Moon Knight – Episodes 1 à 4
29 mars 2022C’est ce mercredi que Moon Knight, le justicier schizophrène de Marvel, fait ses débuts sur Disney+. Pas de prologue dans d’autres séries ou films du MCU : on démarre donc sans trop savoir où l’on tombe. Et c’est exactement là dessus que comptent les auteurs pour nous raconter une histoire où même le héros ne sait plus quoi croire. Notre avis après avoir vu les quatre premiers épisodes de cette nouvelle série..
https://youtu.be/OKaUa5FcuxI
Steven Grant est un employé de musée, serviable, trop gentil au point où il se fait souvent marcher sur les pieds par ses collègues. Il faut dire que Steven a un problème qui lui ruine ses nuits. Il a des « absences », des crises de somnambulisme qui font qui lui faut s’attacher la nuit pour être certain de ne pas disparaître dieu sait où. D’autant que parfois il ne se réveille que trois jours plus tard. En fait, il cohabite dans ce corps avec Marc, une autre conscience, elle pas du tout « gentille » et qui mène une existence bien plus aventureuse. Mais est-ce que c’est Steven qui rêve de Marc ou bien Marc qui rêve de Steven ? Et encore. Ce dédoublement de personnalité pourrait presque passer pour « normal » par rapport à certaines hallucinations. Steven entend aussi la voix d’une entité, une étrange créature dont le visage est un crâne d’oiseau, qui essaie de lui donner des ordres. Le petit employé de bureau va de panique en panique quand il découvre que les actions de Marc lui ont attiré la colère d’une sorte de secte internationale dirigée par Arthur Harrow, qui lui semble très bien savoir ce qui se passe…
Moon Knight, création à la base de Doug Moench et Don Perlin, arrive donc sur Disney+ ce mercredi et, par la même occasion fait son entrée dans « l’univers cinématique Marvel ». Mais il faut le dire vite. Car, contrairement aux autres séries et films du MCU jusqu’ici, les mésaventures de Steven Grant/Marc Spector/Moon Knight n’intègrent pas la moindre référence aux « chapitres » qui ont précédé. On ne s’arrête pas pour nous parler du traumatisme de la bataille de New York, pour nous parler du retour de la moitié de l’humanité ou de l’existence du S.H.I.E.L.D. Moon Knight, en tout cas sur les quatre épisodes qu’on nous a laissé voir, est auto contenu, bien plus encore qu’Eternals ou les anciennes séries Marvel lancées sur Netflix. Et paradoxalement cela en fait un point d’entrée idéal pour ceux qui ne veulent pas en prendre pour plus de 20 films avant de comprendre les références. Et cela va dans le sens du projet puisque Moon Knight n’est pas une « origin story » conventionnelle mais plutôt une « definition story », c’est à dire que les premiers épisodes (les deux premiers en particulier) s’emploient à nous montrer comment ça marche, comment fonctionne Steven Grant, quelles sont ses problématiques, ses avantages et ses points faibles.
Facile d’accès, donc, pour qui n’a pas vu un film Marvel jusqu’ici. OK. Mais inversement la série de Disney+ a clairement « fait ses classes » tant ses emprunts à la mythologie de Moon Knight balayent des décennies d’existence. Les fans de longue date rechigneront sur quelques absents. Il n’y pas de Marlène (la fiancée classique du héros), remplacée ici par une certaine Layla qui occupe en partie le même rôle. Pas (ou presque pas, pour les yeux les plus aiguisés) de Frenchie, le pilote français, confident et ami, l’équivalent pour Moon Knight de l’Alfred de Batman. Tiens, le nom est lâché. Batman. Pour qui a lu les premières décennies de la BD, la question de savoir si Moon Knight est le Batman de Marvel est depuis longtemps posée. Avec cette difficulté supplémentaire que Moon Knight n’est pas le premier pour qui on se questionne. Daredevil était déjà passé par là, pour les comics aussi bien pour l’écran désormais. Aussi, ce n’est pas la route qui a été prise ici. Le scénario de Jeremy Slater laisse la part belle à des sources autres que le poncif du « justicier urbain ». Au contraire on privilégie les racines mythiques du personnage (en puisant essentiellement dans le second volume de la BD, Fist of Konshu, d’où est aussi tiré le personnage d’Harrow). La série TV met également l’accent sur des influences beaucoup plus récentes, comme le Moon Knight de Jeff Lemire et Greg Smallwood. Au chapitre du récent, il faut aussi citer des emprunts au Moon Knight dessiné par Declan Shalvey. A noter le fait que le scénariste qui travaillait avec Shalvey, Warren Ellis, touché par un scandale ces dernières années, a été tenu à l’écart des crédits de remerciement. C’est de bonne guerre cependant car les emprunts se limitent aux éléments visuels de Shalvey et pas vraiment aux idées scénaristiques d’Ellis. A noter aussi que la gestion visuelle des costumes (qu’on invoque ou qui se matérialise en cas de danger) à quelque chose d’un Spawn. Pour le coup, là aussi les auteurs sont allés puisés dans le deuxième volume (« Fist of Konshu ») de la BD et dans Earth X, où Moon Knight apparaissait déjà bardé de bandelettes.
