Oldies But Goodies: Shazam #1 (Fev. 1973)

[FRENCH] Pendant des années Superman et Captain Marvel furent des concurrents acharnés. Au point que tout ça finisse par se régler à coup de procédures et d’avocats pour qu’au final le héros en rouge et or disparaisse dans les oubliettes de l’Histoire. Pendant 20 ans Billy Batson ne fit plus parler de lui. Puis vint un jour l’impensable : le retour de Captain Marvel chez l’ennemi d’hier, DC Comics. Restait à expliquer où était passé le héros pendant tout ce temps…

Fut un temps, dans les années 40, où les ventes de Captain Marvel dépassaient celles de Superman. Dans cette phrase se résume toutes les raisons de la bataille juridique acharnée que se livrèrent Fawcett (l’éditeur du Captain Marvel originel) et DC (éditeur de Superman). D’un côté DC voulait faire interdire son concurrent pour plagiat, là où bien d’autres « clones » de Superman courraient dans la nature. Mais eux n’étaient pas dérangeant en termes de ventes. Inversement, c’est bien parce que Captain Marvel était une réussite commerciale que Fawcett ne lâcha pas l’affaire, là où si le héros n’avait pas vendu son éditeur se serait contenté de cesser de le publier pour rendre la procédure de DC caduque. Même en France le « Capitaine Marvel » était une vedette qui faisait de l’ombre à Superman. Pensez bien qu’ici le héros de Fawcett eut droit à sa propre série, à son nom, dès la fin des années 40 alors qu’aucun magazine français titré Superman ne vit le jour avant les années 60. Mais dans les années 50 la mode du super-héros s’était quelque peu tassée aux USA, les ventes s’étaient tassées. Ca ne valait plus guère le coup de s’entêter, Fawcett décida d’arrêter ses titres liés à Captain Marvel et de signer « à l’amiable » un accord avec DC. Fawcett s’y engageait à ne plus jamais publier Captain Marvel et ses personnages dérivés…

Mais le personnage restait « culte » et finalement vingt ans plus tard les producteurs de la télévision s’y intéressèrent. Les studios et les représentants de Fawcett (qui s’était entretemps recentré sur l’édition de magazines familiaux) s’assirent pour discuter d’un feuilleton télévisé. Et DC Comics finit par être mis dans la boucle. Puisque Fawcett ne publiait plus de comics en tant que tels et que par ailleurs l’accord ancien faisaient qu’ils s’engageaient à ne plus publier Captain Marvel, finalement le seul qui pouvait le publier sans s’offusquer que l’accord soit rompu c’était bien DC. Fawcett loua donc son personnage à DC (il faudrait quelques années avant que DC n’achète pour de bon les droits du héros). DC, de son côté, publiait son ancien concurrent. Tout le monde était content… Restait un détail de taille : comment expliquer où était passé le héros pendant deux décennies ? Si Captain Marvel avait déjà appartenu à DC sans doute qu’on serait reparti de zéro. Où qu’on nous aurait proposé le nouveau « Captain Marvel de Terre-1 » de manière à être libéré d’une continuité liée à un autre éditeur. Seulement voilà, techniquement le personnage était encore la propriété de Fawcett, il fallait ménager ce dernier. Et puis il y avait aussi tout intérêt de jouer la carte de la légitimité avec le retour du Captain Marvel originel, par opposition à l’homonyme paru entretemps chez Marvel Comics… Revint donc au scénariste Denny O’Neil d’expliquer le pourquoi du comment le premier Captain Marvel était de retour et surtout où il était parti… Car toute la problématique, en un sens, c’est que l’univers de Captain Marvel ne se limite pas à un ou deux personnages. Il n’est pas comme Captain America. On ne pouvait pas l’importer en faisant abstraction de tous les héros secondaires qui s’y rattachaient…

