Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le premier réflexe de Superman n’est pas de se ruer à la poursuite du tank. Il se précipite au contraire vers la banque et reconstruit le mur, de peur que tout l’édifice s’effondre. Mais le héros peut compter sur sa super-vitesse. A défaut d’être à deux endroits en même temps, il peut, en un éclair, reprendre la poursuite du tank, qu’il rattrape quelques kilomètres plus loin. Et là, surprise : « Bowtie » ne fait pas mine de fuir ou même de se battre. Bien au contraire il ordonne à ses hommes d’arrêter l’engin et il descend pour parlementer avec le surhomme : « Le docteur Woolton et son assistant sont mes prisonniers… Si tu nous touche, tu ne les reverras jamais vivant ! ». Superman ne peut se résoudre à mettre en danger la vie d’innocents. Il doit donc laisser le tank repartir : « Je dois attendre avant de coffrer ces crapules, jusqu’à ce que j’ai trouvé et sauvé les otages ! ». Bientôt la télévision se fait l’écho de l’impuissance apparente du héros : « Puisque Superman semble incapable d’arrêter ces bandits blindés, l’armée a été appelée à la rescousse ! ». De manière curieuse il semble que « Bowtie » ait choisi d’exercer son chantage sur le seul Superman. La police et l’armée ne semblent pas être au courant de l’existence d’otages. Mais peut-être que « Bowtie » pense que seul Superman peut arrêter son tank. Et qu’en agissant de la sorte, sans ébruiter la prise d’otage, le gangster préfère laisser penser que Superman est réellement physiquement incapable de s’opposer à lui. Ce qui laisserait quand même une question : Pourquoi Superman ne prévient-il pas les forces de l’ordre et l’opinion publique que des vies sont en jeu ?
Le présentateur insiste sur les pouvoirs de Tharka, sans pour autant les détailler. On a cependant l’occasion de la voir voler pour capturer des bandits et entre ça et son surnom de Superwoman, il ne fait pas de doute qu’elle est plus ou moins l’égale de Superman. La grosse différence étant que Tharka ne semble pas spécialement avoir d’identité secrète (l’épisode, en tout cas, n’en fera pas mention). Elle apparaît tout le temps dans une tenue orange et verte, avec un logo inséré dans un pentagone, pas très différent du fameux « S » si ce n’est que, pour des raisons évidentes, elle porte un grand T. Le présentateur explique que Tharka, en plus d’être puissante, est aussi un génie scientifique qui vient de terminer une nouvelle invention : Un détecteur qui peut capter les signaux de télévision provenant d’autres planètes ! Et le journaliste d’insister : « Nous sommes sur le point de voir avec nos propres yeux ce à quoi ressemblent les habitants de la Terre ! ». Mais le premier programme terrestre n’est pas à la hauteur des espérances de ce monde avancé : Les Zoriens découvrent les images du tank de « Bowtie » en train de dévaster Metropolis. Et ils sont horrifiés : « De tels crimes ne pourraient pas se produire sur Zor ! ». En fait ils n’ont visiblement qu’une vision tronquée de la Terre à travers cette émission.
Bientôt, une fusée décolle. Elle emmène la Superwoman de Zor. Et les Zoriens se réjouissent d’avance : « Elle sera bientôt sur Terre ! Comme ils seront surpris quand ils vont voir une Superwoman ! ». Quelques temps plus tard, Superman aperçoit une grande traînée lumineuse dans le ciel : « Wow ! Un météore… Qui se dirige droit vers Metropolis ! Je dois l’arrêter avant qu’il touche le sol ! ». Mais malgré sa déclaration Superman ne rattrape pas le bolide. Et les citoyens voient alors l’objet qui se pose dans un parc. Ca n’a rien d’un météore. C’est bien entendu la fusée que nous avons vu décoller de Zor. Les habitants de Metropolis sont passablement surpris : « Une fusée venue d’un autre monde ! Mais qui pourrait oser faire un tel voyage ! ». Certains pourraient faire le rapprochement entre cet atterrissage d’une super-femme blonde et celui, plus tardif, de la Supergirl classique (Kara). Mais les circonstances sont différentes. D’abord ici c’est la populace qui découvre d’emblée l’engin et son occupante (là où, en 1959, c’est le seul Superman qui trouvera sa cousine et s’évertuera par la suite à cacher son existence au monde). S’il existe des similitudes visuelles dans les deux scènes, c’est parce que toutes deux elles semblent faire écho à l’atterrissage du vaisseau du bébé Kal-El dans le feuilleton télévisé Adventures of Superman. La taille de la fusée apportant le futur Superman est bien sûr plus petite mais l’apparence (et la manière de se poser) du véhicule de Tharka sont très proches de ce qu’on avait vu sur le petit écran. Là, ce qui change, c’est la manière peu discrète, un peu criarde, qu’à Tharka pour surgir du vaisseau et se présenter à la population de Metropolis: « Peuple de la Terre ! Je viens de Zor pour vous aider alors que vous êtes dans le besoin ! Je suis Tharka, la Superwoman ! ». Un des passants s’exclame : « Une Superwoman ? C’est nouveau ça ! ».
