Avant de revenir aux super-héros en 1961, Marvel vivotait en publiant des histoires d’horreur et de fantaisie, à travers des anthologies comme Strange Tales ou Tales To Astonish. Ces titres étaient de grands consommateurs d’histoires puisqu’il s’agissait d’anthologies publiant à chaque fois trois, voir six ou sept récits différents. Il s’agissait d’imiter la formule des EC Comics de façon un peu plus soft (pour ne pas s’attirer la colère de la Comics Code Authority, l’organe d’auto-censure de la BD américaine). Mais s’il s’agissait d’histoires horreur « light », cela ne demandait que plus d’ingéniosité à des gens comme Stan Lee, Steve Ditko ou Jack Kirby pour signer des récits saisissants malgré le fait qu’ils ne pouvaient être trop spectaculaire. « The World That Was Lost », paru en juin 1959 dans la revue Strange Tales, s’inscrit dans ce contexte mais surtout a pour vedette un personnage qui deviendra bien plus connu sous un autre nom.
Cette histoire dessinée par Jack Kirby (le nom du scénariste s’est perdu mais vu la « Marvel Way » en vigueur à l’époque on en déduit que Kirby est au minimum le co-scénariste, sinon plus) a pour protagoniste principal un homme chauve en chaise roulante. S’il est nommé Linus Vermeer, il n’échappera à aucun fan moderne de comics que ce cher Linus est le portrait craché… de Charles Xavier, le futur mentor des X-Men. Il n’y a pas que la calvitie et le handicap qui les rapprochent. En terme de vêtements et d’attitude, Vermeer et Xavier sont également très similaires. A s’y tromper! Ce qui les distingue, c’est la différence de leur quête. Linus Vermeer n’est pas à la rechercher de mutants. Lui, ce qu’il veut, c’est retrouver le continent perdu d’Atlantis et l’histoire débute alors qu’il arrive à convaincre un capitaine de navire de l’embarquer…
Côté similitudes avec le feuilleton Lost, la manière qu’à Linus Vermeer d’insister pour embarquer malgré son handicap n’est pas sans faire écho à certains flashback de la série télévisée, quand John Locke (également chauve en fauteil roulant) ne veut pas qu’on le considère comme un handicapé. La passion qu’à Vermeer de retrouver le continent perdu trouve également quelques parallèles parmi les personnages de Lost qui veulent retrouver l’île. Enfin le leader des autres se nomme Ben Linus, tandis que notre chauve de 1959 a pour prénom Linus. Disons le carrément pour ne pas laisser de doute dans l’esprit du lecteur: je ne pense pas un instant que « The World That Was Lost » ait pu inspirer d’une façon ou d’une autre un détail du show Lost. Pas plus que les épisodes de Green Lantern/Flash ou de Mystery Tales #40 qui se sont déjà glissé dans le feuilleton et qui sont des allusions glissées à postériori de l’écriture principale. Il s’agit le plus souvent de fausses pistes culturelles placées là à la fois pour faire le bonheur des fans mais aussi pour les égarer. Vu sous cet angle, on se demande comment les producteurs de LOST ont pu passer à côté de cette relique, qui là aussi aurait sans doute rendue perplexes quelques spectateurs…
Etrangement, il faut citer une autre similitude. Strange Tales #69 parait en juin 1959 mais en mai de la même année, Superman vol.1 #129 introdusait pour la première fois une certaine Lori Lemaris, une sirène amie de Superman qui cachait sa queue de sirène sous… une épaisse couverture recouvrant un siège roulant. Vu les délais il est impossible que l’un se soit inspiré de l’autre. Lori Lemaris et Linus Vemeer ont sans doute une inspiration commune quelque part dans un roman ou dans un film de l’époque… Ce qui semble certain c’est que Kirby avait encore Linus bien en tête quand, quatre ans plus tard, il dessina l’apparence du mentor des X-Men. Linus n’est pas le précurseur du patriarche des mutants mais il est en quelque sorte le « brouillon » de son identité civile…
[Xavier Fournier]
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