Review : Batman V Superman: Dawn of Justice

Review : Batman V Superman: Dawn of Justice

23 mars 2016 Non Par Xavier Fournier

Review : Batman V Superman: Dawn of Justice[FRENCH] Annoncé comme « Le combat du siècle » mais surtout un jalon important de la construction de l’univers DC au cinéma, Batman V Superman réuni, il est vrai, plusieurs super-personnages à l’écran. Et pas que deux. Mais « combat du siècle », pas tant que ça tant le duel tant annoncé tient une place limitée, laissant la place à un large préambule dans lequel Snyder laisse éclater son habituelle pornographie de la violence et ses raisonnements sur l’Etre Supérieur, quel qu’il soit. Peut-on réellement construire un univers quand on file les clés à un forcené de la destruction ?

Peut-être il nécessaire, avant de nous lancer dans cette review, de préciser que j’avais bien aimé une grosse partie de Man of Steel, en particulier le début et une certaine atmosphère de Krypton, exposée comme rarement au cinéma ou même dans les comics. Ce n’était pas parfait mais, pour moi c’est surtout sur la fin que cela se corsait. Batman V Superman, c’est à la fois un Man of Steel II informel et le retour sur le grand écran de Batman. Donc à priori pas de panique sur le plan commercial, ce serait quand même étonnant, voire indigne, si le film ne rapportait pas largement plus qu’il n’a coûté. Batman ? Il est d’ailleurs bien campé, bien « mis en chair », par Ben Affleck en Bruce Wayne vieillissant, sortant de sa bat-retraite et renforcé par un Jeremy Irons excellent en Alfred. Snyder démarre le film par les yeux de Wayne, à la fois avec un mélange qui évoque un peu Batman Year One ou même le Batman de Nolan, un bref aperçu des origines avant d’aller voir ce que ce héros a pensé de la « bataille de Métropolis ». Déjà, quelque part là-dedans, il y a un passage qui m’a fait dire « on est mal ! » mais j’y reviendrai. Warner et Snyder (et David Goyer, responsable du scénario) ayant visiblement tenu compte des critiques sur le manque de prise en compte des victimes humaines dans les dernières scènes de Man of Steel, elles sont proprement le nerf de la guerre dans la première partie du film. D’ailleurs c’est un aspect largement évoqué dans les trailers et dans les bandes annonces, alors disons-le simplement, Bruce Wayne tient Superman pour responsable d’une partie des destructions ce jour-là. Pendant ce temps Superman continue de sauver le monde (en particulier sa chère Lois), dans un contexte où l’opinion publique lui est favorable (on lui dresse des statues géantes) tandis que les politiques, eux, trouvent qu’il abuse un peu, que ses efforts ne font que créer de nouveaux problèmes et qu’il serait bon d’y mettre des règles, voir de le stopper.

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ANTI-SUPER

Sur ces grandes lignes, pas de problème. C’est un modèle éprouvé, non seulement chez la concurrence mais aussi chez DC Comics, dans les BD d’origines. Ce qui cloche, assez vite, c’est qu’à aucun moment Superman ne va réellement pouvoir développer sa version des faits, sa « défense », Snyder préférant égrainer des figures rhétoriques et politiques qui lui sont chères. Soyons clairs : Superman a connu quand même quelques opus qui, qualitativement, étaient quand même assez particuliers (Superman IV: The Quest For Peace ?). Techniquement on est bien sur des années-lumière au-dessus de ces errances. Mais je crois que je suis rarement sorti aussi consterné d’une projection d’un film de super-héros pour la philosophie qu’il diffuse. Car encore et toujours Snyder et son équipe se prennent les pieds dans le tapis en confondant deux notions : le surhomme de Nietzsche et le « superhomme ». Le premier, tel que décrit par le philosophe allemand, est un être supérieur qui se détache de nous et peine à nous regarder autrement que comme des fourmis. Le second est un super-samaritain qui va tout faire pour ne laisser personne (ou un minimum de gens) derrière. Or, des super-héros, vous n’en trouverez pas vraiment dans Batman v Superman. Là-dessus, Snyder n’avait pas menti quand, dans le sillage de l’échec des Fantastiques de la Fox, il se défendait de faire des films de super-héros…

