennuis » et leur promettre les pires tortures. Mais le gangster n’est pas conscient qu’un des trois captifs est un être surhumain. Et Aarkus, puisqu’on lui dit qu’il va être torturé à mort, demande alors à avoir droit à l’ultime cigarette du condamné. Borelli lui accorde et lui allume lui-même la cigarette demandée… Cette scène n’est pas innocente et trahit une autre filiation du personnage. Car s’il doit beaucoup au Spectre, il est clair que la Vision et sa relation symbiotique avec la fumée vient pour une bonne partie de The Flame, personnage co-créé par Will Eisner et qui avait, entre autres choses, le pouvoir de se matérialiser partout où il y avait une flamme. Même petite. Si bien qu’il était déjà arrivé que The Flame utilise le feu d’une simple cigarette… The Flame est sans doute pour beaucoup dans l’idée de départ de The Vision et illustre parfaitement le dicton qu’il n’y a pas de fumée sans feu…

La première bouffée de fumée suffit, Aarkus peut alors se retransformer en Vision, à nouveau en plein possession de ses pouvoirs. Confronté à cette créature à l’aspect inhumain, Borelli appelle ses hommes à l’aide. Mais cette fois ils ne sont pas de taille (visiblement sous sa forme de Vision sa force est surpuissante). Mais bon, puisqu’ils l’ont vu sous son apparence naturelle, Borelli et ses hommes vont-ils mourir à leur tour ? Et bien non. Vision passe soudainement (et sans explication) a des méthodes moins draconiennes. Il commence par… leur retirer leurs pantalons ! En fait c’est la seule chose qu’il trouve qui puisse remplacer des liens pour les attacher. On ne saura jamais pourquoi il a tué les deux gangsters en début d’histoire alors qu’il épargne le reste de la bande (y compris le chef). Puis le héros décroche un téléphone et appelle la Police en se présentant comme la Vision, expliquant qu’il vient de capturer tout le gang Borelli. Là aussi il y a contradiction : quelques pages plus tôt Aarkus s’était employé à expliquer la mort d’un des gangsters sans révéler son existence. Et d’un seul coup le voici qui appelle la police en se présentant sous son nom ? Comment le policier à l’autre bout du fil saurait-il de qui il s’agit ? Puis la Vision retourne dans sa dimension de fumée et on assiste à l’arrestation de Borelli et du reste de la bande par des policiers hilares, qui les accusent de kidnapping, de tentative de meurtre… mais également de conduite indécente (en raison de leur absence de pantalon). Revenus chez eux, Sheila demande à son père si la Vision reviendra et Enoch Mason répond par l’affirmative. Oui, il reviendra et il continuera son combat contre le Mal…

La conclusion semble positionner Sheila et Enoch Mason comme étant la « supporting cast » de la série, appelée à fréquenter régulièrement la Vision. En fait il n’en sera rien. La Vision sera un héros nomade, changeant d’endroit à chaque épisode (parmi les villes visitées on le voit dans Marvel Mystery Comics #20 en train de protéger Star City… plus connue pour être le fief de Green Arrow chez DC Comics !) et n’entretenant aucune identité secrète régulière. Vision, ou Aarkus aura droit à environ 35 épisodes pendant le Golden Age mais les scénaristes entretiendront le mystère. Non seulement on sait peu de chose de lui mais on ne visitera pas vraiment son monde d’origine. Aarkus est un peu comme un Sub-Mariner dont on ne montrerait jamais la culture d’origine. Comme écrit plus tôt, même la description de ses pouvoirs est sujette à des variations. Dans Marvel Mystery Comics #15, par exemple, il est capable de créer une « image mentale » de lui-même et de se déplacer de manière invisible et intangible (en fait le procédé est en touts points identiques à ce que sera plus tard le « double astral » de Doctor Strange). Dans Marvel Mystery Comics #18, Vision n’a même plus besoin du tout de fumée pour se matérialiser… il apparaît dans le reflet d’un miroir sans que rien ne justifie ce changement de méthode. A noter que dans Marvel Mystery Comics #19 il utilise à nouveau la fumée pour apparaître et dans des conditions particulières bien que les auteurs n’en aient sans doute pas conscience : Vision se matérialise à partir d’un panache de fumée émanant d’un camp de concentration situé en France. Mais à l’époque même cet esprit vengeur de fiction est loin de se douter de ce que peut être, dans la réalité, cette fumée s’échappant de ce genre de bâtiment…

