Oldies But Goodies: Superman #163 (Août 1963)
6 août 2011[FRENCH] Superman se découvre un nouveau confrère à Metropolis. Un certain Wonder-Man qui possède tous les pouvoirs du kryptonnien sans pour autant en avoir les points faibles. Wonder-Man est toujours sur le coup et devient vite le chouchou du public. Au point que Superman en vient très vite à se demander si ce nouveau héros ne l’a pas complètement mis sur la touche. Et pourtant ce personnage a quelque de familier. De vraiment très familier.
Comme vu dans notre précédente chronique, la jalousie était un mécanisme essentiel des comics DC dans les années 50 et au tout début des années 60. Dans les revues Batman et Detective Comics, Robin se demandait continuellement si son mentor n’allait pas lui préférer un autre sidekick. Dans World’s Finest Comics, Batman se demandait si Superman n’allait pas mettre fin à leur amitié et inversement. Mais comment faire pour les aventures solitaires de Superman dans ses revues personnelles. Après tout, il n’avait pas de sidekick qui pouvait craindre une remise en question. La mécanique consistait donc à ce que le status de Superman soit régulièrement remis en cause par un rival. Un personnage qui apparaissait de nulle part et qui lui volait les faveurs de Lois Lane ou qui, tout simplement, se contentait d’être plus puissant que le héros de Metropolis. D’ailleurs sur un certain nombre de couvertures de l’époque Superman ne se lamente pas parce qu’il est en train de perdre ou que le monde risque de disparaître s’il ne neutralise pas son adversaire. Non, Superman préfère geindre parce que tel personnage est plus puissant que lui. C’est exactement ce qui se passe sur la couverture de Superman #163, alors que le héros, les points serrés, regarde une affiche vantant les mérites d’un certain Wonder-Man. Derrière « Supie », la populace tourne le dos et regarde Wonder-man passer dans le ciel en s’écriant « C’est un oiseau ? C’est un avion ? Non, c’est Wonder-Man ! ». Comble de l’affront, la scène détourne la fameuse phrase « It’s a bird, it’s a plane… No, it’s Superman ». Plongé ses pensées, Clark rumine « Maintenant que Wonder-Man a prouvé au monde que ses pouvoirs sont plus puissants que les miens, tout le monde m’a oublié ! Je suis… un Has-Been ! ». La vache ! Superman poussé au bord de la dépression par un concurrent dont nous n’avions jamais entendu parler ?
A l’intérieur, la page de présentation enfonce le clou. Le titre de l’histoire est « Wonder-Man, le nouveau héros de Metropolis » et Superman assiste de loin à une scène de liesse générale : la population de Metropolis fête Wonder-Man dans un cortège assez similaire à celui organisé à l’époque quand des héros nationaux s’en revenaient aux pays (la comparaison avec John Kennedy, assassiné dans un cortège similaire quelques mois plus tard à Dallas vient aussi, rétrospectivement, à l’esprit). Et là encore Superman déprime en observant Wonder-Man : « Il a gagné ces acclamations par tous ses hauts faits… Mais c’est dur pour moi de réaliser qu’il s’agit de mon successeur ! ». Allons donc. Ce serait carrément le remplaçant de Superman ? Mais comment les choses ont-elles pu se produire. Bien évidemment l’histoire va se charger de nous l’expliquer…
Tout commence un jour, alors que Clark Kent prend quelques jours de congés. Lois Lane et Jimmy Olsen lui souhaitent de bien se reposer mais en vérité l’homme a une autre idée derrière la tête. Sa super constitution fait qu’il n’a pas besoin de repos. S’il a pris quelques jours, c’est pour ne pas avoir à justifier une longue absence. On a besoin de Superman pour faire des travaux d’utilité publique dans une ville éloignée. Etre en vacances évitera à Clark d’avoir à expliquer aux autres pourquoi il est absent. Habillé en Superman, le héros fonce dont dans la ville en question (le scénario ne se donne pas la peine de la nommer) et réalise les travaux nécessaires. Il s’agit de consolider les fondations de certains murs pour éviter qu’ils ne s’effondrent. Puis Superman enchaîne avec un autre rendez-vous. On a besoin de lui pour tester un réacteur (sans doute nucléaire) expérimental. Le héros accepte mais explique que même s’il ne craint rien, il y a quand même un risque d’explosion pendant le test. Il se propose donc de construire une enceinte autour du bâtiment qui contiendra les radiations si jamais les choses dégénéraient (ah Superman, si vous aviez été là pour Tchernobyl…).
