Après la neutralisation apparente du Punisher et l’arrivée d’Elektra, Daredevil doit faire face à la vraie menace de la saison, une organisation japonaise pire que les Yakusas, dont on apprendra bien vite qu’il s’agît de la Main. Jusque-là c’est normal, c’est même attendu puisque la Main est une partie essentielle du run de Frank Miller sur Daredevil et fait partie du destin d’Elektra. On a d’ailleurs droit à une assez bonne entrée en matière (poursuite dans la rue avec des hordes de ninjas attaquant depuis les toits). Ce n’est pas aussi graphique que cela pourrait l’être (en lorgnant un peu sur Sin City ou 300) mais d’un autre côté il faut aussi tenir le ton habituel de la série TV. Cela n’empêche pas la Main d’être efficace, en particulier un peu plus tard, pendant l’attaque d’un hôpital. Le problème posé par la Main se situe à un autre niveau.
D’abord les auteurs du show ont décidé de se passer de Kirigi (le gros ninja démoniaque qui nécessitait que DD et Elektra s’allient pour lui résister). Il est remplacé au pied levé par une vieille connaissance, qui a à peu près les mêmes fonctions mais pas la même stature. Kirigi, dans les comics, c’est un peu la Montagne dans Game of Thrones, une armoire à glace. Le personnage qui le remplace à l’écran n’en impose pas autant. Et plus on avance dans cette partie de la saison, plus on se dit qu’il manque un « boss de niveau » notable. Cela ne veut pas dire que le patron de la Main ne se bat pas de manière spectaculaire… mais cependant moins qu’on aurait pu le croire. Et surtout les combats, généralement bien réglés, sauf le dernier, semblent accaparer de manière croissante la production. C’est-à-dire que dans des scènes entières (notamment le combat sur le toit dans l’épisode 13) on a l’impression que l’on pose la caméra, qu’on ne raisonne plus en « cadrages » mais qu’on laisse la bataille se dérouler.
Si vous avez aimé le début de la saison, il y a des chances que vous aimiez la seconde, d’abord parce qu’elle respecte la tonalité. Ensuite parce qu’il y a de bons moments, de vraies fulgurances. Certains tiqueront un peu sur le taux d’hémoglobine mais enfin quand on invite le Punisher à sa table, on ne s’étonne pas d’être éclaboussé (et puis finalement ça reste moins gore qu’un Walking Dead). Dans la liste des bonnes surprises, il y a aussi quelques retrouvailles : Les créateurs avaient réussi à garder secret le retour de Wilson Fisk (Vincent d’Onofrio). Présent dans deux épisodes, l’acteur s’impose encore comme le choix évident pour celui qui se fait désormais appeler « Le Caïd ». Sa rencontre avec Matt Murdock est brutale. Elle présage de ce qui pourrait arriver dans la saison 3 (ou plus tard ?) : la destruction de Murdock comme l’a fait le Caïd dans la saga « Born Again »… Une aventure qui collerait parfaitement au ton de la série TV.
La série continue de multiplier les allusions à un monde partagé. Par exemple, Foggy rencontre une consœur qu’on a pu voir dans Jessica Jones. Ou encore, Donovan (l’avocat de Fisk) qui est dans les comics, un personnage lié Luke Cage et à Claire Temple. Le reverrons-nous dans la troisième série Marvel prévue en septembre ? Par contre, dommage que Claire ne parle pas de l’existence de Jessica, une super héroïne qui pourrait donner un sérieux coup de main à notre héros dans son combat face à la Main. C’est un peu comme quand si un incendie se déclarait en ville et que Claire « oublie » qu’elle a le numéro des pompiers. Par contre en ce qui la concerne, la série la laisse dans une situation nouvelle et il sera intéressant de voir dans quelles conditions on la reverra.
Tout ça va dans le bon sens, donc, mais par ailleurs on a l’impression que, d’une manière croissante sur les deux ou trois derniers épisodes, les auteurs cessent de se demander comment tel personnage fait-ci ou ça, ce qui mène à quelques raccourcis gênants. Un exemple ? Dans un moment crucial, le Punisher est sur le bon toit, embusqué, prêt à tirer sur certains bad guys. Que la radio de la police lui donne la bonne adresse, ok. Mais comment savait-il que l’action se déroulerait à découvert et sur quel toit monter pour avoir le bon angle ? Et pourquoi tirer sur seulement certains personnages et pas tous (oui, on sait, s’il faisait ça la saison se terminerait plus rapidement). On reste aussi songeur sur certains éléments. Prendre une balle perdue, ok. Une « lame perdue » par contre, dans les conditions décrites, c’est un peu dur à admettre.
Dans la saison 1, on expliquait brièvement les pouvoirs de Matt. Une demi-seconde montrait la vision « radar » du héros (il voit un monde en flamme). Du coup, on a l’impression que son seul superpouvoir est une super-ouïe (et encore, la plupart du temps, à part une scène où il tente d’isoler un bruit dans la ville, on nous montrerait simplement quelqu’un en train de tendre l’oreille qu’on ne le filmerait pas autrement. Sur ces épisodes, il n’utilise jamais son sens du toucher ou du goût, par exemple. Et on aurait aimé voir plus en détail le sens radar. Mais peut-être s’est-on dit qu’après les épisodes traitants de sa désorientation sensorielle on avait déjà le quota. Au moins, l’arrivée du « billy club » (sa canne de combat) donne un côté « super-héros » au personnage, semblant promettre une manière plus dynamique de se déplacer dans les saisons à venir.