L’arrivée de Vision dans notre monde a la particularité de faire écho à deux origines de personnages qui vont apparaître des années plus tard. D’abord il est impossible de ne pas faire le rapprochement entre l’arrivée d’Aarkus (étranger chauve et vert), amené dans notre dimension par la machine d’Enoch Mason, et les origines du Martian Manhunter de DC dans Detective Comics #225 (1955) quinze ans plus tard. Le Manhunter est… un martien chauve et vert, amené sur Terre par l’invention du professeur Erdel, savant qui désirait établir le contact avec d’autres mondes. La Vision est un être au moins en partie mystique là où le Martian Manhunter est « simplement » un extra-terrestre et, à ce titre, relève plus de la science-fiction. Mais les ressemblances entre leurs apparences et leurs épisodes initiaux sont trop grands pour être le fruit du hasard. La coïncidence semble plus de rigueur pour l’autre origine préfigurée dans Marvel Mystery Comics #14 et ne concerne pas directement Vision mais bien Enoch Mason. La machine et le but que s’est fixé le scientifique sont identiques à… l’expérience à laquelle se livrera plus tard Victor Von Doom dans sa jeunesse, expérience ratée qui se soldera par une explosion qui ruinera les études du futur monarque de la Latvérie. Comme Mason, Von Doom construit une machine pour abattre la barrière entre les mondes, avec des théories relativement similaires. En terme de continuité on pourrait tout à fait imaginer que Victor Von Doom s’est basé sur les travaux de Mason. Ou, mieux, que l’explosion est causée par Aarkus ou les autres habitants de « Smokeworld » qui, voyant l’être maléfique qui voulait les contacter, lui aurait d’une certaine manière claqué la porte au nez. Enfin on pourrait faire ce genre de rapprochement si l’origine du Vision du Golden Age n’était pas sujette à caution…

Dans Marvel Mystery Comics #45 (juillet 1943), lors d’une histoire titrée “The Vision’s Secret”, les japonais sont sur le point d’attaquer le monastère tibétain de Shangri-La et Vision reconnaît que, plusieurs siècles auparavant, il a été le premier chef de ce monastère. Autrement dit Aarkus ne serait pas une créature originaire d’une autre dimension mais aurait eu une existence humaine sur Terre par le passé. Ce qui d’une certaine manière colle assez bien avec les déclarations d’un Enoch Mason qui voulait contacter l’Au-Delà. D’autant que dans d’autres histoires (notamment dans Marvel Mystery Comics #17) la Vision est qualifié de « Master Ghost » (« Maître Fantôme »). Sous un certain angle on peut comprendre qu’Aarkus serait le spectre surpuissant d’un tibétain ayant foulé la Terre quelques siècles plus tôt. Cela complique l’origine d’Aarkus mais ne contredit pas, en un sens, ce qui a été dit auparavant.

En fait la vraie contradiction survient quelques mois plus tôt, dès Marvel Mystery Comics #23 (Sept. 1941), à cause d’un certain Stan Lee en charge de l’écriture des courtes nouvelles qui accompagnent les BD (ces textes étaient une sorte de caution morale, pour démontrer aux parents que les comics n’étaient pas qu’un média visuel et ne dégoûtaient pas les enfants de la lecture). Lee décide de raconter les origines de la Vision et va tout bonnement réinventer les évènements vu dans Marvel Mystery Comics #13, alors qu’il est par ailleurs certains que Lee a lu l’épisode. Dans cette version Vision est un sorte de policier dans son propre monde. Encore que « Smokeworld », sa dimension d’origine, soit relativement débarrassée de tout crime. Du coup on ne sait pas quoi faire d’un meurtrier, tellement la chose est rare. Quand l’événement se produit, après des siècles de tranquillité, l’équivalent du Président de ce monde charge Vision de bannir le coupable dans une autre dimension. Le premier voyage de Vision vers notre univers lui permet donc de se rendre sur Jupiter, où il abandonne le dit meurtrier… Ce qui fournirait une bonne base pour un futur adversaire car Aarkus, finalement, a abandonné un de ses semblables sur une planète gazeuse. Pour une race rendue plus forte par la fumée, quelques décennies passées sur Jupiter doit donner un être bien plus puissant que la Vision du Golden Age ! Mais par ailleurs un scientifique terrien (qui n’expérimente pas sur l’Au-Delà mais plus « simplement » sur l’énergie atomique) entre accidentellement en contact avec Smokeworld et arrive à convaincre les habitants que la Terre a plus besoin d’un protecteur que leur propre dimension. Vision est donc envoyé comme une sorte d’ambassadeur pour répondre à la requête du savant, lequel ne s’appelle pas Enoch Mason mais… Markham Erickson !