Snyder fait des films en suivant la définition de Nietzsche. Sans doute est-ce pour cela d’ailleurs qu’il a dans Batman v Superman autant de dédain envers des éléments comme les identités civiles, choses « trop humaines » pour le modèle qu’il utilise. Pareil pour la vie de couple de Lois/Clark. La fin de Man of Steel nous laissait espérer un cas de figure rarement vu au cinéma, Superman en ménage avec une femme qui sait qui il est. Au lieu de cela, à part une scène dans leur salle de bain, la majeure partie du film se déroulerait de la même manière si le couple ne partageait pas ses secrets. Les super-héros sont, il faut le reconnaître, un genre essentiellement naïf, de « l’escapisme » comme disent les anglo-saxons. On espère (tout en étant pas dupe) en des personnes meilleures que nous, pas simplement plus fortes ou plus puissantes, parce qu’elles symbolisent une moralité plus élevée que ce que nous propose le quotidien.

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NO ONE IS INNOCENT

Dans la sphère de Snyder, au contraire, personne n’est innocent. C’est martelé en plusieurs endroits du film et illustré de différentes manières. Quand Lois Lane explique qu’elle ignore quelque chose, son interlocuteur lui explique que l’ignorance n’est pas l’innocence et ainsi de suite. Et on va retrouver, distillé ainsi, sous une forme ou une autre, la philosophie très particulière du père Kent dans Man of Steel « Attention mon gars, hein, gaspille pas tes talents à faire le bien, les gens ne te méritent pas, je dis ça, hein, c’est pour ton bien ». Perry White n’agit pas autrement quand il se fout de la gueule de Clark, qui veut faire un article sur les gens de Gotham, ville proche mais visiblement socialement moins élevée que Gotham : « On n’est plus en 1938 » beugle le rédacteur-en-chef qui ne pense l’information qu’en termes de « ça fait vendre » (ne manque plus qu’un gros sous-titre « bon sang on vous l’a dit est répété personne n’est innocent »)… et envoie aussi au public initié ce message : Ne venez pas nous enquiquiner avec votre Superman classique les gars, le monde a changé.

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L’ESPOIR ? ET PUIS QUOI ENCORE ?

Alors, vaguement, oui, quelque part dans le film, on nous concédera bien le fait que le « S » sur la poitrine du héros veut dire « espoir » mais on l’oubliera bien vite. De même que le Superman de 1939 se serait arrangé pour sauver Métropolis à la fin de Man of Steel et réexpédier Zod dans la Zone Fantôme, il n’attendrait pas, ici, que trois ou quatre personnes se soient fait tirer dessus avant d’intervenir pour sauver la seule Lois Lane. Soyons honnête : C’est tempéré par d’autres scènes où il sauve de parfaits inconnus (une jeune fille d’un incendie, des naufragés, des victimes d’inondations) mais seulement dans la mesure où ces scènes servent une mise en scène christique. Alors disons-le bien, chez Superman il y a des éléments bibliques dès 1938, c’est un fait. Mais là, quand-même, c’est du délire, avec des personnages multipliant les « visions », les « rêves éveillés », les « messages de l’au-delà ». Au moins quand il y avait l’hologramme de Jor-El, cela s’expliquait. Là, Snyder reprend des mises en scènes de « miracles », Bruce Wayne voit du sang couler de nulle part et ainsi de suite. Et puis des fois vous avez des « combos », des visions du futur mais attention elles sont elles-mêmes dans une vision.

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HOLY BAT-SADIQUE !