A nouveau l’impression générale est que, même en prenant en compte la rapidité de Superman, Zor n’est pas si éloigné que ça de la Terre. Et on pourra aussi se demander comment le héros peut savoir précisément où se trouve le monde d’origine de Tharka. Après tout elle a seulement mentionné qu’elle venait de Zor… mais elle n’a pas expliqué précisément où se trouvait son monde. Enfin bon, peu importe. Superman est sur Zor. Sans se montrer et en utilisant sa vision à rayons-x, il peut ainsi observer les qui discutent devant un téléviseur : « Tharka est sur Terre désormais… Et en utilisant notre nouvelle télévision de l’espace nous pouvons regarder les informations de là-bas, qui vont nous montrer comment elle se débarrasse des criminels ! ». Mais un autre Zorien émet une petite réserve : « Espérons que ca ne lui prendra pas trop longtemps… Nous avons besoin d’elle ici ! Ses pouvoirs et son prestige permettent de décourager les candidats criminels qui ont peur d’elle ». Superman peut donc rentrer sur Terre en étant rassuré : « Donc Tharka n’est pas une supercherie… Et cette petite planète dépend d’elle pour conserver la loi et l’ordre. Alors elle ne doit pas faillir dans sa mission chez nous. Parce qu’ils la regardent tous et un échec ruinerait sa réputation ! ». On remarquera qu’une part de jalousie est quand même d’emblée de mise. La première hypothèse que Superman envisage est que… Tharka échoue. Alors que pour l’instant il n’a aucune raison de doute de l’excellence de la Zorienne.
Pendant ce temps, sur Terre, Superman n’est pas le seul qui se soit méfié de cette Superwoman. Lois Lane entame une interview de l’extra-terrestre, en mettant directement en doute ses dires. Et ceci en raison de la mentalité sexiste (non pas de Lois mais bien de l’auteur) à l’époque : « Aucune femme ne pourrait faire les mêmes choses que Superman ! Montrez vos superpouvoirs si vous en avez ! ». Tharka (qui semble quand même un peu hautaine et plus pressée de prouver sa supériorité que de traquer les brigands) décide alors de soulever sa fusée en guise de preuve. Mais dans un premier temps elle ne semble pas y arriver. Lois jubile : « Aha ! Comme je le pensais ! Vous ne pouvez pas y arriver ! ». De son côté Tharka s’étonne « C’est étrange ! J’ai soulevé des objets bien plus lourds sur Zor ! Attendez que j’assure mieux ma prise ! ». C’est sur ces entrefaites que Superman revient. Et il comprend tout de suite ce qui se passe : « Elle n’y arrivera pas, car Zor est une planète plus petite… Et ce qui peut passer pour des superpouvoirs là-bas est équivalent à une force tout à fait normale ici ! ». En gros, en dehors de la taille de la planète, on comprendra que le scénariste veut dire par là que la pesanteur est moindre sur Zor et qu’il est donc plus facile de soulever des choses où même de sembler voler. Ce qui équivaut à penser que tout Terrien sur Zor passerait pour un Superman ou une Superwoman et que les Zoriens normaux n’ont rien dans les bras…
In fine, l’important reste que sur Terre Tharka n’a absolument pas la puissance qu’elle pense posséder. Mais Superman a bien compris la double problématique… Les observent grâce à la télévision. Et si Tharka semble échouer, elle cessera d’être respectée et le crime finira par apparaître à nouveau sur Zor. Il décide alors d’agir. Utilisant sa super-vitesse, il se précipite à l’intérieur de la fusée sans que qu’on puisse le voir. Et c’est de l’intérieur qu’il soulève l’engin, tout en s’envolant un peu. A l’extérieur la foule ne voit que la seule Tharka qui pousse… Et tout le monde croit donc voir « superwoman » soulever la fusée. Un des observateurs souligne ce qui semble être une évidence : « Hé, si cette fille a des superpouvoirs peut-être qu’elle peut arrêter ces bandits équipés d’un tank ! ».