Moon Knight est porté par un casting efficace. Sans en faire des tonnes, Oscar Isaac joue ce qu’il faut sur les accents (les épisodes mis a disposition de la presse étaient en anglais, cela peut varier dans la VF) et l’on repère généralement assez facilement qui de Steven ou de Marc est aux commandes (ou à défaut il s’agit de moments où le héros lui-même se sent perdu). Encore que la formule est en constante évolution et que, par la force des choses, les épisodes que nous n’avons pas vu en service presse peuvent laisser une marge de progression (ou de marche arrière). Ethan Hawke, tout en dureté fanatique, donne aussi de la substance, de la texture, à un méchant qu’il fait bon ne pas surjouer. Quand le propre du héros est de s’éparpiller, l’adversaire a tout à gagner à incarner une certaine rigueur. Et dès les premières minutes on comprend qu’Harrow n’est pas là pour rigoler, comme une sorte d’anti-Joker. La tâche est beaucoup plus compliquée pour May Calamawy, le rôle féminin principal, dans le sens où elle a peu de matière scénaristique à travailler. Elle est comme ces personnages d’aide des jeux vidéos, venue distiller quelques informations, énoncer des questions. Mais en définitive l’actrice pourrait être interchangeable. Ce qui veut dire que son interprétation de Layla, a défaut de transformer les choses, ne ruine pas l’ensemble. Enfin, il faut aussi évoquer au bout de quelques épisodes le petit rôle tenu par l’acteur français Gaspard Ulliel dans l’une de ses dernières apparitions à l’écran.
On a donc un Moon Knight qui, tout en faisant l’impasse (au moins sur les quatre premiers épisodes) sur des éléments classiques comme Marlène ou Jake Lockley, donne cependant des gages aussi bien aux fans de (très) longue date qu’à ceux qui ne le connaissent que dans son aspect moderne. Série bien barrée où le héros se demande régulièrement si ce qu’il vient de voir est réel ou s’il imagine, s’il est dans un rêve ou éveillé, le Moon Knight de Disney+ n’est certainement pas Batman. Il se dirige plus, pour les quatre épisodes que l’on a pu voir, vers quelque chose qui se rapprocherait de la série TV Legion, avec peut être un peu moins de folie dans la production mais quelque chose de vraiment attachant. Moon Knight est le premier projet Marvel de Disney+ qui ne soit pas un dérivé direct ou indirect des Avengers ou une variation d’un personnage existant (tandis que Ms. Marvel, par exemple, peut se rattacher à Captain Marvel). C’est un « loup solitaire », un « lone wolf », dans un univers partagé. Difficile de savoir si le grand public suivra ou pas dans la même mesure ce héros inconnu.
Mais là où certaines séries précédentes étaient des exercices de genre très codés au point d’être prévisibles (on se doutait dès les premières minutes que tout se finirait autour d’un repas de Noël réunissant les deux héros principaux), Moon Knight est une page blanche. Moon Knight a quelque chose d’une version psyché de « The Bourne Identity/La Mémoire dans la peau ». Sauf que l’agent Bourne, lui, ne croisait pas de dieu égyptien. Un vrai ajout efficace à l’univers Marvel, avec l’apport, mine de rien, d’un autre panthéon que les dieux nordiques (à part bien sûr si Steven a tout inventé). Ce n’est pas totalement le Moon Knight des comics mais tous les gages nécessaires sont là et, à partir de ce préambule, il y aurait bien des choses à faire. On souhaite donc longue vie à cette incarnation de Moon Knight (et si en cours de route on nous rajoute Frenchie et Jake, ce ne serait pas un mal). Moon Knight fera que vous vous demanderez parfois ce qui se passe (et sans doute encore plus si vous n’êtes pas familier des détails du comic-book), un peu à la manière des premiers épisodes de Wandavision mais dans une ambiance bien différente. Et pour le coup jusqu’au « cliffhanger » de l’épisode 4 inclus, la série reste imprévisible.
[Xavier Fournier]