Franchement, dès la scène où Bruce se remémore sa découverte de la batcave, avec des intonations mystiques, c’est là que je me suis dit « Aïe, on est mal ». On est chez les illuminés. On nous parle d’anges, de dieux… et pis allez, regardez, quand on voit un personnage retirer de l’argent à Paris, il faut au moins que cela se passe « rue des Saints » sinon il semble que le clou n’était pas assez enfoncé ! Les symboles christiques se succèdent pratiquement jusqu’à la dernière image du film. Et si Batman, personnage plus « noir », se prête mieux aux visions tortueuses de Snyder, il n’échappe pas à ce noircissement, à ce côté « ancien testament ». Parce que voyez-vous, quand même il faut le dire : ce Batman-là est un sadique qui marque ses adversaires au fer rouge (!), quand il ne se contente pas de les exploser (au sens littéral). Quand c’est Deadpool qui fait ça, OK, mais là ce n’est juste pas le personnage. Donc on a essayé de d’atténuer la fin de Man of Steel et/ou le Superman qui tuait Zod (moment très moyennement perçu) pour voir débarquer un Batman qui envisage assez facilement de tuer, au-delà du cadre de la légitime défense. Le but du film étant assez simple : Batman veut tuer Superman. Bien entendu il ne fera pas, mais après cet étalage de cynisme, les conditions totalement « fleur bleue » d’un revirement en l’espace de quelques minutes, façon « hé mais on est amis maintenant », nous permettent de faire un peu de gym en pratiquant un facepalm de circonstance.

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LUTHOR THE JOKE

En sortant du film, quelqu’un me disait que si j’étais énervé (et j’ai d’ailleurs préféré attendre quelques heures que ça passe, je vous laisse imaginer), c’est sans doute que je suis un lecteur de longue date de comics et qu’un public ne lisant pas les comics n’en tirerait pas la même expérience. Et c’est vrai. Mais à ce compte-là, allons trouver un public qui n’a jamais lu les Trois Mousquetaires et vendons-leur les aventures de trois tortionnaires torturés qu’Alexandre Dumas n’aurait pas reconnu. C’est à peu près pareil. C’est philosophiquement une trahison de Superman (et aussi de Batman, bien que ce soit un peu moins criant, sans doute). Là où ils sont, Siegel et Shuster doivent hausser les sourcils. Et puisqu’on lancé dans cette direction, allons-y gaîment : quelqu’un a fait une vacherie à Jesse Eisenberg en lui faisant croire qu’il jouait le Joker. Sans doute qu’ils lui ont raconté qu’ils lui rajouteraient les cheveux verts et le visage blanc par effets numériques au montage. Je caricature, bien sûr, mais cette espèce de guignol hyperactif gesticule plus comme le clown du crime que comme Lex Luthor. Là, sérieusement, on a envie de revenir à la version de Kevin Spacey plutôt qu’à ce « génie » qui en impose assez peu. Pour le coup, Doomsday est plus massif et puis, étant à l’origine d’une nature brutale, il convient mieux à l’univers dépeint par Snyder. Dès que la bête entre dans l’arène, le réalisateur peut y aller, se lancer à nouveau dans un combat étourdissant duquel, à un moment l’attention se déconnecte. Dans Man of Steel il y avait un peu ça, avec deux combats trop longs (Smallville puis Metropolis), là, la bonne nouvelle est que l’effet est plus concentré sur la bagarre contre Doomsday, mais ça reste un bombardement d’éclairs et de coups de poing. A un moment on en vient à attendre que ça se passe.

AU FIL DE L’AMAZONE

A un certain niveau, Batman V Superman, c’est les défauts d’Amazing Spider-Man II (si vous avez aimé les scènes cinématiques sorties d’un jeu vidéo dans une centrale électrique dénuée de toute logique, vous aimerez les mêmes scènes cinématiques basées cette fois ci dans un port déserté) et d’Age of Ultron (l’empilement de personnages qui apparaissent d’une scène à l’autre, souvent sans trop de sens). Reste qu’à l’image d’Age of Ultron il y a bien quelques moments de grâce isolé. Et ici, donc, l’équivalent de la naissance de la Vision, ce serait l’intervention réelle de Diana. C’est une vraie bouffée d’air, après une éternité où Snyder s’amusait à nous dire « tu vois ce que j’en fais de tes héros ? ». Les deux mâles ayant relativement perdu leur direction, l’amazone prend immédiatement le leadership. D’abord parce qu’elle ne respire pas le doute, elle, et qu’elle n’est en définitive violente qu’envers un monstre gros comme un immeuble et qu’on comprend bien qu’elle ne lui fasse pas de cadeau. Quoi que sera au final la perception générale de Batman V Superman, je pense que Diana en sort indemne et que l’envie de la voir dans un film solo est bien là. Pour le coup ce n’est pas la Wonder Woman classique non plus. Elle a l’épée, elle tranche dans le vif, mais le contexte l’explique, le nécessite. On ne respecte pas forcément les comics (par exemple elle n’est pas arrivée dans « le monde des hommes dans les mêmes conditions) mais globalement cela semble aller dans le sens d’une expansion de sa mythologie. Batman semble instinctivement la respecter (même s’il se trompe un peu d’abord sur le type de femme qu’elle est). Ce n’est pas la seule « future leagueuse » mentionnée dans le film, d’autres étant référencés de façons diverses. Là pour le coup une des « visions » de Batman trouve un sens, une fonction, qui résonne avec un certain langage des comics. Mais c’est bref. Et surtout je ne peux pas dire que cela rassure vraiment pour l’avenir. Et je souhaite bien du courage, vraiment, à la branche BD ou à Urban pour essayer de marketer Superman en tirant partie de ce film.

