Comic Box Virgin #55 – Les Clés de la Bande Dessinée T1
8 octobre 2009[FRENCH] Will Eisner est vivant. Sinon dans la chair (l’auteur du Spirit et du « Pacte avec Dieu » est hélas disparu depuis quelques années) au moins dans l’esprit grâce à ses nombreux albums et recueils. Mais l’esprit, le voici justement décodé par le principal intéressé. Non pas une BD. Pas plus un manuel (le mot serait impropre) mais une démonstration vibrante…
Bon, d’accord, Will Eisner est depuis des décennies un maître de la narration et le reste malgré sa disparition. Pas de méprise possible. Ses planches sont déjà une vraie leçon à chaque page. Mais voici que sort chez Delcourt le premier tome de ses « Clés de la Bande Dessinée » (intitulé « L’Art Séquentiel ») et pour la lectrice (ou le lecteur) qui s’aventure dans ce tome, un doute s’instaure au moment de tourner la couverture. Est-ce que ce sont ceux qui le font le bien qui en parlent le mieux. Pas d’équivoque, la voilà la question : Est-on forcément pédagogue quand on est artiste ? On peut être un maître sans savoir se faire comprendre. On peut avoir le génie non-communicatif. Et en particulier dans le domaine de la bande-dessinée où beaucoup ont choisi d’exprimer par des images ce qu’ils n’arrivent pas toujours à dire autrement. Amateurs de Will Eisner, vous pouvez respirer, je ne vais pas tailler en pièce la capacité d’Eisner à montrer et démontrer. Ouf ! Non, je voulais juste souligner par cette (factice) interrogation que réaliser une œuvre et en transmettre les techniques sont deux choses différentes et que c’est pour cela que l’ouvrage de Will Eisner est doublement impressionnant.
« L’Art Séquentiel » se révèle dès les premiers instants le compagnon de l’auteur de BD en herbe (et même moins « en herbe » d’ailleurs) qui voudrait une mise en perspective de la logique qui guide son art. C’est aussi le livre de chevet nécessaire de l’amateur de bandes dessinées qui comprendra ainsi mieux les coulisses de ce tour de magie perpétuelle qu’est la création d’une page illustrée. Les « Clés de la Bande Dessinée » sonnent comme le commentaire audio d’un réalisateur, en particulier avec des reproductions de planches où les légendes sont pleines d’enseignement. Will Eisner ne s’intéresse d’ailleurs pas qu’à ses propres travaux et commente la méthode de quelques invités comme Jason ou Alison Bechdel. Les « Clés de la Bande Dessinée » ne sont pas, non plus, le discours rétrospectif d’un auteur sur ces décennies de carrières. Terminé dans les derniers mois de sa vie, en 2005, l’ouvrage est d’une modernité exemplaire et évoque aussi des éléments comme la révolution numérique. Soulignons que la traduction d’Arthur Clare a su garder le ton et véhicule ainsi le discours didactique du maître, comme un talent d’orateur qui passerait à travers l’écrit. Si vous voulez vous targuer d’être un amateur éclairé de BD, il vous faudra, vite, « L’Art Séquentiel » (ainsi que les deux autres tomes à venir) en bonne place sur vos étagères. Sinon vous seriez vite démasqué !
[Rebecca Frati]