D’ici quelques jours la série TV Watchmen arrivera sur les écrans d’HBO (et en France, moins de 24 heures après sa diffusion américaine chez OCS). Les deux diffuseurs nous ont permis de voir les six premiers épisodes de ce projet ambitieux. Exercice épineux s’il en est (repasser derrière le chef d’œuvre de Dave Gibbons et du scénariste qui ne veut plus y être associé), ce récit n’est pas tant une suite directe qu’une vision de l’Amérique d’aujourd’hui. Ceux d’entre vous qui vous attendez à apprendre la suite des aventures de tel ou tel personnage de la BD d’origine serez dans bien des cas déçus. Mais Damon Lindelof (Lost, The Leftovers) s’attaque à ce monument avec une pertinence évidente.
Disons-le de suite, des personnes « bien informées » n’auront pas besoin d’avoir vu cette série TV pour vous dire avec autorité qu’il ne faut ABSOLUMENT pas la regarder puisque que le méchant Lindelof est celui qui a écrit un mauvais Star Trek ou un mauvais Prometheus. On vous dira en boucle qu’il est vraiment très vilain parce que le dernier épisode de Lost était clivant. Dommage pour ceux qui passeront à côté où qui la regarderont les yeux plein de préjugés car le Watchmen de Lindelof est à au contraire d’une grande intelligence. Et tout cela dans le respect du scénariste originel. La série TV suit l’effort de ne pas le créditer (suivant le souhait du principal intéressé) et on suivra donc cette logique, en notant que pour le coup HBO respecte plus l’auteur britannique que DC Comics pour ses rééditions. A son arrivée sur le projet, Lindelof avait écrit une lettre publique à cet auteur désormais masqué, en lui expliquant qu’il n’entendait pas le singer, qu’il marcherait dans ses pas mais pour faire autre chose. Et honnêtement la promesse est tenue, bien plus que pour un Before Watchmen où il s’agissait simplement de cannibaliser les personnages principaux ou secondaires des Watchmen de 1986, en tournant le dos à toute portée politique majeure.
« American hero story » est une expression utilisée plusieurs fois dans la série Watchmen. Cela aurait aussi bien pu être un titre alternatif du programme, tant la notion d’héritage héroïque s’y mélange de manière judicieuse avec l’histoire du pays. En clair, l’Amérique a toujours eu besoin de héros et les a cherchés, selon les époques, en se tournant vers des personnages plus ou moins recommandables. L’Amérique (et par extension l’humanité) a toujours besoin de héros parce qu’elle a, dans le même temps, le chic pour se créer des problèmes, peut-être même pour ETRE le problème. Et c’est cela que Lindelof a l’intelligence de comprendre et d’exprimer dès les premières minutes du show. Faire Watchmen, ce n’est pas copier ou émuler un comic-book phare des années 80. C’est faire fonction de thermomètre de la société. Gibbons et son compère le faisaient dès 1986, en traitant des dernières années de la Guerre Froide, dans un monde encore plus proche d’une apocalypse nucléaire causée par les USA et l’URSS. Snyder, au cinéma, a adapté son propos, il y a un peu plus d’une dizaine d’années pour que l’histoire fonctionne au XXI° siècle et en particulier après les attentats de 2001. Il ne s’agissait plus d’inventer un troisième ennemi pour que l’Est et l’Ouest s’unisse. Dans un siècle qui démarrait sous la houlette du fanatisme religieux Doctor Manhattan acceptait d’endosser la culpabilité, de passer pour un dieu vengeur attaquant non plus seulement New York mais aussi les principales capitales du monde. En 2019, Lindelof se livre aussi à une analyse de l’air du temps, dans une Amérique (mais il faut le dire aussi, par extension, un Occident) où les oppositions politiques, les soulèvements sociaux, les violences policières et/ou les violences contre les policiers font couler beaucoup d’encre virtuel.
Watchmen, la série d’HBO, se déroule plus d’une génération après les événements du comic-book (mais dans une tonalité qui, dans le même temps, fait aussi référence à certains éléments apportés par Snyder). Traumatisés, les deux blocks ne se sont donc pas entretués et l’Amérique s’est reconstruite autour de la catastrophe de New-York. Les super-héros masqués sont toujours hors-la-loi mais, à l’inverse, les policiers de plus en plus menacés sont obligés de se cacher le visage, ce qui dans certains cas donne une sorte de version hybride, des superflics. Ça, c’est le postulat de base (déjà exposé dans les trailers de la série) mais producteurs et réalisateurs ont bien fait leur boulot, pour nous donner une uchronie avec certains éléments baroques. En un sens on est entre The Man in the high castle (dans le sens où le contexte est plus important que les personnages) et Legion (pour la qualité de la production et certains éléments de designs, en particulier ce qui concerne la résidence d’Ozymandias). Mais là-dessus, l’intelligence du projet est de ne pas « subir » le Watchmen d’origine mais de l’inscrire dans une continuité qui remonte au moins aux premières décennies du vingtième siècle et à une autre ville rasée, lors d’événements authentiques qui vont causer l’apparition du premier justicier. Le scénario autant que la réalisation empruntent au cahier des charges du comic-book d’origine en aménageant tous les flashbacks nécessaires et les leitmotivs visuels ou conceptuels.