Lois, voyant Superman s’envoler à la suite de l’extra-terrestre blonde, est dévastée : « Pfff ! Superman l’a suivi ! Il préfère cette super-pimbêche blonde à moi, même si elle le fait passer pour un idiot ! ». Mais Lois est venue avec un photographe du Daily Planet. Et quand ce dernier développe ses photos, il découvre quelque chose qui est passé totalement inaperçu : une des images montre la silhouette de Superman au moment où il est entré dans la fusée ! Lois Lane comprend immédiatement une partie du problème : « Superman est entré dans le vaisseau avant qu’elle le soulève ! Mais alors ça veut dire que c’est lui qui l’a secrètement soulevé ! ». Là où Lois s’emmêle les pinceaux c’est qu’elle en déduit une théorie basée sur sa jalousie : « Ca veut dire que c’est une imposture ! C’est juste une simulatrice qui abuse de la serviabilité de Superman ! Et bien je vais révéler ce qu’elle est ! ». Et Lois ordonne au photographe de la suivre…
En fait Superman s’est caché non loin de là et utilise l’aimant pour attirer le tank dans le sens inverse, simulant ainsi encore une fois la force de Tharka. Mais ce que Superman ne sait pas, c’est que Lois et son photographe, Charley, sont postés derrière lui. Le héros est photographié alors qu’il utilise l’aimant, Lois comptant se servir de l’image pour prouver que Tharka n’est pas ce qu’elle prétend être… Mais les deux super-héros ont un problème plus immédiat. Puisqu’ils ne peuvent plus faire avancer leur tank, les gangsters se disent que, même si elle est super-forte, rien ne prouve que Tharka soit à l’épreuve des balles. L’un d’entre eux brandit donc un pistolet… Et la super-femme, convaincue d’être invulnérable, ne fait pas mine de bouger. Heureusement Superman peut utiliser à distance sa vision à rayons-X concentrée de manière à ce que les balles fondent et se dissipent avant d’atteindre Tharka. La Superwoman de Zor tout comme les gangsters sont convaincus que les balles l’ont touché sans qu’elle les sente. A ce moment-là, Bowtie et son gang sont pris de panique et décident de battre en retraite. Ils font faire demi-tour au blindé et font exprès de heurter un camion d’essence garé à côté. Ils veulent déclencher une explosion de manière à ce que Tharka soit occupée par l’incendie. Mais elle n’est pas impressionnée : « Pas de problème ! Je vais lancer le camion en feu dans l’océan ! ». Oui. Bien sûr. Sauf que ca ne peut pas fonctionner. Utilisant à nouveau sa super-vitesse Superman se précipite sous le camion et le soulève au moment où Tharka fait mine de le toucher. C’est lui qui emmène l’engin jusqu’à l’océan, sans que personne ne l’aperçoive…
Superman décide de changer d’approche. Il reprend son costume civil et aborde Tharka en se présentant comme Clark Kent : « Je suis journaliste et je connais toute la région. Je peux vous aider à retrouver ces fripouilles si vous m’emmenez avec vous ! ». La Superwoman de l’espace se laisse convaincre : « D’accord ! Accrochez-vous à ma ceinture ! Je vais tenter à nouveau de m’envoler ». Et cette fois, comme par miracle, ca marche. En fait, le « faible » Clark Kent profite de sa proximité avec l’héroïne pour utiliser à nouveau son super-souffle. Bientôt, dans la campagne, les bandits du tank aperçoivent la blonde extra-terrestre qui vole vers eux : « C’est encore cette Superwoman ! Et elle vole cette fois ! Elle peut vraiment tout faire ! ». Bowtie, enfin, a l’idée de la « calmer » de la même manière qu’avec Superman : en menaçant les otages. Le gangster décide alors de rouler jusqu’à leur cachette, une vieille mine où ils gardent les deux chercheurs. Avec sa super-ouïe, Clark Kent/Superman capte les ordres de Bowtie : « Pas étonnant que je ne pouvais pas trouver Woolton et son assistant ! Cette mine est un filon de plomb, la seule substance que ma vision à rayons-X ne peut pénétrer ! Voici ma chance ! ». A l’approche de la mine, Clark Kent prétend avoir une sorte de vertige pour que Tharka accepte de le poser au sol. L’héroïne s’exécute d’autant plus volontiers qu’elle préfère le laisser à l’extérieur de la mine, pour qu’elle puisse mieux se concentrer sur les criminels. Bien sûr, dès qu’elle a tourné les talons Clark Kent redevient Superman et creuse dans le sol, jusqu’au moment où il trouve le tunnel dans lequel les deux savants sont retenus prisonniers. Surpris, Bowtie et un complice tentent de s’enfuir en remontant vers la sortie de la mine. Mais ils tombent sur Tharka, qui descend dans le sens inverse : « Nous sommes pris entre Superman et Superwoman ! C’est trop pour moi ! Je me rends ! » s’exclame l’un des fuyards. L’autre aussi s’avoue vaincu, tandis que Superman observe la scène : « Ils sont tellement convaincus que Tharka a des pouvoirs qu’ils ne suspectent pas qu’elle n’est pas plus forte qu’eux ! Et elle ne doit pas s’en rendre compte non plus ! ».
