Dans l’été 1947, l’univers de DC Comics a connu une véritable explosion en matière de femmes fatales. Black Canary (ennemie de Johnny Thunder), The Thorn, Star Sapphire (d’abord opposées à Flash) ou the Blue Lama (adversaire de Sargon le Sorcier) firent leur apparition en l’espace de quelques semaines à peine, comme si les responsables éditoriaux avaient donné des ordres ou que les auteurs s’étaient donné le mot. En fait, il y a un peu de ça puisque la plupart des criminelles concernées furent la création de Robert Kanigher (par la suite éditeur et scénariste de Wonder Woman). L’auteur était assez adepte du modèle de la femme fatale « mangeuse d’hommes » (et pas exclusivement d’ailleurs puisqu’il alimenta pendant des années la série Wonder Woman avec une horde de super-criminelles), un peu dans la lignée de la Dragon Lady de Terry & les Pirates ou des nombreux personnages féminins croisés par le Spirit. En 1947, Kanigher lança ainsi plusieurs criminelles mémorables en un temps relativement cours. Officiellement, rien ne permet d’identifier le scénarise de l’épisode de Wildcat qui nous intéresse. Mais nous verrons plus loin pourquoi les présomptions se tournent vers cet auteur…
Ici c’est également le cas, même si notre Masked Marvel est supposé être un boxeur. Sur la foi des articles qui paraissent alors, les journalistes sportifs se ruent dans la salle de sport où s’entraîne Ted Grant, le champion de boxe. Ted Grant qui est aussi, secrètement, le héros masqué Wildcat. Tout le monde demande à Stretch, le manager de Ted, quand il organisera un combat entre son protégé et le mystérieux Masked Marvel. Ce grand échalas de Stretch (qui est l’époque l’élément comique de la série) explique alors qu’il attend justement un coup de téléphone de Masked Marvel d’un instant à l’autre pour régler les détails de l’organisation. Mais quelques instants plus tard, lorsque la conversation a lieu, Stretch est surpris par la tournure des choses. Masked Marvel n’acceptera un combat qu’avec le seul Wildcat. Et Stretch, qui ignore complètement la double identité de Ted Grant, est catastrophé. Comment pourrait-il contacter Wildcat puisque personne ne sait qui il est ?
Mais il y a un petit problème : Masked Marvel n’est toujours pas là. Wildcat, Stretch et l’arbitre attendent en vain. On parle même d’annuler la rencontre puisque le deuxième combattant ne fait pas mine de venir. Mais soudain une silhouette costumée saute sur le ring. Le Masked Marvel ! Sauf que tout le monde est passablement surpris : il s’agit d’une femme habillée
Alors qu’on approche une autre cage montée sur roues, Huntress reprend : « Mais tu n’es pas seul ! Voici le maire, le procureur et le chef de la police ! ». Il faut croire que les personnages concernés étaient dans le public pendant le combat et qu’Huntress en a profité pour les capturer eux aussi. Encore que la situation est cocasse puisque l’action se déroule à Gotham. Peut-on réellement penser qu’Huntress pourrait enlever le maire ou le chef de la police de Gotham sans attirer l’attention de Batman ?
Bien qu’elle soit déguisée en féline, Huntress ne se prend pas véritablement pour une panthère. Son costume est sans doute à interpréter comme une sorte de trophée (un peu à l’instar de Kraven le Chasseur, qui viendra plus tard enquiquiner Spider-Man). Comme son nom l’indique, Huntress est intéressée surtout par la chasse. Et elle explique à ses proies humaines : « Vous autres, défenseurs de la loi, avez collectionné les trophées de vos chasses pendant trop de temps ! Je me suis toujours moquée de la Loi. Et maintenant je vais diriger les choses à ma façon ! Vous, les chasseurs, deviendrez les chassés ! ». Encore une fois, si les choses se déroulent à Gotham, on s’étonnera qu’Huntress n’ai pas pensé à capturer aussi cet autre défenseur de la Loi qu’est Batman… Bientôt les notables sont libérés de leur cage (tandis que Wildcat reste enfermé dans la sienne). Huntress ordonne à ses prisonniers de choisir entre fuir, se cacher ou combattre. Elle leur laisse une demi-heure. Passé ce délai elle les chassera selon la seule loi de la jungle. « Dépêchons nous ! » s’exclame le policier : « Elle veut dire qu’elle va nous tuer de sang-froid ! ».
