Wonder Woman, l’héroïne la plus connue des comics, passe le cap des 75 ans. DC Comics visiblement soucieux de rattraper un certain retard d’exposition la concernant, alors qu’on se rapproche de la sortie du film, lui réserve un « Special » que n’avaient pas connus certains de ses collègues qui ont déjà soufflé leurs 75 bougies ces dernières années. Et c’est normal. Car, et c’est tout le sens de ce numéro, il ne s’agit pas seulement de fêter l’héroïne mais aussi de s’intéresser à ce qu’elle veut dire, qui tient en un mot : Libération.
Scénario de Rafael Scavone, Rafael Albuquerque, Brenden Fletcher, Karl Kerschl, Mairghead Scott, Greg Rucka, Liam Sharp, Fabio Moon, Marguerite Bennett, Renae De Liz, Jill Thompson, Hope Larson, Gail Larsen
Dessins de Rafael Albuquerque, Karl Kerschl, Riley Rossmo, Liam Sharp, Fabio Moon, Marguerite Sauvage, Yannick Paquette, Renae De Liz, Sebastian Fiumara, Nathan Fairbairn, Jill Thompson, Ramon Bachs, Colleen Doran
Parution aux USA le mercredi 26 octobre 2016
Epais numéro que celui-ci. Normal : on ne peut pas réduire un personnage qui existe depuis 75 ans à une seule incarnation, un seul angle. C’est bien parce qu’elles sont multidimensionnelles qu’elles ont tenu sur la durée, parlé à des générations différentes. Au rendez-vous des visions de Wonder Woman, donc, les premières histoires de ce numéro-anthologique se chargent de nous rappeler que l’amazone est une héroïne de libération sur tous les fronts et qu’elle a d’ailleurs été vite rattrapée par l’Histoire, devenant une héroïne guerrière, oui, mais qui luttait pour la paix. C’est tout le propos de Rafael Albuquerque qui la ramène en 1944… comme un esprit de la libération de la France. On verra par la suite que l’héroïne défend aussi les animaux (dans une histoire assez curieusement mise en image par Rossmo, lui donnant une carrure de superstar du catch) et même les droits des criminels s’il le faut, mettant au moins au même niveau la justice et la compassion. Si au détour de ces segments certains peuvent paraître nettement plus naifs que les autres, ils vont, dans l’ensemble, tous dans le même sens, comme l’illustre assez bien Fabio Moon dans son histoire : Wonder Woman inspire par l’exemple, pas par le prêchi-prêcha. Et elle inspire au-delà des barrières qu’on voudrait lui donner de part et d’autre, des caricatures qui circulent (les récentes « discussions » sur son droit ou pas à être une mascotte de l’ONU ont d’ailleurs souvent donné des exemples criards de ces dérives). Wonder Woman défend plus qu’une nation dont elle porte le drapeau sur sa tenue, elle défend aussi plus qu’un sexe. Elle défend des valeurs. Et dès lors qu’on les partage, tout le monde, en gros, est bienvenu à sa table. C’est assez bien prouvé ici par des styles très différents, des auteurs aux antipodes les uns des autres.
« I am not dispensing great pearls of wisdom. »
Une chose que noterons les fans de comics, c’est qu’assez régulièrement dans ces pages les artistes ont décidé de revenir à la Wonder Woman classique. Au moins trois histoires la replongent dans les années 40 (pas de façon ringarde et nostalgique, comme le prouve Renae De Liz avec sa Legend of Wonder Woman qui ici fait coup double en utilisant la « fameuse » Baronne Paula Von Gunther mais aussi une wonder woman du réel, la résistante Irena Sendlerowa. On appréciera aussi le segment Bombshell, dessiné par Marguerite Sauvage et bien d’autres choses encore. Ironiquement, à l’inverse, c’est l’impasse totale sur la Wonder Woman de 2011 à 2016 (j’entends surtout celle d’Azzarello) dont DC tente de distancer maintenant, on dirait. Globalement le numéro est bon, à certains moments excellent même. Tout le monde trouvera des éléments à son goût et, forcément, ça va avec l’exercice, une ou deux histoires moins appétissantes. Mais pour autant que ce numéro-anniversaire soit dense et contienne un certain nombre de pépites, il y aussi quelques raisons d’avoir des regrets. Rien qui remette en cause, globalement, l’intérêt de la publication. Mais il est clair que le DC d’aujourd’hui a décidé de mettre en avant son écurie actuelle d’auteurs/autrices et que qui ne travaille plus pour DC ne fait plus partie de l’équation. Tandis qu’il y a bien un petit rédactionnel (fort intéressant) avec des crayonnés inédits de Brian Bolland, rien qui évoque un George Perez, auteur marquant s’il en est… Greg Rucka, qui fait des… merveilles… avec Wonder Woman en ce moment est bien là, sous la forme d’une nouvelle illustrée en forme d’interview, un exercice qui tue un peu la dynamique du numéro d’ailleurs, même si certaines phrases sont très inspirées. Mais quitte à faire du rédactionnel, n’aurait-on pas pu imaginer un petit bout de texte sur Moulton-Marston. Allez, tiens, un texte de Rucka parlant de ceux et de celles qui l’ont précédés ces 75 ans ? On peut être aussi un peu dérangé par un côté opportuniste de DC ces temps. Et pour le coup, pour en revenir à l’ambassadrice honoraire auprès de l’ONU, c’est l’angle qui m’a gêné mais que j’ai vu peu mentionné : le fait que Wonder Woman décroche une forme de récompense et qu’on expédie… la réalisatrice et l’actrice du film à venir, en mode VRP ça fait un peu « oui c’est bien l’égalité, tout ça mais je vous rappelle les gens de l’ONU qu’on sort un film en juin… ». Là, c’est un peu pareil : on passe la couverture, on a une publicité pour le True Amazon de Jill Thompson (au demeurant très bien) et son segment à elle, quelques dizaines de pages plus loin, est le seul (je crois) à se finir de façon ouverte, en mode « si vous voulez la suite, achetez l’album ». Il n’y a pas de mal à acheter l’album, mais ça fait un peu la même impression que si vous alliez à un anniversaire où l’un des invités avait collé de la pub sur un des cadeaux offerts. Ce n’est pas un reproche à Thompson, mais éditorialement ça jure un peu par rapport aux autres. Une fois encore, cela ne gâche pas la fête ou, comme le dit Fabio Moon, ce sentiment « d’Age of Wonder« .
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