Dessins de Lee Bermejo
Parution aux USA le mercredi 25 février 2015
Ca y est ! Le pire est arrivé sur la Côte Ouest. Le grand tremblement de terre tant redouté s’est produit, projetant, entre autres choses, une grande partie de Los Angeles dans le chaos. Trente ans plus tard, l’ex-Los Angeles s’est scindée en deux portions. D’une part New Angeles, le secteur qui a le mieux survécu et qui s’est réorganisé autour d’un sport de combat en arène, le « suicide ». De quoi occuper l’esprit des masses… Dans New Angeles, la société peut se reconstruire au propre comme au figuré. Il n’y a plus d’infirmité. Si vous avez de l’argent, vous pouvez remplacer un membre manquant. Certains le font pour le plaisir, comme pour du tuning post-humain. Les « Suiciders », adeptes du sport mentionné, ne se privent pas de telles augmentations. L’autre partie de la ville est devenue Lost Angeles, c’est-à-dire la ville perdue, un no man’s land où la pauvreté règne. Et là, pas de bricolage possible. Si vous avez, en plus, une infirmité ou une maladie, c’est pour votre pomme. Les dés sont pipés au départ. Seul espoir d’avancement ? Passer le mur. Quitter Lost Angeles pour New Angeles. L’ennui, c’est que la « ville haute » n’apprécie pas les clandestins. Essayer de passer le mur, c’est une autre forme de « suicide ». Ce qui fait qu’assez vite on comprend que Lee Bermejo met en vis-à-vis deux sortes de « suiciders ».
Si l’on considère, souvent, l’anticipation comme un pronostic sur l’avenir, c’est aussi, au moins à part égale sinon plus encore, une parabole du présent. Sous le couvert d’un concept qui emprunte aussi bien à l’imaginaire des sports violents (Rollerball, la WWE, certains jeux vidéos d’arène…) qu’à la sélection sociale et génétique (Bienvenue à Gattaca), Lee Bermejo n’est pas si premier degré qu’il y paraît. Au-delà des apparences, la société à deux vitesses dont il nous parle existe déjà. Et il est difficile de ne pas faire le rapprochement entre les clandestins dont il nous parle et les mexicains qui passent, de nos jours, la frontière dans l’espoir d’une vie meilleure. D’ailleurs, il n’est peut-être pas besoin d’américaniser le propos. Lee Bermejo résidant en Italie, il a sans doute une vision plus universelle du rapport entre pays riches et migration clandestine. Là-dedans, l’auteur donne du corps à son œuvre, un petit grain acide qui va bien au-delà du premier degré. Narrativement, il est aussi intéressant de retrouver Bermejo le dessinateur dans un rythme différent de celui qu’on lui a connu ces dernières années, alors qu’il nous avait plus habitués à des graphic novels. Suiciders le force à s’inscrire dans une séquence d’une vingtaine de pages, dans une logique de chapitres où il faut ménager l’action, la tension et la discussion. Par endroits, l’artiste se fait voisin de Gene Ha et nous donne, en tout cas, quelque chose qui tient la route, que l’on va visiblement prendre plaisir à retrouver de mois en mois.
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