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Mais comme ils veulent voir le héros de près, ils font l’erreur de se mettre à sa portée. Wildcat s’empare de l’un d’entre eux, qu’il soulève et menace d’écraser entre les barreaux si on n’ouvre pas sa cage. Finalement, désirant aider leur camarade, les bandits obéissent. Après tout ils sont plusieurs et armés. Wildcat est seul et sans arme. Ils ne risquent rien à lui obéir. Sauf que, bien sûr, Wildcat est non seulement un as de la bagarre mais il est aussi agile qu’un félin. Dès que la porte s’ouvre, il saute donc sur les hommes. Ils sont à trois contre un ? Et eux ont des armes ? Peut-être mais ça ne suffit pas contre Wildcat. Bientôt, c’est lui qui a le dessus.
Victorieux, Wildcat peut donc se lancer à la poursuite d’Huntress. Il découvre ainsi une véritable jungle privée dans laquelle la tueuse organise ses chasses. En fait, la priorité de Ted est de retrouver les notables : « Je dois remonter leur piste avant Huntress. Sinon ils finiront comme autant de trophées dans sa salle d’exposition ! ». Mais, forcément, Huntress est partie avec
Aussitôt un combat s’engage dans l’eau. Ce qui n’est pas franchement l’habitat naturel déguisé en chat noir et d’une femme vêtue d’une peau de tigre. Mais Huntress n’a pourtant rien perdu de son sentiment de supériorité : « Le crétin ! Oser me défier ! Je vais m’amuser avec lui maintenant ! ». Wildcat arrive à sortir hors de l’eau mais ne trouve plus de trace de son adversaire : « Elle a disparu ! Je me demande si l’ai perdu ? ». Mais Huntress surgit soudain de la direction opposée, armée d’une dague : « J’ai vu quelle piste tu étais en train de
Mais à ce moment-là surgissent le maire, le procureur et le chef de la police. Tous sont bien portants ! Huntress n’en revient pas ! Elle les avait vus morts pourtant ! Le policier explique alors que leurs morts ont été mises en scène. Il s’agissait d’un plan de Wildcat pour qu’elle cesse de faire attention à eux et qu’elle suive la piste qui allait l’amener dans le piège ! Wildcat a donc réussi à chasser la chasseresse ! C’est encore mieux que l’arroseur arrosé ! Plus tard Wildcat regarde le fourgon de police qui emporte Huntress vers la prison : « Salut, Huntress, et merci pour l’exercice ! ». Derrière les barreaux, l’autre est furieuse : « Jusqu’à ce qu’on se croise à nouveau, Wildcat ! Est-ce que tu pense que cette faible cage me retiendra longtemps ? ».
D’ailleurs ces paroles sont prophétiques. Quelques temps plus tard, après que Wildcat soit redevenu Ted Grant, Stretch lui apporte le journal : « Dis donc Ted, tu as entendu la dernière ? Huntress s’est échappée ! Je parierais qu’elle va à nouveau combattre Wildcat ! ». Méditatif, Ted conclut l’épisode par un « Je n’en serais pas surpris ! » qui promet d’autres rencontres avec cette femme fatale… Et la promesse serait tenue dès le mois suivant. En fait, pendant quelques temps, Huntress allait devenir l’ennemie la plus régulière de Wildcat, obsédée par l’idée de le battre (et le plus souvent prise à son propre jeu). Le scénario fournirait cependant assez peu d’information sur l’origine et les motivations de cette chasseresse, qui ne semblait pas avoir d’autre vie en dehors de ses activités costumées. Bien qu’elle soit parfois emprisonnée à la fin des épisodes, Wildcat et les autres personnages ne font pas mention d’un nom civil. Il semble que les pouvoirs publics n’arrivent pas à l’identifier. D’ailleurs dès Sensation Comics #69 (septembre 1947) Huntress fait abattre un homme qui avait posté un « indice important concernant son identité secrète ». Ce qui suppose que, dans la version initiale tout au moins, Huntress n’était pas supposée être n’importe qui et cachait une autre existence. Tout semble indiquer qu’Huntress était pensée comme une riche rentière (elle ne manquait pas de moyens puisqu’elle avait assez de ressources pour faire aménager des jungles artificielles) qui s’amusait à jouer les criminels. Mais le scénariste n’explorera guère cet aspect des choses.