Mais avant qu’il passe à l’action, il est interrompu par un autre surhomme qui arrive en volant et en transportant des plaques de plomb. Aussi costaud que Superman (mais blond et portant un costume violet et jaune) il s’identifie comme Wonder-Man. et explique qu’il va le faire, lui, le test, puisqu’il a pensé à amener le plomb nécessaire à fabriquer la paroi anti-radiation. Le directeur de la centrale est médusé : « Qui est-il ? D’où tient-il de si grands pouvoirs… ». Il y en un autre qui est médusé, c’est Superman. Tandis que Wonder-Man construit la paroi nécessaire, Superman le passe sous le faisceau de sa vision à rayons-X, déjà irrité par la présence du nouveau venu : « Je pensais qu’il devais être un robot pour posséder une telle force mais je peux voir avec ma vision que ce n’en est pas un ! ».
On sent bien que d’emblée Superman soupçonne (ou espère ?) une forme de tricherie. Mais Wonder-Man s’acquitte très bien de sa tache et procède au test. Qui tourne mal : le réacteur est défaillant et commence à se fissurer. A l’extérieur, la super ouïe de Superman capte le bruit fait par la fissure et se prépare à intervenir « Je ferais mieux de donner un coup de main à cet homme mystérieux. Et vite ! ». Mais le temps que Superman entre dans l’édifice, Wonder-Man est déjà en train de fusionner les bords du mur fissuré par « super pression », visiblement pas dérangé par les radiations. En son for intérieur, Superman s’étonne : « Non seulement il a des superpouvoirs mais en plus il est invulnérable ». Tournure étrange qui reviendrait à dire qu’être indestructible n’est pas un superpouvoir en soi. En fait il semble que ce soit un tic du scénariste (Edmond Hamilton) de considérer comme superpouvoirs seulement certains types de prouesses. Hamilton était déjà l’auteur de World’s Finest Comics #94, précédemment traité dans cette rubrique. C’était, déjà, une histoire de rivalité et Batman pensait que le héros Powerman ne possédait pas de superpouvoirs puisqu’il ne pouvait pas voler (alors qu’il semblait, quelques cases plus loin, plus fort que la moyenne). Les deux scènes laissent à penser que dans l’esprit d’Hamilton il y a une différence entre la notion de superpouvoir et des capacités surhumaines qui peuvent être ou ne pas être, selon le cas, considéré comme des « pouvoirs ».
