Au demeurant on sent l’influence de Sub-Mariner (lancé via Funnies Inc. et Marvel en 1939) et de son propre royaume. Ou plus exactement disons que le schéma est inversé. Dans les aventures de Sub-Mariner, le jeune prince d’une race sub-aquatique qui part vers le monde de la surface affronter l’humanité toute entière. Barry Kuda, lui, est un blondinet de type caucasien qui vient mettre de l’ordre dans le monde troublé de Merma, apparu dans Yankee Comics #2.
N’ayant pas de copie, scan, reprint ou microfiche de Yankee Comics #2, il vous faudra cependant vous satisfaire du 3ème numéro du magazine (et donc du deuxième épisode de Barry Kuda). En un seul épisode, le héros avait déjà eu l’occasion de gagner la confiance de la Reine Merma. Alors que sa seconde aventure débute, Merma désire tellement que Barry Kuda reste avec elle, dans son monde, qu’elle est prête à faire de lui son Premier Ministre. Taciturne, Barry répond d’un simple « je vais y réfléchir » parce qu’il n’est à l’évidence pas du genre à foncer quand on lui propose les manettes d’un pays (sans parler du fait que Merma semble toute disposée à lui proposer bien autre chose que le pays). Mais il semble que dans le même temps Algie, le jeune compagnon de Barry, n’est pas enclin à finir sa vie sous l’eau. Il tente de remémorer à son ami adulte que la terre a elle aussi ses avantages. Et Algie a un argument-massue: « Tu te souviens de la serveuse à San Francisco, Barry ? ». Pendant que l’avenir ministériel de Barry est en jeu, l’ancien Premier Ministre, un dénommé Belzam, rumine son envie de vengeance après avoir été chassé du royaume. Notons que Belzam a le corps couvert d’écailles, des oreilles en pointe et une peau verte. De manière assez classique dans les histoires de belle reine dirigeant des cités oubliées, le peuple de Merma a une allure monstrueuse. Mais la dirigeante, elle, a une allure totalement humaine. Là aussi un rapprochement est à faire avec Namor The Sub-Mariner (dans les épisodes des années 40, Namor et ses proches membres de la famille royale étaient les seuls avec une apparence humaine, leurs sujets ressemblant à des nabots difformes). Bref. Belzam n’est pas content et fonce chez les Octos, une nation adverse (laquelle vit également sous l’eau).
Barry et Algie sont donc enchaînés et offerts en sacrifice à Slimo. Et le serpent des mers s’approche d’eux pour en faire son « 4 heures ». Heureusement, Aquama… enfin Barry, est assez fort et rapide pour arriver à se libérer de ses chaînes (la scène semble impliquer que le héros arrive à « glisser » ses mains hors des menottes, alors que si c’était possible la logique voudrait que ce soit Algie, plus petit, qui y arrive avant). Du coup le serpent Slimo tente d’étouffer en premier le jeune Algie, toujours enchaîné. Libre, Barry peut alors commencer à frapper le serpent du mieux qu’il peut. Mais rapidement Slimo, le dieu-serpent, se retourne vers lui et tente de l’enserrer et d’écraser sa cage thoracique. Avec l’énergie du désespoir, sentant ses os se compresser, Barry arrive à s’emparer des mâchoires du serpent (en gros typiquement pas l’endroit qu’il faudrait toucher chez un serpent dont on ignore s’il a un venin dangereux ou pas, sans parler de la force des mâchoires en question). Mais Barry Kuda tiens bon et arrive à rompre les mâchoires du reptile, le tuant dans la foulée. Le héros peut donc se précipiter vers Algie, inconscient. Mais, ouf, le serpent n’avait pas eu le temps de le tuer. L’objectif est maintenant de sauver la reine Merma.
Au palais du Roi Octo, Merma n’a toujours pas accepté d’épouser son adversaire. Elle résiste. Et le Roi Octo est visiblement de ces garçons polis qui, bien qu’ils arrivent à conquérir les royaumes voisins sans la moindre hésitation, ne sont pour autant pas du genre à jeter de force une reine capturée dans leur lit. Puisqu’il en est ainsi, Octo ordonne qu’on emmène Merma jusqu’à la chambre de torture où on enferme un de ses sujets dans une sorte de machine de mort qui lui broie la poitrine.
Bien sûr, le lecteur sait, lui, que les deux mortels sont loin d’être morts. Au contraire, ils s’infiltrent au même moment dans le palais d’Octo, profitant du fait qu’une sentinelle ennemie (se sentant sans doute très à l’aise avec toute opposition écrasée) s’est endormie. Neutralisant d’autres gardes, Barry Kuda et Algie arrivent ainsi jusqu’aux geôles où sont gardés les prisonniers de guerre (autrement dit les sujets de Merma). Là, alors qu’ils libèrent leurs alliés, les deux héros apprennent qu’au moment même la cérémonie de mariage a commencé. Barry explique son plan : profiter qu’ils sont de fait à la tête d’une armée infiltrée dans le palais de l’ennemi et se rendre jusqu’à la salle de la cérémonie en neutralisant toute opposition.
En fait la situation est même plus étonnante que cela. Parce que le Aquaman de DC, tel que paru en 1941, était très différent du Aquaman moderne. Son origine et son contexte variaient considérablement de ce qui deviendrait la version classique du personnage. En 1941, Aquaman est le fils d’un savant qui, étant tombé sur les ruines de l’Atlantide (civilisation visiblement détruite depuis des millénaires) a mis la main sur la technologie utilisée par les Anciens pour vivre sous l’eau. Et le savant a appliqué ce savoir à son propre fils (Kurt Busiek s’est largement inspiré de cette origine pour définir sa propre version d’un nouvel Aquaman, dans Sword of Atlantis, après Infinite Crisis). Capable de respirer sous l’eau, l’Aquaman de 1941 erre donc sous la surface mais sans connaître aucun semblable. Ce n’est que bien plus tard qu’on oublierait cette première origine, qu’on en fera le fils (adoptif ou naturel, selon les versions) d’un gardien de phare et d’une princesse atlante. Ce n’est qu’à la longue qu’Aquaman ferait la connaissance du jeune Aqualad (compagnon brun vêtu de rouge) et encore bien plus tard qu’il rencontrerait la Reine Mera, venue d’une autre dimension où tout le monde respire sous l’eau. La version classique d’Aquaman ne date guère, en quelque sorte, que de la première moitié du Silver Age, c’est à dire cheval entre la fin des années 50 et le début de la décennie suivante.
Reste quand même que tous ces « coïncidences » convergeant sur deux mêmes séries c’est quand même beaucoup à mettre sur le dos d’un simple hasard. Et rien de logique ne viendrait expliquer pourquoi les deux Aquamen blonds se retrouvent affublés d’un sidekick identique. Au demeurant, la seule explication plausible relève du subconscient : les scénaristes d’Aquaman auraient lu, à une époque, les aventures de Barry Kuda et en aurait gardé un souvenir enfoui quelque part, le reproduisant peut-être par accident. Allez savoir… Ce qui est certain, c’est que par cette situation bizarre, Barry Kuda ressemble plus à Aquaman… qu’Aquaman ne se ressemblait à lui-même en 1941. Finalement peu de lecteurs contemporains se souviennent du Aquaman de 1941 (la version où il était le fils d’un savant explorant l’Atlantide). La plupart d’entre eux connaissent par contre le héros blond flanqué d’un sidekick en rouge et lové dans les bras d’une reine sub-aquatique. Bref, ce qu’ils connaissent c’est Barry Kuda rebaptisé Aquaman…
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