Nous avions laissé un Batman devenu hors-la-loi à Gotham, acceptant de prendre sur son dos toute la terreur du monde, de mentir sur sa réputation pour devenir un ennemi commun, un symbole qui allait unir Gotham contre lui, héros méconnu et conspué. Seul Gordon saurait que tout ça était du mensonge. La suite semblait évidente : beaucoup pensaient qu’on aurait droit à un Batman pourchassé par les forces de police. En fait, l’imposture de Gordon et Wayne a fonctionné et personne n’a vu Batman (ou Wayne) depuis des années. La force du double symbole de Dent et de Batman a suffit à instaurer une paix forcée. Les criminels sont en fuite ou en prison. Il n’y a guère qu’une cambrioleuse, une certaine Selina Kyle (Anne Hathaway), qui sévit. Comme dans les deux précédents films le scénario de Christopher Nolan, son frère Jonathan et David S. Goyer s’intéresse plus particulièrement à l’autodestruction de Bruce Wayne et à son lien avec la ville. Il s »agit plus d’un film sur Wayne et sur Gotham que d’un long-métrage reposant sur Batman. Oui, mais là où les démasquages incessants de Peter Parker dans The Amazing Spider-Man semblent une excuse maladroite pour démarcher les midinettes, Bruce Wayne (Christian Bale) habite Batman et inversement. Bale nous avait déjà fait la preuve de sa capacité à jouer les personnages détruits, hantés, dans des films comme The Machinist et ici il ne démérite pas, en campant un Bruce/Batman souvent au bord de l’abime. « THIS is Batman ! » s’exclame un gosse à un moment. Un peu que c’est Batman, mon petit gars…
Non seulement c’est Batman, mais c’est aussi une véritable leçon sur la manière de transposer un super-héros des comics vers le cinéma. Et si Nolan prend ses libertés, si certains personnages n’ont pas exactement le même nom (pour nous réserver la révélation à l’instant ultime), il le fait d’abord pour servir un sens. Pour raconter non pas seulement un film mais aussi pour inscrire ce chapitre dans une saga globale qui ne se repose pas sur ses lauriers. En prime, les scénaristes savent faire référence au matériel d’origine quand on sait y regarder. Non, vous ne verrez pas à la fin, en post-générique, une scène annonçant la formation de la Justice League. Non, vous n’apercevrez pas non plus dans la Batcave une référence à Flash ou à Green Lantern avec une réplique comique façon Avengers. Mais les comics y sont respectés. Peut-être pas à la lettre mais dans l’esprit. Puisqu’il est notoire que le film abrite Bane (Tom Hardy), il est évident que le personnage arrive avec un certain nombre de pratiques et de caractéristiques. Mais ce n’est pas tout. Au delà des personnages la chute de Gotham telle que vue dans le film fait aussi penser à diverses sagas de la BD, comme Batman: Cataclysm ou No Man’s Land. En particulier grâce à la présence du commissaire Jim Gordon (Gary Oldman) mais aussi la conduite d’autres flics (comme le petit nouveau, John Blake, incarné par Joseph Gordon-Levitt, qui découvre un peu les choses d’un nouvel œil) ou Foley (Matthew Modine)… Des rapprochements avec les arcs Black Glove ou R.I.P. sont également à faire, à mon sens…
Mais (parmi les choses dont il est possible de parler sans gâcher différentes surprises) il y a un autre noyau de références ou Nolan fait particulièrement mouche : Selina Kyle. Peu importe que les premières photos de presse lui aient donné un air froid et guindé. Peu importe qu’elle soit moins délirante que les Catwoman entrevues dans le feuilleton des sixties. Peu importe, enfin, qu’elle ne soit pas Michelle Pfeiffer (la Catwoman de Tim Burton était très bien mais ce n’est pas le débat). Pour avoir, pour les besoins de la revue, lu et relu les premiers épisodes utilisant Catwoman ces derniers mois, il ne fait pas pour moi l’ombre d’un doute. Cette Selina là est la Catwoman que Bill Finger, le créateur du personnage, entrevoyait au début des années 50, quand il a commencé à lui greffer l’identité de Selina. Cette mademoiselle Kyle, ce n’est pas seulement une voleuse ou une chapardeuse. C’est aussi quelqu’un qui est quête de rédemption, d’un redémarrage dans la vie. Un retour à l’innocence que le système refuse de lui offrir. Elle est moins nymphomane que certaines versions. Mais elle est authentique. Elle respecte les intentions de Finger tout en servant au propos de Nolan.
Ce propos, on le connait déjà. The Dark Knight Rises fait la fusion entre les caractéristiques des deux précédents films. D’un coté l’ascension d’un Bruce Wayne qui, d’une certaine manière, cherche à se punir. De l’autre le Mal qui tente de manipuler par la terreur, de pousser les uns contre les autres, de s’arranger pour les « bons » en viennent finalement à faire une partie de son boulot. The Dark Knight Rises n’est pas exempt des défauts qu’on avait déjà pu voir sur les deux premiers Batman de Nolan : Des longueurs par endroits, quelques curiosités de montages qui font qu’un personnage emmené à un endroit se retrouve à un autre dans la scène suivante… Il y a aussi un problème d’ellipse temporelle qui fait que des événements supposés se dérouler sur 5 mois de temps à Gotham semblent en fait se dérouler en 48 heures top chrono (même dans une ville à la dérive Selina et Miranda trouvent le moyen d’être coiffées et maquillées, les prisonniers des catacombes gardent les mêmes vêtements mais ceux-ci sont relativement intacts tandis qu’on se demande où ils ont trouvé de la nourriture). Mais ce ne sont que des peccadilles dans un torrent d’énergie martiale (sauf bien sûr si vous faîtes des allergies violentes au réalisateur et si les deux films vous ont déplu. Mais vous allez vous sentir bien seul !). Nolan continue sa réflexion sur la logique de la terreur, sur la perte des libertés individuelles, sur l’indifférence dans lequel le Mal fait son nid. Non seulement il la continue mais il la mène aussi à sa conclusion logique.
Car une trilogie qui avait commencé avec l’origine ne pouvait se finir que de cette manière. Avec une fin que, pour le coup, les comics et leur mode feuilleton n’oseront jamais nous offrir. Oui, Dark Knight Rises n’est pas un film de comédie. Il n’a pas le côté hamburger d’un certain nombre d’autres adaptations de super-héros à l’écran. Mais il a de la force, il a du sens. Il consacre une trilogie, la mène à son bout sans défaillir. Certes, Bane, ce n’est pas le Joker en termes de charisme (d’ailleurs c’est déjà le cas dans la BD) mais les événements s’enchaînent pour dépasser l’identité ou le costume d’un bad boy pour aller plus loin. Pour pousser Batman à faire finalement un choix inédit. La fin vient avec ses tiroirs, avec les percussions de Hans Zimmer. Mais la fin vient. Ultime claque qui fait qu’on a plus qu’une envie. On voudrait trinquer avec un Alfred en train de siroter son Fernet-Branca, en souhaitant bien du courage à celui qui aura la redoutable tâche de passer derrière Nolan pour réaliser un futur Batman. Je ne sais pas ce que donnera le box-office. Je ne sais pas si The Dark Knight Rises flanquera une rouste aux Avengers ou à Spider-Man. En un sens peu-importe. Les entrées, les chiffres, restent une histoire d’argent. La vraie victoire, celle du sens, est déjà là, dans ce film de 2h45 qui s’impose non seulement comme le film de super-héros de l’année. Oui mon gars : THIS is Batman !
[Xavier Fournier]
The Dark Knight Rises, sortie VF le 25 juillet 2012
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