A ce stade peu importe de savoir comment on appelle les capacités de Wonder-Man. Il a réussi à sauver le réacteur et s’envole sans rien demander d’autre. Quelques curieux le regardent partir et l’un d’entre eux déclare : « Superman n’a servi à rien ! Qui que soit ce Wonder-Man, il est génial ! ». En retrait, Superman et Jimmy Olsen (ce dernier étant visiblement venu couvrir l’affaire) sont dubitatifs. Jimmy demande à son ami « Tu as dis que ce ‘n’était pas un robot ? Mais alors d’où viennent ses pouvoirs ? ». Superman lui rétorque : « Je dois le découvrir. Ce Wonder-Man est peut-être très bien mais j’ai mes doutes ». On notera qu’à ce stade le seul méfait de Wonder-Man a été d’agir en lieu et place de Superman comme « sauveur du jour ». Mais déjà la jalousie de Superman s’est réveillée… Plus tard, Supie se rend jusqu’à sa Forteresse de Solitude, dans l’Arctique. Si Wonder-Man n’est pas un robot, peut-être est-il un autre natif de Krypton ? Après tout il y a toute une ville de Krypton, Kandor, qui est préservée dans la Forteresse. Et si un Kandorien s’était échappé et avait retrouvé une taille normale ? Mais à Kandor on le rassure. Personne ne manque à l’appel. Wonder-Man n’est donc pas un Kandorien. Superman inspecte aussi la Zone Fantôme, qui sert à emprisonner les criminels kryptonniens. Mais là aussi personne ne manque. Wonder-Man n’est pas de Krypton. Il ne peut donc qu’être humain. Mais qui est-il ?
En 1963, les différentes séries de DC sont encore relativement compartimentées. C’est à dire que même si Superman est déjà membre de la Justice League of America on remarquera que les explications qu’il cherche sont toutes centrées sur le folklore de sa propre série. Il utilise parfois des super-robots et, par la force des choses, ses aventures mentionnent les kryptonniens. On ne manque donc pas de nous montrer que ces explications-là sont impossibles. Mais dans le même temps, même en 1963, Superman devrait être en mesure d’imaginer d’autres hypothèses. Wonder-Man pourrait par exemple être le Martian Manhunter déguisé ? Ou bien un agent de Lex Luthor qui tiendrait ses pouvoirs du costume ou d’une injection quelconque ? L’idée ne traverse même pas l’esprit de Superman…
Mais pendant que Superman promène ses doutes et ses hypothèses, Wonder-Man se rend utile. Superman est au Pôle Nord ? Qu’à cela ne tienne. Wonder-Man est là pour empêcher les catastrophes et rendre service. Il sauve un navire en train de couler et transporte une statue ancienne que la ville vient de recevoir dans le cadre d’un jumelage. Bien sur, si Superman n’avait pas foncé au Pôle Nord il aurait été là pour remplir ces tâches. Aussi, en un sens, c’est la faute de Superman si Wonder-Man a l’occasion de se rendre utile et de gagner en popularité. Mais Superman n’en pense pas si long quand il revient en ville et qu’il découvre Wonder-Man portant la statue.
Mais à peine l’objet installé sur la place publique, pendant la cérémonie d’inauguration, qu’une pluie torrentielle se met à tomber. La fête risque d’être gâchée ! Superman fonce alors dans le ciel en se disant qu’il créer un tourbillon pour éloigner les nuages. Mais une nouvelle fois il est pris de vitesse : Wonder-Man crée une grande cloche de verre qu’il installe au dessus de la place. L’endroit est désormais protégé de la pluie et ce toit transparent pourra servir en d’autres occasions ! La foule est reconnaissante. Mais Superman ne l’entend pas de cette oreille : « C’en est trop ! Je vais avoir une discussion avec cet importun ! » En gros, Superman est furieux. Mais une fois encore Wonder-Man n’a rien fait d’autre qu’être un bon samaritain.