Le scénariste. Parlons-en du scénariste. Si le dessinateur initial est identifié comme étant Mort Meskin, le nom de l’auteur de l’histoire reste officiellement inconnu. Mais on peut s’orienter vers deux suspects : Le premier est Bill Finger. Co-créateur de Batman, il avait aussi participé au lancement de Wildcat (d’où de petits touches comme le fait d’établir Wildcat dans la même ville que Batman). Finger était aussi le créateur de Catwoman et on pourrait donc penser que l’inventeur de Wildcat aurait voulu lui donner son équivalent de Selina Kyle. Seulement à l’époque Finger n’écrivait plus guère les aventures de Wildcat. A l’inverse Robert Kanigher contribuait régulièrement à des épisodes du personnage. Qui plus est, en 1947 Kanigher s’était lancé dans une création en masse de criminelles costumées. Chaque série que Kanigher touchait se voyait systématiquement affublée d’une criminelle positionnée. Kanigher lança ainsi Black Canary (d’abord présentée comme une voleuse), Harlequin (Molly Mayne, adversaire amoureuse de Green Lantern) mais aussi, comme nous l’avons dit en introduction, les versions premières de Star Sapphire ou de Thorn. Auteur de plusieurs épisodes de Wildcat et créateur « d’ennemies jurées » à la pelle, Kanigher est donc bien positionné pour être aussi le père de cette Huntress.
D’ennemie de Wildcat, Huntress était donc passée au rang d’adversaire de la JSA et c’était assurément une promotion (la revue All-Star Comics disposant de plus de lecteurs que Sensation Comics). Au passage elle usage dans ce numéro d’une carabine (normal, elle chasse!) mais aussi d’un « lasso invisible » dont l’existence n’est pas expliquée. Mais pourtant ce combat serait le dernier d’Huntress pour tout le Golden Age. On ne reverrait pas la chasseresse en peau de tigre avant des décennies. Son utilisation avait pourtant été intensive dans les mois précédents et les aventures de Wildcat ne cesseraient qu’en 1949 (Sensation Comics #90). Pourtant après le #76 on ne la reverrait pas dans la série. Mais on peut remarquer qu’à ce moment là l’identité du dessinateur se stabilise. Au lieu de Mort Meskin ou de Gil Stack (pseudonyme de Gil Kane) qui avaient dessiné les précédents numéros, c’est soudain Arthur Peddy qui se « sédentarise » comme illustrateur des aventures de Wildcat. Et comme certains personnages n’apparaissent plus, tout porte à croire que la présence de Peddy trahit un changement de l’équipe créative. C’est sans doute un autre scénariste qui avait repris la série. Et qui préférait sans doute raconter ses propres histoires que se coltiner Huntress mois après mois…
Au fil de l’histoire, on découvre que qu’Huntress a profité de ses années d’absence pour épouser un de ses co-équipiers de l’Injustice Society : Le Sportsmaster. Comme il est obsédé par le sport tout comme elle fait une fixation sur la chasse, le couple se retrouve autour de l’idée de compétition. Bien entendu ils n’arriveront pas à faire le moindre mal à Wildcat et seront battus par les héros. Mais l’épisode a le mérite de réintroduire Huntress et son époux dans la continuité du Silver Age. Seulement, avec tout ça, on ne sait toujours pas qui est réellement Huntress (ça valait bien la peine d’abattre quelqu’un en 1947 pour protéger ce « secret »).
