Mais au fait, Disney c’est quoi ? Gargantua de l’imaginaire américain et par conséquent occidental, l’empire Disney étend ses tentacules aussi bien au cinéma qu’à la télévision en passant par les comics, les jouets, les parcs d’attractions et le multimédia. « Quasi-monopole et uniformisation de l’imaginaire » hurlent certains. Pourtant, « Disney ou l’avenir en couleur » nous dresse un portrait beaucoup plus complexe et détaillé d’une société devenue, à bien des égards le « taulier » de nos passions. Vous pensiez avoir une opinion bien précise sur Disney ? Elle n’est pas complète tant que vous n’aurez pas lu l’ouvrage totalement indépendant de l’universitaire Christian Chelebourg.
En matière de culture, on a bien souvent l’impression, en tant qu’utilisateur/usager, de comprendre assez facilement les ficelles invisibles qui animent un art ou un champ de compétence. C’est un peu comme aller voir quelques matchs de foot, hurler « Pourquoi il n’a pas mis le but ??? » et revenir chez soi en ayant l’impression qu’on a saisi les tenants et les aboutissants du « back-office » d’un club de foot. Les fans les plus passionnés, après avoir quelques films (quand bien même quelques dizaines) ou collectionnés plusieurs années d’une BD en particulier (mettons les X-Men), ressentent l’impression compréhensible mais discutable de maîtriser ce qui fait tourner les rouages de l’entertainment. Et autant, physiquement, la plupart des fans de foot doivent bien admettre qu’ils ne seraient pas en mesure de mettre le but pourtant jugé si « facile », autant dans l’Imaginaire, aucune barrière ne vient servir de garde-fou. On peut donc, sans vérifier les faits, s’enfermer dans l’idée que sa propre impression vaut réalité. Bien qu’il ne concerne pas directement les comics, sans doute que les amateurs de bandes dessinées américaines trouveront un intérêt certain à parcourir « Disney ou l’avenir en couleur » tant l’étude de Christian Chelebourg est documentée et résiste à toutes sortes de pressions faciles, venues d’un camp ou d’un autre. Directeur du Laboratoire Littératures, Imaginaire, Sociétés) à l’Université de Lorraine, il signe en effet un livre qui n’est pas une émanation de Disney (et n’entend pas spécialement lui servir de plaquette publicitaire) mais qui, dans le même temps, ne cède pas au cliché du pot de terre contre le pot de fer. Non, Disney n’est pas ce gros ogre méchant qui rachète des petits (éditeurs et autres studios) seulement pour faire de l’argent. Il y a aussi une philosophie derrière les décisions, philosophie dont Chelebourg balise la piste de manière claire et compréhensible, tout en se permettant cependant d’être technique. Pour preuve, pratiquement dès le début, une explication assez efficace de comment, dans les années 80, des modifications de la législation américaine ont, par un effet boule de neige, poussé les grands groupes à s’entredévorer les uns et les autres.
Publier un livre sur un sujet si vaste que l’empire Disney, alors qu’il existe depuis des décennies et qu’il continue d’avancer en temps réel pratiquement chaque semaine, c’est un exercice périlleux. Rien de pire que de sortir un ouvrage alors qu’un événement pourrait invalider une partie du propos quelques jours plus tard. Mais ce genre de rebondissements est aussi, éventuellement, un bon test. « Disney ou l’avenir en couleur » est sorti la même semaine où Disney, devenu majoritaire dans le capital de Hulu, annonçait sa reprise en main et ses objectifs. Et c’est là où Chelebourg démontre la pertinence de son approche puisqu’il ne s’est pas contenté de regarder si tel film ou tel autre lui plaisait. Il a aussi épluché dans le détail les déclarations de dirigeants, parcouru les bilans financiers… Si bien que les intentions de Disney envers Hulu sont anticipées dans le livre et sans erreur de jugement. L’universitaire dresse ainsi le portrait d’une multinationale qui se développe, assurément, par le profit, mais qui, idéologiquement, n’est pas seulement ça, avec dans ses gênes une volonté éducative. A la lecture de l’auteur, il est difficile de ne pas repenser au film Tomorrowland, lui-même dérivé d’une antique attraction des parcs Disney et qui, finalement décrivait une philosophie quelque peu angélique (et qui, triste ironie, n’a pas trouvé l’écho mérité). A coups d’éléments concrets, historiques, économiques et éditoriaux, Chelebourg nous raconte comment il y a, derrière cette vitrine angélique, une volonté réelle.
Surtout, le chercheur taille en pièce cette idée facile, maintes fois reprises sur les réseaux sociaux, qui voudrait que Disney impose un seul code, une seule forme, aux récits produits chez lui. Tout se ressemblerait ? Tout serait produit selon la même recette ? Disney, comme souligné dans le livre, ce sont non seulement les films animés à base de princesse, certes, mais aussi celui qui diffuse maintes séries policières. Disney, c’est la maison qui génère Frozen mais aussi Criminal Minds ou, pour ce qui nous intéresse plus généralement ici, les films de Marvel Studios. Celui ou celle qui ne fait pas la différence entre ces trois pôles (parmi d’autres cités par Chelebourg), dans la forme comme dans le public visé, a de sérieuses questions à se poser sur son sens du discernement. Cela n’empêche pas l’auteur de se lancer dans une typologie de certains thèmes traités chez Disney (par exemple la famille), en cherchant des fils rouges mais aussi des contradictions dans des œuvres très différentes. Bien sûr, c’est sans doute plutôt ce qui traite directement de Marvel qui intéressera les habitués de ce site. Il faut reconnaître que, par la force des choses, Chelebourg ne peut guère s’attarder sur la création des Marvel Studios (antérieure à son rachat par Disney) où même les caractéristiques de super-héros Marvel créés en dehors du propriétaire actuel. Pour son propos ne sont pertinentes que les œuvres Marvel produites après le rachat par Disney. Mais passé ce curseur, tout est valable, susceptible d’être décortiqué, comme par exemple le dessin animé Iron Man: Rise of Technovore ou la série Marvel’s Agent Carter. Black Panther ou Thor: Ragnarok sont là aussi… non sans qu’on nous rappelle qu’ils appartiennent à la même maison-mère que l’Apocalypto de Mel Gibson. S’il y a bien parmi ces 317 pages d’analyse une ou deux coquilles accidentelles (page 13, Spider-Man apparaît à tort listé parmi les licences détenues par la Fox qui vont revenir chez Disney), l’ensemble est le fruit d’une recherche massive et argumentée. Le titre quelque peu « enchanteur » du livre pourrait faire croire à une sorte de royaume merveilleux. Ou peut-être pourrait-on le prendre comme une question, un choix entre deux alternatives. Mais en définitive Christian Chelebourg donne à réfléchir bien au-delà des idées reçues. Il ne dicte pas tant une opinion qu’il donne les éléments nécessaires à s’en faire une. Pour les seuls lecteurs de comics (mais aussi pour les lecteurs de comics et consommateurs de films et de séries de super-héros), l’ouvrage a l’avantage de nous faire faire le tour du proprio de la société qui, depuis une décennie, supervise la phase actuelle de Marvel. On est d’accord ou pas avec elle, mais mieux la connaître via cet ouvrage, c’est aussi mieux la comprendre.
[Xavier Fournier]Disney ou l’avenir en couleur, par Christian Chelebourg, aux éditions les Impressions Nouvelles (22 euros), déjà disponible.
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