Mais l’entrevue va tourner court. Car quand Superman s’approche de Wonder-Man, l’autre se moque de lui : « Arrêtes d’essayer de découvrir qui je suis ! Tu n’as pas compris que tu es un has-been et que tu devrais te contenter de ton identité de Clark Kent ? ». La surprise est forte pour Superman, qui ne s’attendait pas à ce que l’inconnu connaisse son identité secrète. Là, on a pu croire pendant quelques secondes que Wonder-Man était Lex Luthor ou quequ’un de similaire. Mais les ennemis de Superman qui savent qu’il est Clark, il n’y en a pas des tas. Superman va de toute façon de mauvaise surprise en mauvaise surprise. Wonder-Man fouille dans sa propre cape et sort, d’une poche secrète, un fragment de pierre verte, menaçant le héros : « Reste en dehors de la ville et n’intervient pas contre ma carrière ! Je peux t’y forcer en utilisant cette kryptonite verte que je gardais cachée dans du plomb jusqu’ici ! ». Superman se sent immédiatement souffrant mais note que son interlocuteur n’est pas affecté. Ce qui enlève les derniers doutes. Wonder-man n’est vraiment pas de Krypton. Affecté par la menace, Superman n’a pas d’autre choix que d’obéir. Il n’approchera plus Wonder-Man. Si bien que tout cela nous ramène au cortège vu sur la page de présentation de l’histoire. Wonder-Man est fêté comme un héros national tandis que Superman, impuissant, le regarde de loin, n’osant l’approcher. Intérieurement, Wonder-Man semble jubiler : « Superman ne peut pas comprendre ! Si seulement il savait qui je suis ! S’il savait que jusqu’à très récemment j’étais un de ses doubles mécaniques, un de ses robots ! ».
Mais pourtant on nous avait dit que justement le personnage était tout sauf un robot ? Wonder-Man se replonge alors dans ses souvenirs. A une époque il était effectivement un automate construit par Superman à son image. Et pas n’importe quel robot. Superman avait assez confiance en lui pour lui donner un nom distinctif : « Tu est le plus fort de tous mes robots… C’est pourquoi je te nomme Ajax, d’après un colosse légendaire ! ». Assez curieusement il semble donc que les robots de Superman n’aient pas tous la même force ou les mêmes aptitudes (ceci dit cela recoupe certaines théories qu’on pouvait avoir sur Powerman, autre robot de Superman). Avec une voix mécanique, Ajax réponds à son créateur : « Mais je ne suis pas… un homme ! Je suis… une machine ! Créée pour te servir ! ». Ajax servait de garde à la Forteresse de Solitude quand Superman n’y était pas. Il veillait sur des objets comme Kandor ou le projecteur servant à observer la Zone Fantôme. Mais un jour Superman lui donne un ordre fatidique : « Ajax ! Des astronomes ont aperçu une vague de météores qui approchent de la Terre mais je ma présence est nécessaire pour empêcher un tremblement de terre au Canada. Va t’occuper des météores ! ». On notera la notion très relative des priorités de Superman. Entre des météores qui menacent la terre toute entière et un séisme certes sérieux mais touchant un seul pays, il préfère s’occuper du pays et déléguer la menace principale à ce qui n’est finalement qu’un drone !
Propulsé par ses fusées dorsales (les Superman robots ont de petits réacteurs cachés sous la cape), Ajax s’envole dans l’espace et ne tarde pas à apercevoir les météores. Mais un vaisseau spatial est accroché à l’un des astéroïdes. Ajax en déduit que le véhicule est échoué et que ses occupants sont en danger. Il choisit de les aider en priorité mais, pendant qu’il dégage le vaisseau, il sent qu’il est frappé par une toute petite météorite qui détruit certains de ses mécanismes. Tout devient noir. A son réveil, tout est différent. Quand il revient à lui il se rend compte qu’il n’a plus l’apparence de Superman. Il n’est plus Ajax. Il a désormais les traits d’un homme blond. Son esprit a été transferré dans un corps humain ! Il est dans le vaisseau et l’équipage lui explique que son corps robotique avait été détruit au delà de toute réparation et que, par gratitude, ils ont décidé de faire de lui un homme authentique ! Ce corps est celui d’un androïde créé par la chimie. Il ne contient pas le moindre mécanisme mais possède des superpouvoirs extraordinaires. D’un air triste, le dirigeant du vaisseau lui dit « Tu as parlé pendant ton coma et nous avons compris que tu es un serviteur robot de Superman ! Mais maintenant tu es une vraie personne et tu n’as plus besoin d’être à son service ! ». Et Ajax le concède : « Oui ! Superman était mon maître mais je n’ai plus de maître désormais ! ».
