L’Homme n’aurait pas dû essayer de créer ses dieux… Tout aurait dû rester sous contrôle, mais à présent le pire a eu lieu. Assis sur les bords de la Tamise, avec les ruines de Big Ben en flammes derrière lui, un expert en sécurité raconte les derniers mois de la civilisation, avant que ne survienne une terrible « fin de l’Histoire ». Morrigan Lugus en Angleterre, Maitreya en Chine (rien à voir avec Terence Trent d’Arby…), Malak-en Iran, Jerry Craven aux USA, Dajjal en Irak, ou encore Perun en Russie… tous ces surhommes nés de nos connaissances scientifiques auraient-elles choisi de se retourner contre leurs pères ?
Le fil d’Ariane de cette aventure, c’est donc le professeur Simon Reddin, un parangon de cynisme qui prend le temps, malgré l’apocalypse qui vient de se jouer, pour s’arrêter et disserter sur le destin des humanités. Par humanités au pluriel, il convient d’entendre ces juxtapositions de mondes qui ont choisi de conforter leur légitimité, leur cohésion, en refusant les échanges avec l’extérieur, vivent donc en permanence sous la menace d’une paranoïaque et potentielle agression venue qui du Pakistan, de Russie, de Chine, d’Iran ou … des Etats-Unis. A la limite, jusqu’ici, on suit Warren Ellis avec entrain dans ce jeu de géopolitique-fiction uchronique.
Autre approche intéressante, Ellis compare et triture les différents archétypes de surhommes qui peuvent exister dans l’imaginaire du comic-book (comme de la SF du reste) : le super-soldat, bien sûr, mais aussi la divinité, le mutant, l’androïde ou l’extraterrestre… autant de profils mis au service de nations intrinsèquement belliqueuses. Des bombes H puissance douze mille, dotées de pouvoirs extraordinaires et créées in vitro pour sauver leur peuple, mais qui se révèlent, en bout de course, être les instruments d’une surenchère qui conduira ce monde au cataclysme.
Frontalement et avec détermination, Warren Ellis se risque ici à une charge aussi radicale que naïve contre les gouvernances modernes, mais également, et c’est sans doute son réel intérêt, contre ce qui, dans nos instincts de mammifères, pousse ces superpuissances à cette excessivité. Ploutocratie, népotisme, corruption… des tares partagées unanimement sur la planète, en tout temps, tout lieu et tout substrat sociologique, et qui trouvent ici leur incarnation dans ces surhommes programmés pour servir. Manque de pot, tous vont partir en vrille et mettre de côté de leur formatage initial. Trop tard ! Et même la Lune en fera les frais…
Graphiquement, en revanche, Garrie Gastonny s’adapte parfaitement aux changements de registres demandés par son scénariste. Des plans « conversation » les plus anecdotiques aux scènes de baston géantes à coup de monuments atomisés, cet artiste gère le tout avec concentration. A la rigueur, on pourra éventuellement lui reprocher un léger manque de personnalité dans le trait, mais ce défaut devrait probablement s’atténuer avec les années.
La morale de cette histoire serait donc que si les humains étaient capables de donner naissance à des surhommes, ces derniers seraient tellement déçus de leurs géniteurs qu’ils les extermineraient très probablement. Ca se tient certes, mais ça ne fait pas un chef d’œuvre. Sans être un ratage, loin s’en faut, Supergod est néanmoins victime du syndrome du super-soufflé. Gonflé à bloc par l’envie de bien allumer le tropisme guerrier de l’espèce humaine, Warren Ellis annonce d’entrée de jeu une contre-cavalcade qui s’achève, in fine, par une banalité doublée d’un sentiment de déjà-vu. Et ce en dépit d’une débauche de super-plans larges bien mastocs, illustrés de manière appliquée par Garrie Gastonny – un solide dessinateur (http://thegerjoos.deviantart.com/). Beaucoup de belles intentions donc, appuyées par un excellent démarrage mais l’ensemble reste trop en surface pour vraiment remuer l’estomac…
[Nicolas Lambret]«Supergod», par Warren Ellis (scénario) et Garrie Gastonny (dessin), Editions Milady Graphics, mai 2011, 128 p.
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