Il faut dire que les jeunes lecteurs de cette époque ignoraient, pour la plupart, les épisodes initiaux de Wildcat. L’intérêt autour de cette criminelle ne revint graduellement qu’à partir de 1973, quand DC, pour donner à ses revues une pagination plus ambitieuse, se lança dans un programme de réimpressions de diverses aventures du Golden Age. Y compris des enquêtes de Wildcat ou de la JSA dans lesquelles on pouvait voir Huntress en plein action. Dans Justice League of America #123, Huntress revint parmi les membres de l’Injustice Society. Autant dire qu’elle était à nouveau dans le radar du public, même si elle n’était pas un personnage majeur.
L’origine de la Tigress n’avait rien à voir avec Wildcat : On découvrait que la jeune Paula Brooks était une fan de chasse et qu’elle admiré Paul Kirk, le plus grand spécialiste de la chasse dans les années 40. Au point que l’expérience de Kirk lui avait permis de devenir le super-héros Manhunter. Paula admirait tellement la technique de Kirk qu’elle reconnut vite son style en voyant le Manhunter en action. Suivant l’exemple de son idole, Paula devint elle aussi une héroïne costumée et fut donc finalement acceptée dans les rangs des Young All-Stars (#9, février 1988). Mais très vite les autres héros allaient tiquer par sa tendance un peu trop manifeste à la violence. Jusque-là, rien de bien terrible. Paula/Tigress pouvait passer pour la « Wolverine » du groupe.
Avec les Young All-Stars, Roy Thomas avait dans l’idée de fournir des analogues à divers héros du Golden Age qui devenaient inutilisables en raison des retombées du Golden Age. En lieu et place de Superman ou de Wonder Woman, il introduisit donc Iron Munro et Fury. Au début Flying Fox avait été pensé comme un remplaçant de Batman, même si l’idée l’entraîna bien vite
Néanmoins le scénariste allait donner un coup d’accélérateur à l’évolution de Paula Brooks. Dans un épisode, Tigress est tuée pendant une bataille et ramenée à la vie par Gudra, une valkyrie ennemie de Wonder Woman et de l’All-Star Squadron. Il semble que puisque Paula ait été contaminée par la magie noire de Gudra lors de cette résurrection et que la manœuvre ait amplifié les travers de Tigress, la poussant rapidement à devenir une hors-la-loi. On notera que cette corruption via une résurrection n’est pas sans évoquer avant l’heure le retour à la vie de Jason Todd (le deuxième Robin) et sa transformation en Red Hood. Vers la fin de la série Young All-Stars (#31), Tigress avait déjà basculé du
D’abord il aurait fallu expliquer comment, si Paula avait été membre des Young All-Stars dès 1945, Wildcat ne l’aurait pas reconnu en 1947, quand elle apparaît en se présentant sous l’identité de Masked Marvel. Et le fait que les autorités ne puissent l’identifier pose aussi question. Ensuite il y avait des pistes intéressantes. Si Tigress était corrompue, elle n’en connaissait pas moins les secrets de différents héros (après tout, dès sa première apparition chronologique elle devine la double identité de Manhunter). Pour résumer l’approche de Roy Thomas, il est clair qu’une fois la série Young All-Stars terminée, le scénariste part du principe que Tigress est devenue Huntress. C’est relativement simple et la boucle est ainsi bouclée.
Ou en tout cas serait ainsi bouclée puisqu’il a bien fallu, forcément, que d’autres auteurs s’en mêlent. Ou s’emmêlent, d’ailleurs. Young All-Stars racontait des évènements situés en 1942. Dans le crossover JSA Returns, dont l’action se déroulait vers la fin de la seconde guerre mondiale, Paula Brooks est représentée comme la partenaire (et la maîtresse) de Manhunter. C’est à dire
[Xavier Fournier]
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