L’extra-terrestre qui sauvé Ajax lui confie alors un costume indestructible portant un grand W sur la poitrine et continue : « Prends cette kryptonite verte ! Si Superman devenait jaloux et essayait de te stopper, tu pourrais le neutraliser avec ça ! Tu t’appelleras Wonder-Man ! ». Le nouveau héros revient alors sur Terre en pensant à tout ce qu’il pourra faire. Ce qui nous explique donc comment Wonder-Man a pu faire son apparition au début de l’épisode. On connaît désormais son identité et ses pouvoirs. Superman, lui, l’ignore encore. Wonder-Man continue de penser : « Superman n’imagine pas que moi, qui l’ai dépassé, ait été un de ses robots ! Mais peu importe qu’il se sente mal parce que je l’ai éclipsé ! Je dois progresser dans mon plan ! ». Quel plan ? Parce que si Wonder-Man semblait menaçant quand il a sorti sa kryptonite le flashback qu’on vient de traverser nous le présente plutôt sous un jour bonhomme. Oui, il a utilisé la kryptonite mais seulement après que Superman soit devenu jaloux… Le pire reste à venir pour l’alter-ego de Clark Kent. L’instant d’après, la « Flying Newsroom » (« la salle de presse volante », un hélicoptère du Daily Planet régulièrement mentionné dans la série) se prend dans les bannières tendues entres les immeubles. Lois et Jimmy, qui couvraient la parade, risquent de s’écraser au sol. Bien sûr Wonder-Man est le plus rapide et Superman, au lieu de se dire « chouette mes amis sont sauvés ! », ramène tout à son sentiment d’impuissance (terme sans doute à prendre à plusieurs degrés dans le cas présent).
Lois Lane s’extirpe de l’hélicoptère et remercie son sauveur : « Je continue de penser que Superman est le meilleur mais tu as fait plein de bonnes choses ! ». Wonder-Man ne sait que dire. Il a déjà rencontré Lois plusieurs fois quand il n’était un Superman Robot mais n’avait jamais réalisé qu’elle était si belle. Maintenant qu’il est un homme, ses hormones semblent s’emballer. Et il le dit à la jolie brune : « Vous savez, Miss Lane, je pense que l’étrange émotion que je ressens pour vous est de l’amour ! Je ne pensais pas que je ressentirais ça un jour… ». Lois est surprise par la déclaration « J’apprécie le compliment mais je ne sais quoi vous dire ! ». Pourtant elle lui sourit. A l’écart, Superman en a assez vu. Il y a quelques instants Lois faisait partie de ses derniers supporters mais il sent bien qu’elle vient d’être troublée : « Wonder-Man prend ma place ! Même avec Lois ! Je crois que je ne suis qu’un Has-been comparé à lui ! Je vais dire adieu à Metropolis, la cité que j’ai tant aimé et je vais laisser Wonder-Man prendre les choses en main ! J’irais au seul endroit qui me reste, ma Forteresse de Solitude ! ».
