Après avoir vu sa sortie repoussée cinq fois, Morbius débarque dans les salles. Si les super-héros ont explosé le box-office ces derniers mois, pas sûr que le petit nouveau atteigne les chiffres de ses aînés. Sur un malentendu ?
Soyons clair, Morbius passe clairement à côté de son sujet. Sony, détenant les droits de Spider-Man et tout son univers, a décidé d’exploiter les personnages dérivés du Tisseur. Après Venom et son succès mondial, la maison de production dirigée par Amy Pascal a foncé tête baissée et adaptée les aventures de Michael Morbius, sorte de Dracula qui aurait une conscience. Crée par Roy Thomas et Gil Kane dans les pages de Amazing Spider-Man #101, Morbius n’a jamais été l’un des vilains majeurs de Spidey. Il a malgré tout une petite notoriété et a eu le droit à plusieurs mini-séries de comics ces dernières années. Le film suit les origines du personnage dans ses grandes lignes : Michaël Morbius (Jared Leto) est atteint d’une maladie sanguine rare qui l’oblige à renouveler son sang toutes les trois heures. Il se sait condamné et compte bien trouver un remède durant le peu d’années qu’il lui reste. Devenu un scientifique de renom, nommé au Prix Nobel, il tente le tout pour le tout en mélangeant son ADN à celui de chauve-souris vampire. L’expérience est d’abord un succès mais Michael se rend compte qu’il a besoin de sang pour survivre. Suivra-t-il son instinct animal ou sa conscience humaine ?
Pour donner un peu de corps à tout ça, les scénaristes ont ajouté quelques personnages gravitant autour de Morbius. Tout d’abord, un duo de flic (mené par un Tyrese Gibson absent), enquêtant sur des meurtres commis dans le voisinage de Morbius. Le Dr Nikols (Jared Harris) mentor du héros et un autre docteur, le De Bancroft (Adria Arjuna) qui est le « love interest » du long métrage. Et enfin, Lucian surnommé « Milo », l’ami d’enfance de Michael atteint de la même maladie et qui devient son reflet maléfique. Incarné par un Matt Smith en roue libre, c’est bien le personnage le plus intéressant ! Attention, comme tous les protagonistes de l’histoire, il est écrit au premier degré. Vilain jusqu’au bout des griffes, il est la caricature parfaite du personnage sans relief, qui fait tout ce qu’il veut grâce au vide scénaristique. Heureusement, l’acteur célèbre de Dr Who lui injecte un grain de folie et de « jemenfoutisme » qui donne un second degré involontaire. On comprend mieux qu’il ait déclaré ne pas bien savoir qui était son perso !
Après le succès de Batman récemment, Morbius est le second « homme chauve-souris » à débarquer dans les salles. Si sa sortie a été maintes fois repoussée à cause du Covid, on ne peut s’empêcher de s’amuser du timing des deux sorties. Car Morbius ne se prive pas pour piquer des scènes clairement utilisées dans d’autres films du Chevalier Noir, Batman Begins par exemple. Ainsi la première apparition des pouvoirs du héros l’amène à traquer ses proies dans un bâte au rempli de conteneurs (comme Batman le faisait sur les quais de Gotham) ou encore une scène où Michael rentre dans « l’enclos » aux chauve-souris pour communier avec elles, ersatz du plan où Bruce dépasse sa peur des chiroptères. Ça va plus loin avec un thème musical largement pompé sur celui de Hans Zimmer, toujours pour la trilogie Dark Knight de Nolan. On n’avait pas eu cette sensation depuis que Michael Giacchino s’était lui même plagié avec Star Trek et Dr Strange (il s’est depuis amendé avec la BO de The Batman).
Morbius souffre d’être un personnage de second plan. Contrairement à Venom, il n’a jamais eu de véritable heure de gloire. Mais après tout, Marvel Studios a prouvé que des seconds couteaux pouvaient créer des films intéressants, voir des box-offices énormes au cinéma. Que l’on aime ou pas le premier film Venom, il avait pour lui ce second (et même troisième) degré, notamment avec un humour décalé dû à la relation particulière entre Eddie Brock et son symbiote. Ici tout se veut sérieux et grave. Mêlant également un peu d’effet horrifique, le réalisateur ne va jamais dans l’horreur pur et tout est édulcoré. Pour un film de vampire, on voit à peine une goutte de sang durant les combats. Quand Morbius arrache le visage d’un soldat, on ne voit ni visage en lambeaux ni éclaboussure. Le seul personnage se vidant de son sang aura vite le sang « noir » comme si la couleur rouge allait choquer le public. Le héros va d’un point A à un point B sans chercher à construire quoique ce soit. Le montage semble avoir été retravaillé plusieurs fois pour finalement créer une histoire sans âme. Les scènes d’actions et les effets spéciaux ne viennent même pas sauver l’ensemble. On se demande ce qu’il se passe la plupart du temps et le maquillage fait penser aux vampires des années 90 (comme ceux de Buffy).
Les décalages de sortie successives ont laissé le temps à Sony de retravailler le long-métrage pour s’amuser avec leur « multiverse ». Mais le succès de Spider-Man: No Way Home a dû leur donner trop de confiance et le monde qu’il essaie de créer n’est pas vraiment structuré. On comprend à travers diverses illusions plus ou moins subtiles que certains vilains du Tisseur existent dans cet univers. Mais le pompon revient aux deux scènes post-génériques qui ont clairement été rajoutées après NWH. Elles demandent aux spectateurs d’être fans pour ne pas décrocher.
Vous l’aurez compris, Morbius n’est pas une réussite. Si son « grand frère » Venom n’était pas non plus un chef-d’œuvre cinématographique, il avait l’avantage de divertir avant d’être vite oublié. Là, les quelques 90 minutes passent lentement malgré un scénario « simplissime ». On se demande presque constamment pourquoi les personnages agissent ainsi. Comme par exemple, Milo qui veut que Morbius accepte sa nature mais est prêt à le tuer pour ça…? Seul Jared Leto dégage un petit truc qui fait regretter que le personnage ne soit pas mieux exploité. Mais si le succès est au rendez-vous (comme Venom), on n’est pas à l’abris de le revoir.
[Pierre Bisson]Morbius – Réalisé par Daniel Espinosa, avec Jared Leto, Matt Smith, Adria Arjona, Tyrese Gibson, Jared Harris, Michael Keaton – Sortie le 30 mars 2022 – Sony Pictures
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