Shazam #1 commence par une scène anodine où un certain Monsieur Binder (clin d’œil au co-créateur de Captain Marvel) se promène dans la rue et tombe sur le jeune Billy Batson. Binder est sidéré car Billy avait disparu depuis des années et pourtant… il n’a pas vieilli d’un poil ! Billy évacue les questions de Binder en lui disant que s’il lui disait la vérité, il ne le croirait pas. Tandis que Binder, toujours sous le coup de la surprise, s’éloigne, Billy peut repenser alors aux raisons de sa longue absence et de sa jeunesse intacte. Impossible pour lui de l’expliquer sans révéler que dans les années 40 le sorcier Shazam a fait de lui le super-héros Captain Marvel. A chaque fois que Billy prononce le mot « Shazam » il se transforme en un colosse surpuissant, doué de superpouvoirs empruntés à des héros, dieux ou prophètes liés à différentes mythologies/religions. Avec le temps Captain Marvel fut rejoint par d’autres héros (comme sa sœur, Marie Marvel, ou l’adolescent Captain Marvel Jr.). Au sommet de leur gloire, il y a bien des années, Captain Marvel, Mary Marvel et Junior, entouraient de tous leurs amis, participaient à une manifestation officielle devant l’hôtel de ville, où ils devaient être décorés pour leurs années d’héroïsme. Quand soudain les super-héros et la foule furent emportés dans l’espace, tractés par un vaisseau spatial piloté par le malfaisant Sivana et ses enfants.

Sivana, c’est à Captain Marvel ce que Lex Luthor est à Superman. Un savant chauve entièrement consacré à la perte de son ennemi. Mais cette fois-ci son plan avait une variante : il ne s’agissait pas vraiment de battre Captain Marvel ou de le détruire mais simplement de le piéger dans une substance que Sivana venait d’inventer : le Suspendium. C’est une matière qui a pour effet de geler le temps. Captain Marvel et la foule qui l’accompagnait ce jour-là se retrouve donc coincé dans une énorme sphère de Suspendium, destinés à flotter pour toujours dans l’espace. Et Sivana compte bien en profiter pour prendre le pouvoir sur Terre. Sauf qu’ils ne sont pas doués dans la famille Sivana… Le fils du savant est tellement content de cette victoire qu’il donne une grande tape dans l’épaule de son père. Sivana s’écrase sur la console des commandes du vaisseau, qui devient incontrôlable. La fusée part dans tous les sens et finit par se planter dans la sphère de Suspendium toute proche. Toute la famille Sivana est donc prisonnière de son propre plan, à son tour « gelée » dans le Suspendium, le visage de Sivana pour toujours figé à quelques centimètres de celui de Captain Marvel.

Pour toujours ? Non, mais en tout cas pour longtemps. Pendant deux décennies la sphère de Suspendium orbite autour du soleil mais un jour sa trajectoire décline et elle approche trop de l’astre. Une partie du Suspendium est alors vaporisée par la chaleur. Oh, pas grand-chose mais juste assez pour libérer la tête de Captain Marvel, qui dépasse dans le vaisseau de Sivana. Le héros reprend ses esprits mais son corps est encore prisonnier. Marvel a alors l’idée de crier son mot magique, « Shazam » ! Redevenu Billy Batson, sa stature est moindre et il peut se glisser sans problème dans l’habitacle du vaisseau. Une fois libre, il crie à nouveau « Shazam » pour reprendre sa forme de super-héros et utilise sa force pour dégager ses alliés, Mary Marvel et Captain Marvel Junior. Pendant ce temps, les Sivana aussi sont revenus à eux et prennent la poudre d’escampette à bord de leur fusée (mystérieusement redevenue contrôlable suite à une contradiction scénaristique). Ensemble ils ramènent la sphère sur Terre et la brise, libérant leurs amis, comme eux, ont passé 20 ans coincés dans l’espace. Du coup les héros n’ont pas vieillis mais leur entourage non plus… Et ca vaut aussi bien pour le directeur de la radio pour laquelle travaillait Billy Batson que pour la moindre secrétaire. Bref, tout le monde n’a pas pris une ride et débarque ainsi dans les années 70… L’histoire est racontée sur le mode « naïf » qui avait toujours été la marque de fabrique de Fawcett donc cette histoire de déplacement dans les époques est assez vite expédiée. C’est plus un « moyen » pour expliquer la jeunesse de tous les personnages plutôt qu’un réel ressort scénaristique. Dommage, en un sens, car joué avec un peu plus de sérieux il y avait là quelque chose digne d’un « 4400 » avant l’heure, avec toute une partie de la ville revenant 20 ans après avoir disparu dans l’espace. La conclusion laisse finalement assez peu de place à l’introspection puisque Captain Marvel – se souvenant d’un ancien repaire de Sivana – déduit que ce dernier doit s’y cacher (ce n’est pas tout à fait comme si Sivana avait eut vingt ans pour changer de résidence). Il capture sans trop de problème la famille Sivana au grand complet et ironise sur le fait que leur sentence ne sera sans doute pas « suspendue ». Grincheux, les Sivana protestent mais Captain Marvel leur objecte de repenser à la chance qu’ils ont d’être tous vivants, allusion non seulement au fait qu’ils ont tous échappés au Suspendium mais aussi à ce retour de publication après 20 ans d’éclipse…