Seulement il y a un petit problème. Quand Superman arrive à sa Forteresse, Wonder-Man est déjà là ! Superman ne sait plus où il en est : « Wonder-Man ? Ici ? Mais comment connais-tu l’existence même de cet endroit ! ». L’ex-Ajax ne semble pas disposé à lui expliquer : « Ne t’occupes pas de comment je le sais ! Je prends également possession de la Forteresse ! ». Là, ce n’est pas pareil. Car si Wonder-Man a pu lui prendre presque tout ce qui lui est cher, il y a des choses dans la Forteresse qui ne doivent pas tomber aux mains de n’importe qui. Un combat s’engage alors, Superman espérant neutraliser Wonder-Man avant qu’il sorte sa kryptonite. Pendant quelques cases le duel semble équitable mais finalement la kryptonite est exposée… Superman s’affaiblit en quelques secondes. Wonder-Man ne semble pas très compatissant : « Et bien, Superman, j’ai gagné notre duel ! Et je te laisse là avec la kryptonite pour te tenir immobile jusqu’à ce que tu meurs de son rayonnement ! ». Superman, se sachant perdu, proteste : « Tu ne t’en tireras pas… Supergirl… ou un de mes loyaux robots… vengeront ma mort ! ». Mais rien n’y fait. Wonder-Man s’en va…
Quelques minutes plus tard le vaisseau qu’Ajax avait sauvé se pose non loin du corps de Superman. Les deux occupants en sortent, contents que leur stratagème ait fonctionné : « Regarde ! Tout a marché comme prévu ! Wonder-Man a paralysé Superman avec la kryptonite que nous lui avons donné ! Nous nous sommes fait passer pour des savants extra-terrestres et il n’a pas réalisé que nous étions les créateurs du Superman Revenge Squad ! ». Le Superman Revenge Squad est une sorte de fraternité qu’on voyait à l’époque dans les aventures du super-héros. L’idée était qu’en étant Superboy/Superman depuis l’adolescence, Clark Kent n’avait pas manqué de s’attirer la haine d’un certain nombre de savants fous et de tyrans extra-terrestres qui mettaient en commun leurs ressources pour essayer de détruire leur nemesis. Le Superman Revenge Squad était une sorte d’Hydra de l’espace, avec le charisme en moins. A l’origine, ils avaient tendu un piège à Superman sur le météor approchant la Terre. Quand ils avaient compris que le « Superman » qui approchait était un robot, ils s’étaient arrangés pour qu’il soit détruit, de manière à pouvoir le manipuler. En le transformant en Wonder-Man et en lui confiant la kryptonite, ils avaient réunis les conditions pour causer la mort de Superman. Bien sur c’est plutôt tarabiscoté comme plan (rien n’indiquait que les choses tourneraient comme ça et c’est la jalousie de Superman qui a fait l’essentiel du boulot). Et là, les membres du Superman Revenge Squad sont comme des vautours, à attendre la mort de leur ennemi.
Mais contre toute attente Wonder-Man revient, s’empare de la kryptonite et la lance au loin. Il explique ensuite aux deux malfaiteurs de l’espace que contrairement à ce qu’ils ont cru, il a très vite compris leur petit manège. Puisqu’ils lui ont donné les mêmes pouvoirs que Superman, quand il testé sa vision à rayons X dans leur vaisseau, au tout début, il les a vu discuter de leurs plans de l’autre côté d’une paroi. Il savait depuis le début ce qu’ils voulait et il a fait semblant d’être dupe pour mieux les piéger ! Superman, privé des effets néfastes de la kryptonite, saute sur ses deux pieds : « Wonder-Man ! Je savais que tu faisais semblant pour mieux les tromper ! Et que tu étais à l’origine un de mes robots ! ». Ensemble, Superman et Wonder-Man unissent leur forces pour lancer le vaisseau du Superman Revenge Squad au loin dans l’espace. A eux deux ils sont si forts que l’élan est assez puissant pour le vaisseau mette des années à pouvoir freiner. C’est comme s’ils venaient de condamner les malfrats à des années de prison ! Le seul illogisme dans tout ça c’est que Wonder-Man n’avait pas besoin de jouer la comédie aussi longtemps. Plutôt qu’en arriver à pratiquement tuer Superman, il pouvait aussi bien capturer le Squad dès l’instant où il a compris qui ils étaient… Les deux surhommes sont enfin seuls. Wonder-Man peut alors demander à Superman à quel moment il a compris qu’il était un de ses anciens robots. Le kryptonnien explique : « Quand je t’ai dis que Supergirl ou mes robots loyaux me vengeraient, j’ai vu une larme glisser de tes yeux ! ». Et, forcément, comme Wonder-Man ne pouvait guère être Supergirl (encore qu’on en a vu d’autres), Superman en a déduit que Wonder-Man était un de ses robots !