Il faudrait donc en déduire que contrairement aux apparences l’expérience d’Enoch Mason n’a pas fonctionné, que Vision était déjà arrivé sur Terre avant cet événement et qu’il accompagnait en quelque sorte le détracteur de Mason, Markham. Mais dans ces conditions le rôle de Markham dans Marvel Mystery Comics #13 est totalement contradictoire puisque c’est lui qui doute le plus de la possibilité de briser la barrière entre les mondes. S’il a déjà établi un contact avec la Vision, cette incrédulité devient pour le moins paradoxal. Ceci dit la complexité apparente des sources est une bonne manière pour dépister les chroniqueurs qui « racontent » les origines de la Vision sans les avoir lues eux-mêmes, en se basant sur des index de seconde génération. Plusieurs sites ou livres expliquent que Markham Erikson a amené Vision sur Terre dans Marvel Mystery Comics #13 (voyage sur Jupiter compris) mais, comme nous venons de le voir, quiconque a lu l’épisode initial ne peut faire cette confusion.

Dans les années 60 le scénariste Roy Thomas comptait ramener Aarkus et en faire un membre des Avengers. Stan Lee, encore éditeur-en-chef de Marvel, refusa et demanda à Thomas de réfléchir à l’idée d’introduire plutôt un androïde ou un robot dans l’équipe. Thomas coupa la poire en deux en créant une nouvelle Vision (le synthozoïde bien connu des lecteurs des Vengeurs), un personnage différent qui s’approchait le plus possible d’Aarkus. Différence de taille, comme Marvel publiait déjà les aventures de Hulk à l’époque, il fut décidé que la peau du Vision androïde ne serait pas verte mais rouge. D’ailleurs sur la couverture d’Avengers #57 (1968) la première à représenter l’androïde, il est intéressant de noter que le personnage est A) entouré d’un épais nuage de fumée B) présenté sous le même gigantisme (par rapport aux autres Vengeurs à ses pieds) qui était utilisé dans la page d’ouverture de la première apparition du Vision originel. A partir du moment où le Marvel moderne avait son propre Vision, le retour d’Aarkus allait donc sembler encore plus compliqué. Roy Thomas arriverait finalement à faire référence à lui lors de la guerre Kree/Skrull (Avengers #97, 1972) et à reconnaître l’existence d’Aarkus dans la continuité moderne. Deux sagas plus modernes sont venues encore rajouter des « écarts biographiques » dans l’histoire ou la personnalité du héros. Dans la mini-série Invaders des années 90, on nous explique que la Vision est piégé sur Terre et que pour retourner sur « Smokeworld » il a besoin de l’aide des super-héros sympathisants avec les nazis (parmi lesquels Doctor Nemesis et Spider-Queen). Aarkus parait un moment sur le point de sacrifier tous ses idéaux pour retourner sur son monde, avant d’être finalement ramené dans le droit chemin, impressionné par l’héroïsme des Invaders. Mais un tel écart de conduite aurait tout simplement été impossible au Vision réellement publié dans les années 40 puisqu’il était aussi intraitable que le Spectre ! Collaborer avec les nazis ? Il aurait sans doute préféré être détruit sur place ! Plus récemment la série Avengers/Invaders a montré que la race de la Vision sert de « tuteurs » lors de la création des Cubes Cosmiques (armes redoutables qui sont capables de réécrire la réalité, ce qui explique peut-être les contradictions dans ses origines et son comportement… S’agirait-il d’effets secondaires liés au Cube). Le personnage a joué un rôle actif dans la résurrection de Toro (l’assistant d’Human Torch) et semble appelé à intervenir dans la prochaine mini-série Invaders au minimum comme un allié, au mieux comme un membre officiel de l’équipe…

[Xavier Fournier]

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