Dessins de Yanick Paquette
Parution aux USA le mercredi 13 avril 2016
Culture érigée dans le refus, la haine et la peur de l’Homme, la patrie des Amazones a donc appris à faire sans, à plus d’un titre. Grant Morrison installe en effet sans faux semblant la seule sexualité qui fait sens dans une île peuplée de femmes depuis des millénaires : le lesbianisme. Mais surtout le scénariste rend un hommage appuyé au créateur de Wonder Woman, William Moulton-Marston, en intégrant au centre de cette culture une sorte de jeu de rôle basé sur les humiliations subies en des temps anciens, quand les Amazones étaient aux mains des hommes. De ce fait, une certaine forme de bondage trouve sa place ici, présenté comme une « soumission affectueuse ». Cela peut paraître caricatural mais Morrison installe la chose de manière intéressante puisqu’elle dicte les réactions des Amazones et leur méfiance du monde extérieur. Enfin… toutes sauf une puisque la plus jeune, Diana, ne va pas manquer de s’intéresser au premier homme qui pose le pied sur l’île, à savoir Steve Trevor. Mais ce qui constitue le nerf de l’album, c’est bien une forme de protectionnisme culturel, la réaction des Amazones aux décisions de Diana, motivée par l’inquiétude d’une mère mais aussi la jalousie d’une amante.
« So let me get this straight. You’re from a Paradise Island of Science Fiction lesbians ? »
Aux dessins on retrouve un Yanick Paquette qui ne déçoit pas. Curieusement on pourrait rapprocher sa Wonder Woman Earth One de son travail sur Swamp Thing dans la mesure où il y a des allusions baroques, des mises en pages que Steve Bissette n’aurait pas reniées quand il travaillait sur la créature du marais, bien qu’ici, forcément, les choses sont moins végétales et se sont, par exemple, les courbes du lasso qui alimentent le décorum. On trouve aussi comme une pincée de la BD Gwendoline. L’artiste donne aussi une vision de la civilisation amazone qui ne se contente pas d’être rétrograde. Au contraire. Morrison et Paquette se souviennent de l’avion invisible qui faisait partie du mythe, à l’origine, et réétablissent que les Amazones sont un peuple avancé. Le dessin et le scénario laissent aussi une certaine place à des allusions qui vont de Troia à Artemis, encore que dans des contextes différents de ce que leur connaissait. Wonder Woman est une héroïne qui, dans cet album, ne veut pas se conformer, ne veut pas se laisser avoir par le poids des cultures, que ce soit la sienne ou celle des autres et qui met par-dessus tout sa curiosité et son envie de liberté. Les auteurs jouent aussi avec l’origine mais si certains y verront sans doute un rapprochement (d’une certaine manière seulement) avec ce qu’avait pu écrire Azzarello, cette version-là m’apparait beaucoup plus logique (au point qu’il me semble qu’elle était déjà presque là dans le run de Pérez). Wonder Woman – Earth One Volume 1 est une lecture très plaisante, sans doute l’un des meilleurs projets Earth One (difficile de faire la comparaison avec Batman Earth One tant ils sont différents, mais qualitativement on est loin devant les tomes de Superman ou des Teen Titans). La comparaison serait sans doute tentante avec les épisodes récents des époux Finch sur la série régulière mais ce serait tomber dans le panneau de manière un peu rapide. C’est bien plus large que ça. C’est sans doute, à vue de nez, la meilleure « Wonder lecture » qu’on ait pu lire depuis sept ou huit ans, tout simplement…
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