Bientôt, Superman et Wonder-Man rentrent ensemble à Metropolis. Le premier explique à l’autre qu’il va expliquer toute l’histoire à Lois et Jimmy et que désormais Superman et Wonder-Man travailleront comme… Partenaires ! Ce qui est drôle c’est que Superman oublie un peu vite que l’admiration de la ville pour Wonder-Man et la désaffection envers lui était réelle. Il a oublié que Wonder-Man est plus puissant que lui, qu’il l’a dépassé. Et qu’il trouble même Lois. Mais peu importe car l’ex-Ajax a une dernière révélation à lui faire : il ne peut devenir son partenaire parce qu’il n’a pas tout dit du plan du Superman Revenge Squad. Le processus qui l’a transformé en Wonder-Man est aussi conçu pour causer sa mort. Le Squad voulait éliminer Superman mais ne voulait très certainement pas qu’un autre surhomme prenne sa place. Ils ont donc construit son corps pour qu’il périsse au bout de quelques jours. Depuis le début Wonder-Man a conscience d’être condamné et à décidé de passer ses derniers jours à sauver le monde… et Superman.
Quelques temps plus tard, Wonder-Man meurt dans les bras de Superman, murmurant qu’il a trouvé merveilleux d’être humain, mais si c’était pour peu de temps. Puis il murmure ses adieux à Superman, son maître. Ce dernier proteste : « Pas ton maître, Wonder-Man ! Tu meurs comme tu as vécu, comme un être humain et comme mon ami ! ». Plus tard, Superman, Lois, Jimmy et un quatrième personnage (sans doute Perry White) se recueillent devant la tombe de Wonder-Man où il est inscrit « Wonder-Man, anciennement Ajax.. Il est né comme un robot… mais est mort comme un homme ! ».
On a pu voir dans d’autres chroniques qu’Ed Hamilton avait une véritable passion pour les robots (et ce Superman #163 nous le prouve une nouvelle fois). D’autant que Powerman dans World’s Finest était beaucoup moins évolué que le tout venant des robots des oeuvres du scénariste. Un robot qui fait preuve de noblesse et qui devient un homme, c’est déjà beaucoup plus dans le registre d’Hamilton. D’autant que l’auteur n’était pas étranger au thème de l’androïde « chimique ». Dans ses romans consacrés à Captain Future, en plus du robot Gragg, un autre personnage secondaire était un androïde nommé Otho (traduit par « Mala » dans le dessin animé Capitaine Flam). Comme Wonder-Man, Otho était un être artificiel dont le corps n’utilisait pas de mécanisme mais singeait la biologie naturelle. On pourra aussi comparer Wonder-Man, robot transformé en humain, aux Cylons de la version moderne de Battlestar Galactica. Wonderman est donc une étape supérieure de l’idée qu’Hamilton avait déjà abordé à travers Powerman. Dans Superman #163 on retrouve d’ailleurs, en plus de la robotique et du ressort dramatique de la jalousie, l’idée d’être « partenaires » (brièvement mentionnée vers la fin)… La différence principale est que Wonder-Man est à la fois si puissant et autonome que par sa seule existence il remet en cause le caractère unique de Superman. Hamilton n’a donc pas d’autre choix que de le « tuer » avant la fin de l’épisode pour s’en débarrasser. Dommage car l’idée d’un Superman remplaçant qui, par son caractère, tiendrait plus du Vision des Vengeurs (façon « je suis un androïde mais j’éprouve des sentiments humains ») aurait un certain attrait. En fait Hamilton est tellement pressé de se débarrasser de Wonder-Man qu’il ne réalise pas qu’à l’intérieur de l’univers de Superman cette mort est une impossibilité physique. En 1961, dans Superboy #89, le jeune Clark Kent a fait connaissance de Mon-El (future membre de la Legion of Super-Heroes), un surhomme