L’épisode est « naïf » dans son exécution parce qu’à l’époque DC visait pour cette série un lectorat plus jeune que celui de ses autres titres (un peu avec la même idée que ce qui se produirait plus tard pour la gamme Impact). Mais le Suspendium avait l’avantage de conserver intacte la carrière de la « famille Marvel » dans les années 40/50. Après Crisis (qui correspond en gros au moment où DC a finalement eut les contrôles de Captain Marvel sans plus avoir de comptes à rendre à Fawcett), l’éditeur s’est au contraire employé à effacer le Golden Age de Captain Marvel. Dommage parce qu’en un sens le Suspendium c’était un peu à Captain Marvel ce que l’iceberg est à Captain America. Et Captain America est bien plus intéressant avec son traumatisme d’avoir sauté des générations plutôt que si Stan Lee avait décidé de créer un nouveau Cap sans rapport avec le passé. Et puis il y avait sans doute des choses à faire avec le Suspendium au sens large, qui pouvait rejoindre la Kryptonite ou l’Adamantium dans la liste des éléments fictifs qu’utilisent les personnages de comics. Au lieu de cela le Suspendium fut pratiquement aussi vite utilisé qu’oublié… De manière bien plus contemporaine, Sivana s’est servi à nouveau du Suspendium pour piéger le ver Mister Mind, dans les pages de la série 52 mais Alan Moore y a également directement fait allusion dans Tom Strong quand les héros de Terra Obscura sont gelés pendant des années dans des sphères similaires. Et si vous voulez vraiment y voir une connexion (bien que rien ne soit dit en ce sens, c’est juste une ressemblance frappante) le Suspendium peut aussi être le « temps gelé » qui compose les murs cristallins frappés par Superboy Prime pendant Infinite Crisis ou encore le petit globe lui aussi « temporel » dont la JLA et la JSA se servaient avant Crisis pour communiquer entre leurs deux mondes (globe similaire à celui vu récemment dans Final Crisis : Legion of Three Worlds et dont on nous dit également qu’il est composé de « temps figé »). Aujourd’hui, pour autant que DC soit concerné Shazam #1 n’a jamais existé en termes de continuité. Le Suspendium, bien que rarement mentionné, est la seule trace réelle qui en reste…

[Xavier Fournier]

Comic Box

Le magazine des cultures comics

Recent Posts

Review : Kraven The Hunter

Il arrive enfin sur les écrans : Kraven le Chasseur ! Non, on blague !…

4 jours ago

Review : Creature Commandos – Saison 1

Avec Creature Commandos, James Gunn inaugure un nouveau chapitre dans l’histoire tumultueuse de DC au…

2 semaines ago

Review : Venom : The Last Dance

Après deux volets ayant conquis le box-office sans pour autant séduire la critique, Venom :…

2 mois ago

Review : Christopher Reeve, le Superman éternel

Hasard du calendrier, Christopher Reeve fait l'objet de deux documentaires en ce mois d'octobre. Le…

2 mois ago

Review : Super/Man : L’Histoire de Christopher Reeve

Le documentaire Super/Man : L'Histoire de Christopher Reeve plonge au cœur de la vie de…

2 mois ago

Marvel Studios’Thunderbolts* : premier trailer

Pour bien commencer la semaine, Marvel Studios nous présentent les premières images de Thunderbolts*, prévu…

3 mois ago