Le cercle est omniprésent, qu’il soit formé par les contours d’une tasse de café ou le tambour d’une machine à laver (les montres aussi sont là). La structure se nourrit de bien des archétypes. Pratiquement dès les premières minutes du show, on inscrit les choses dans la réalité historique mais en même temps on nous rejoue les origines de Superman (c’est d’ailleurs assumé plus loin dans la série). Les réalisateurs arrivent jusqu’à reprendre certaines scénographies de la BD d’origine mais en leur donnant une finalité totalement différente (si vous regardez-bien, vous retrouverez un bout de scène ou Rorschach s’acharnait sur un bagnard… mais transposé sur des personnages très différents. Et c’est d’ailleurs ce qui nourrit un élément du suspens. Qui sont ces superflics et est-ce qu’ils vont reprendre des positions que l’on connait ? « Looking Glass », l’énigmatique limier au visage miroir est-il un nouveau Rorschach ou un héritier futur d’Ozymandias ? A moins que ce soit Sister Night ? Ou Red Scare ? Très vite, on comprend par contre qui sera « le » ou « la » Comedian de l’histoire, celui ou celle dont la disparition va semer le trouble. Même après arrivé au bout des six premiers épisodes, tout peut basculer. On est intéressé par les personnages mais la plupart d’entre eux ont des failles, parfois de véritables crevasses. A l’inverse, la 7ème Kavalrie (avec un K) est un prolongement évident du Ku-Klux Klan (présent sous différentes formes et à différentes époques de l’histoire). Mais certains des individus qui s’y cachent sont-ils forcément dans le faux ?
Même si le Watchmen de Lindelof est inconciliable avec le Doomsday Clock de Geoff Johns (selon les deux versions, ce même monde a réagi de manière totalement différente avec la catastrophe de New York), il est fascinant de voir à quel point les deux scénaristes ont fait parfois un usage similaire de leur droit d’inventaire. Dans Doomsday Clock, Johns aussi fait référence à « l’avant » via l’usage d’un ancien membre des Minutemen tout se dépêchant d’introduire de nouveaux personnages. Mais plus largement Watchmen (la série TV) est une utilisation si intelligente de l’univers laissé en place à la fin de Watchmen (le comic-book) qu’il n’est même pas dit que ça marche, tant le projet parlera à ceux qui ont la BD bien en tête. Quiconque arrive la fleur au fusil pour visionner la chose ou en connaissant seulement le film de Snyder risque d’être assez rapidement « raccompagné à la porte » par des éléments du scénario qui ne font pas dans le compromis. Ici pas de « numéro zéro » pour tout expliquer où pour régler les montres. Quand il s’agit d’évoquer le Calamar de New-York ou ce les raisons du sort d’Ozymandias, vous êtes supposé avoir fait vos devoirs. Jeremy Irons, dans le rôle de l’ex-super-héros milliardaire, est d’ailleurs truculent, joue un peu trop la chose façon opérette pour un type qui est supposé être l’homme le plus intelligent de la Terre. Mais on pourra toujours imaginer qu’en plus de trente ans le personnage a pris un coup.
Il n’est d’ailleurs pas le seul qui a changé et l’on retrouve un(e) autre protagoniste des Watchmen dans une position totalement opposée à ce qu’il/elle était à la fin du récit. Cela dit ce n’est pas très différent de certains hippies devenus bourgeois en l’espace de quelques années (regardez ce que faisait une certaine Hillary Rodham dans les seventies et son devenir par la suite). Plus précisément cela permet d’avoir des protagonistes ambigües, qui jouent avec les lignes. De ce fait, il convient de saluer la prestation de Jeanne Smart, qui interprète un personnage clé mais complexe. Pourquoi avons-nous réellement besoin de héros pour sauver le monde ? Peut-être parce que nous avons pris l’habitude de le saboter. Ainsi donc notre contemporain (ou nous-même) continue de se passionner pour l’écologie tout en achetant des dosettes de café, à manifester pour l’égalité des droits dans un joli t-shirt pas cher produit dans le tiers-monde, à signer des pétitions humanistes via un téléphone qui fonctionne grâce au Coltan obtenu au mépris de la sécurité de mineurs africains. Ce ne sont pas tant nos (super) héros qui sont masqués mais bien la vérité que nous préférons nous cacher. Nos sociétés sont faites pour marcher au bord du précipice tout en prétendant regarder ailleurs. C’est cela que Lindelof a compris en lisant Watchmen (et visiblement d’autres comics). On ne peut pas guérir le monde une fois pour toute, même en lui mentant. Il se créera aussitôt un autre problème, de façon chronique. C’est dans notre hypocrisie, dans notre capacité à nous voiler la vérité, que la nouvelle série d’HBO trouve sa réelle pertinence. Comptez sur l’être humain pour semer le chaos à chaque fois qu’il le pourra, en cherchant à se convaincre que cette fois-ci ça passe… Tick tock, Tick tock…
[Xavier Fournier]Le premier épisode de Watchmen sera diffusé (également disponible en replay) en France sur OCS à partir du lundi 21 octobre 2019.
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