victime d’un empoisonnement au plomb. Superboy lui a sauvé la vie en le plaçant dans la Zone Fantôme pendant des millénaires, jusqu’à ce qu’on ai trouvé un remède à sa situation. Logiquement, si Superman croisait un autre surhomme mourant, il y a fort à parier qu’il l’enverrait de la même manière dans la Zone Fantôme jusqu’à ce qu’on ait les moyens de le sauver. A moins qu’il l’ait fait et que la scène de l’enterrement ne soit là que pour tromper d’éventuels membres du Superman Revenge Squad… Dans tous les cas, dans l’univers DC, ce n’est pas parce qu’un personnage est mort qu’il le reste pour toujours, comme a pu le prouver Blackest Night ces dernières années. La vision d’un Wonder-Man porteur d’un anneau noir, s’extirpant de sa tombe, aurait pu fonctionner. Après tout il a tous les pouvoirs d’un Superman sans en avoir les points faibles. Mais, comme pour son frère Powerman, il peut probable qu’on se donne tant de peine pour ramener un pseudo-Superman mort depuis presque un demi-siècle…
Ce qui ne veut pas dire que Wonder-Man n’a pas laissé de traces, même s’il est difficile de dire à quel point elles sont passées (ou pas) par le subconscient. En octobre 1964, dans Avengers #9, apparaîtrait le Wonder Man des Vengeurs, alias Simon Williams. Ce Wonder Man là, vu sommairement, n’a qu’une homonymie partielle avec l’ex-Ajax (les deux orthographes n’étant pas strictement les mêmes). Mais quand on y regarde de plus prêt on s’aperçoit que la science a donné à Simon Williams un corps proche de celui de Superman (comme dans le cas d’Ajax) par une organisation de revanchards (les Masters of Evil, alors que c’était le Superman Revenge Squad chez DC), qu’il fait partie d’un plan qui implique de se faire passer pour un super-héros et que tout ça à pour finalité de causer la mort des héros authentiques. Cerise sur le gâteau, dans les deux cas l’obtention de pouvoirs condamne les deux Wonder Men (comme Ajax, Simon Williams est considéré comme mort à la fin de l’épisode) après qu’ils se soient retournés contre ceux qui les ont transformé. Donc Simon Williams n’est pas un robot, mais les points de concordance avec un Wonder-Man qui l’a précédé de plus d’un an sont nombreux. A croire que Stan Lee avait lu Superman #163 et en avait gardé un bon souvenir. Cerise sur la gâteau (mais disons que c’est sans doute le hasard qui fait bien les choses), là où Ajax est un robot qui devient un homme après qu’on ai transféré son esprit dans un corps d’androïde… la matrice de l’esprit de Simon Williams serait plus tard transférée dans un corps d’androïde qui deviendrait la Vision. Etonnant, non ?
[Xavier Fournier]
Ce qui est fascinant avec cette histoire, c’est que j’ai l’impression qu’elle annonce non seulement, comme vous l’écrivez , les personnages de Wonder Man et Vision , mais aussi d’une certaine manière , le Superman caractériel de Grant Morrison (New 52) : en effet la crise de jalousie de Supes (quoique courante , comme vous le dites, à l’époque) prend ici des proportions gigantesques…
PS : On remarquera que Wonderman (peut-être parce qu’il sait que le temps lui est compté) se montre beaucoup plus direct et beaucoup plus clair avec Lois au sujet de ses sentiments que Superman. Un autre motif de jalousie pour notre héros ?
En fait le Superman post-52 de Morrison fait beaucoup plus référence au Superman de 1938-1939, qui était un personnage beaucoup plus « activiste », recherché par la police et qui, par exemple n’hésitait pas à enlever le maire ou les industriels des alentours s’il jugeait qu’ils étaient responsables d’un problème.