Trade Paper Box #17 – 100%

[FRENCH] Editée chez Dargaud en 2008, la mini-série que nous évoquons cette semaine pourrait bien vous rendre le tonus aoutien qui commençait franchement à manquer en ce début d’automne. Son auteur, Paul Pope, est notamment connu pour un magistral « Batman : Year 100 » qui lui avait permis de recevoir un Eisner Award en 2007.

Structurée en 5 chapitres, cette aventure intitulée « 100% » (Vertigo, 2002-2003) s’inscrit dans la belle lignée des œuvres sincères, qui invitent au dépouillement, au dépassement de toutes formes d’inhibitions ou névroses facilement développées au sein de sociétés extrêmement codifiées et étourdissantes. Au-delà d’un contexte de science-fiction relativement rapidement esquissé, les lecteurs un peu rêveurs, et pourquoi pas à fleur de peau, s’y délecteront de situations d’incompréhension, de romances passionnelles, de tirades sèches – mais jamais amères – sur la vie au XXIe siècle.

Introspections et mises à nu

L’année 2038, dans les rues de New York. Autour d’un night-club extrêmement couru, le « Catshack », se tisse progressivement le destin croisé de six personnages esseulés, épidermiques et quelque peu mélancoliques : Strel, la manager blasée du club, Kim, sa barmaid apeurée par le récent meurtre d’une collègue, Daisy, la nouvelle danseuse spécialisée dans le « gastro », John, l’ancien étudiant désormais préposé à la plonge, Haïssieu, le boxeur en bout de course et Eloy, l’artiste en quête de financements. Parce que tous sont parvenus à un moment charnière de leur jeune existence, et parce qu’en définitive tous recherchent l’affection, aucun d’entre eux ne pourra échapper à la révision de ses certitudes…

Une œuvre exaltée

Pour ce qui est de la forme, Paul Pope – et c’est un élément qui doit aussi permettre de poser d’emblée la qualité de cet ouvrage –, apparaissait dès 2002 comme un virtuose du dessin.

Son trait, notamment lors des scènes de danse, est un régal de dynamisme, de fluidité, de précision, tout en conservant cette patte personnelle qui donne en permanence au lecteur le sentiment que le prodige a quelque peu oublié de changer de pinceau pour encrer au dernier moment les détails de ses planches. En résulte une image composite entre des mises en scènes que n’aurait pas renié le père du « Spirit », et des traits délicieusement destroy, mais aussi toujours élégants.

Sur le fond à présent, « 100 % » est une ode à la culture punk. Les personnages principaux n’ont plus d’illusions sur la vie, et pourtant, comme tous les jeunes qui ont un jour, une heure, une minute, été « rebelles » avant de « rentrer dans le rang », ils n’auront de cesse de vouloir recréer l’étincelle, de rechercher l’espoir dans ce monde aussi « rotten » que Johnny. Perdus dans des vies désabusées, ces trois couples parviendront à nous renvoyer un message particulièrement solide et construit.

Ainsi, ce TPB se révèle-t-il aussi efficace et vivifiant qu’un grand coup de pied aux fesses, même s’il est évident que les thèmes qui y sont abordés (que deviennent la singularité et les rêves à l’épreuve du temps, des échecs, des ruptures ?) ont naturellement déjà été abondamment nourris par la littérature.

Toutefois, Paul Pope a le courage d’inviter ses lecteurs à ne pas fuir, à savoir reconnaître un moment décisif, une chance, quelles que soient les incertitudes du lendemain.

Carpe diem baby

L’envie de reprendre pied, tout autant que le « letting go » cher aux auteurs de « Lost », cet appétit formidable pour la découverte de sentiments nus, désintéressés, forts… ce sont là autant d’invitations à la stimulation de nos sens, à la transcendance du quotidien par des relations simples et vraies, pourtant à portée de dialogue.

L’œuvre de Paul Pope n’est pas raisonnable, elle est aussi forcément naïve, mais elle doit être. Elle est de ces BD, de ces essais, des ces mélodies, qui nous rappellent combien l’absurde peut éclairer notre regard sur le monde. Qu’importe Amsterdam, le juge-pénitent décrit par Camus aurait probablement aimé partager quelques verres avec ce jeune auteur New-Yorkais.

En ce mois d’octobre propice au spleen, « 100 % » ne peut laisser insensible. Mais on prend le pari qu’en été, dans vingt ans, elle nous parlera encore, car les relations – même à peine entamées, la sève de nos courtes vies, ne s’éteignent jamais vraiment.

[Nicolas Lambret]

« 100 % », par Paul Pope (scenario et dessin), Dargaud, mars 2008, 256 p.

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