Par contre, sur la fin, c’est un peu Noël pour les principaux personnages qui semble gagner gadget et costume dans les dernières scènes, un peu comme si d’un seul coup la production s’était souvenue qu’elle avait basé sa communication sur certaines apparences jusque-là absentes des épisodes. On pourrait presque imaginer les assistants en train de crier « vite, il ne nous reste que quelques minutes ». Ainsi, Elektra récolte son nouveau costume (celui des affiches) de façon un peu speed (mais logique). Finalement ce n’est pas si Mortal Kombat que les affiches le laissaient penser. Elle ressemble par contre plus à Psylocke qu’à Elektra. Pour le Punisher, on rushe encore un peu plus. On le verra avec son « crâne » mais ses motivations pour ce nouveau totem restent floues. Malgré un homérique passage en prison, Frank Castle passe au second plan pour laisser la vedette à Elektra, à la Main et à Stick… Et, comme nous l’avions écrit plus tôt, scénaristiquement parlant, dans le cadre de cette série, Elektra n’est tout simplement pas une locomotive aussi puissante que Castle. A plus forte raison parce que dans cette seconde partie on continue de simplifier son background. Ce n’est pas une tueuse proprement dit mais une voleuse qui ne rechigne pas à tuer. Personne ne parle d’embaucher Elektra pour tuer quelqu’un par exemple. Et là où celle des comics devait se poser des problèmes de conscience au moment de tuer Urich ou Nelson, celle-ci est un peu plus « gentille ».
La série n’est pas sans incohérences/facilités. Tout d’abord, pourquoi Elektra doit-elle montrer avec tant d’insistance qu’elle parle français ? Ok, Elodie Yung est française. Mais certaines choses semblent forcées. Par exemple, déjà quand Matt et elle parlaient en arrivant à la villa de Sweeney, ils discutent en français. Hors dans la saison 1, Foggy fait remarquer à Matt (dans l’épisode 11) que ce dernier apprend l’espagnol à la fac à cause de la fille grecque qui lui court après. Cette fois c’est plus logique, puisqu’un français s’adresse à elle (libre à vous d’y reconnaître un personnage qui peut tout aussi bien être le Swordsman que le chauffeur de Moon Knight, son nom est assez ambigu, entre les deux, pour qu’on imagine tout et son contraire). Et comme le personnage est un tueur à gage, on en est à se demander si ce n’est pas plutôt une sorte de proto-Bullseye que l’on nous agite sous le nez.
Autre problème de scénario : Karen Page est placée sous protection judiciaire renforcée car le Punisher pourrait la tuer. OK mais pourquoi les deux flics qui l’accompagnent (alors que les 2 précédents sont morts) la laissent seule chez elle et font le guet devant l’entrée de l’immeuble ? Deux hommes ça n’a pas suffit, on n’a qu’à reprendre le même dispositif et même mieux, cette fois demander aux hommes de ne pas surveiller l’intégralité des issues ! Facile pour Karen de disparaître ou d’être enlevée…. On compare souvent Arrow à Batman, et pour cause, certains personnages ou intrigues de la série sont très proches du monde de l’homme chauve-souris. Daredevil emprunte aussi à l’univers DC. Et pas pour des raisons puisées dans le voisinage des justiciers urbains. Par exemple, quand on voit l’évolution de Karen, on peut s’empêcher de penser à Lois Lane. La relation entre Murdock et l’inspecteur Mahoney n’est pas sans rappeler la relation Batman/Gordon.
Pour autant il faut bien dire que l’évocation du métier de journalisme tel que décrit dans les derniers épisodes de la série nous aura bien fait rire à la rédaction. Sans doute ne faut-il pas trop en demander. Dans notre chronique de la première partie de la saison nous évoquions les méthodes très particulières de Karen, qui sonnaient comme autant de vices de formes. Là, quand on voit la personne qui remplace Ben Urich se mettre au travail et pondre son premier « papier », quand même, le coup de « je ne sais pas quoi écrire aujourd’hui, tiens si je faisais un article sur l’héroïsme en sortant des banalités digne d’une rédac de collégien de 14 ans ? »… Ça laisse rêveur.
Qu’on ne s’y trompe pas : A notre avis Daredevil est l’une des meilleures séries de super-héros à la TV du moment (et elles commencent à être quelques-unes, donc le résultat n’est pas rien). La cible des séries Netflix est également plus âgée, plus mature. Mais sur la fin de saison, on sent comme une incapacité de réaliser tout son potentiel. Cela n’a rien à voir avec la technique ou les moyens, mais bien avec des faiblesses de réalisation ou d’écriture qui font que, bien que le niveau soit généralement excellent, on termine avec quelques facilités et raccourcis qui semblent plus du registre des gesticulations de Legends of Tomorrow. C’est d’autant plus rageant quand on connaît le matériau d’origine. Si l’adaptation du Punisher est pratiquement parfaite, les changements sur l’intrigue de la Main et d’Elektra ne renforcent pas, ils amoindrissent. Bonne série mais peut mieux faire, certainement.
[Pierre Bisson & Xavier Fournier]
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