On ne reverra pas Tharka et la scène de la couverture, où elle casse du béton sur le ventre du héros, ne se matérialisera jamais. Pour autant le personnage avait quelques points d’intérêt. Même si ses pouvoirs ne fonctionnent pas sur Terre, son intelligence et sa science avancée aurait pu permettre d’en faire un protagoniste redoutable. Sans parler des occasions où elle aurait pu opérer de l’espace. Une autre question tient au faux « bon service » que Superman lui a rendu pendant tout cet épisode : en lui cachant qu’en dehors de la pesanteur de Zor ses pouvoirs ne sont bons à rien, le héros l’a peut-être mise sur la voie du danger. Que se passerait-il si, d’aventure, Tharka se rendait sur un autre monde où elle croirait être indestructible ? Une catastrophe sans doute. Et tout ça parce que Superman n’a pas pris la peine de lui dire, juste avant son retour « oh, au fait… ». L’autre élément intéressant ne tient pas tellement en Tharka elle-même mais dans sa civilisation d’origine. Les semblent terriblement obsédés par le concept de télévision, au point qu’ils se gavent des programmes venus d’autres mondes. Il y a comme un parfum du Mojo et du Mojoworld de Marvel, avec une planète totalement axée vers la TV. Il pourrait être intéressant de revisiter cette planète de super-zappeurs…
Mais les derniers secrets de Tharka et de la planète Zor résident dans d’autres épisodes écrits par William Woolfolk. Il n’est pas très étonnant que ce dernier soit le créateur de Tharka the Superwoman : L’auteur, souvent associé aux aventures de Superboy ou de Superman à l’époque, était également très partisan de confronter le surhomme à d’autres extra-terrestres semblables à lui qui venaient, le temps d’un épisode, jouer les perturbateurs. Ainsi, comme nous avons déjà pu le voir par ailleurs dans cette rubrique, Woolfolk était aussi le créateur de Marsboy, apparu dans Superboy #14 (mai 1951). Marsboy était non seulement une sorte de rival amical de Superboy mais l’origine que lui avait donné Woolfolk renvoyait déjà, comme Tharka, à Captain Comet. Le capitaine en question évoluait grâce au rayonnement d’une comète, Marsboy devenait « super » en raison du passage d’un astéroïde. Sur ses deux héros concurrents de Clark Kent, Woolfolk avait donc lorgné, de manière différente, sur la nature de Captain Comet. Mais ce n’est pas tout…
Mais il reste encore une dernière connexion à établir. Tharka the Superwoman, création de Woolfolk, ne reviendrait pas rendre visite à Superman (sans doute qu’elle ne s’était pas rendu compte que le crime n’avait pas totalement disparu de la surface de la Terre). Mais il serait faux de dire qu’elle n’a pas laissé de trace par la suite. Si on ne reverrait pas Tharka, on verrait quelque chose qui y ressemble beaucoup. Quand, en 1959, la blonde cousine de Superman poserait à son tour sa fusée sur Terre, il y aurait un certain nombre de rapprochements à faire. Non seulement l’arrivée par un vaisseau similaire (qu’on peut relier à Adventures of Superman, comme je le disais plus tôt) mais aussi leur provenance. Tharka vient d’une « petite planète » tandis que Supergirl vient de la ville-astéroïde Argo City. Et, bien sûr, les deux jeunes femmes se ressemblent énormément sur le plan physique (il suffirait de changer les couleurs du costume de Tharka pour que la confusion soit totale). Le créateur de cette Supergirl classique de 1959 n’est pourtant pas Woolfolk mais le scénariste Otto Binder. Il ne fait cependant pas de doute que l’apparition de la cousine Kara (Supergirl, donc) a été en partie influencée par Tharka The Superwoman. Binder, d’ailleurs, l’a d’une certaine partie reconnu : Tharka vient de la planète ZOR tandis que le nom complet de la cousine de Superman est… Kara ZOR-El ! CQFD !
[Xavier Fournier]
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