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IDEOLOGIE

Je vous parlais des défauts d’Amazing Spider-Man II et ceux d’Age of Ultron et vous me direz (et vous auriez raison si ce n’était que ça) que j’ai pas accueilli si vertement ces deux films. Mais c’est qu’au delà de l’écriture bâclée et des erreurs de logique qui sont assez généralisés à Hollywood (et ça ne se limite pas aux films de super-héros, contrairement à ce qu’affirme une certaine sphère), le vrai souci se situe à un étage politique, idéologique et philosophique. Snyder traite ses héros comme des antihéros. C’est aussi simple que ça. Cela fonctionnait plus ou moins sur des projets comme Watchmen ou 300 parce que justement ce qu’étaient les personnages dans l’histoire. Mais il est arrivé sur des figures comme Superman ou Batman et il n’a pas changé de logiciel. Et tant pis si tu lisais les comics, mec, reste pas là, on n’est plus en 1938, tu ne vois pas qu’on s’adresse à un public qui ne verra pas qu’on ne lui décrit pas la vraie philosophie de ces créatures ? Sur Batman, la casse est limitée. Il suffira toujours de dire lors d’une autre rencontre qu’il a changé ses méthodes. Et Wonder Woman, croisée plusieurs fois dans le film mais « active » surtout sur la fin, en sort avant d’avoir pu être malmenée. Mais Superman, lui, est passé sous un bulldozer moral, comme enfermé dans une boite qui n’est pas la sienne, simplement parce que Snyder en a décidé ainsi. Et là se pose le vrai problème : imaginez l’univers Marvel si l’on tentait de le cristalliser à partir d’Age of Ultron en rajoutant des relents qui puent et en se plantant sur ce que représente une des icônes des Avengers (mettons Captain America).

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GLAUQUE

Batman V Superman semblait s’être donné pour mission d’expliquer et/ou d’adoucir le constat des scènes finales de Man of Steel. Va-t’il-falloir faire un troisième film dans lequel Snyder s’excusera pour ses sorties de route de BvS avant d’en rajouter encore une fois ? Et plus encore ce qui est à craindre c’est cette « noircissure généralisée » du tableau, alors que Snyder est considéré comme l’architecte/coordinateur de l’univers cinématographique de DC. Est-ce que j’ai envie de voir un Flash trempé dans la même sauce de lieux communs sur les dieux, le libre-arbitre et la violence ? Est-ce que si c’est pour faire ça, cela n’aurait pas plus de sens de demander à Snyder d’adapter The Authority ? Parce que sinon, en sortant de BvS, disons-le franchement, je serais plutôt d’avis de ne plus jamais laisser Snyder s’approcher d’un film de super-héros. Je parle bien sûr dans le vide, il est évident qu’avec le tournage de la Justice League qui commence le mois prochain, on y aura droit. Régulièrement, dans les cas de sorties de films basés sur les comics, je tombe sur des gens qui ne connaissent pas vraiment les super-héros et crient à l’invasion de personnages fascisants et violents, glauques. Tandis que Snyder règle ses comptes avec les figures divines alors que ce n’est pas l’endroit, Batman V Superman: Dawn of Justice (ou est la justice là-dedans ?) ressemble pour la plus grande partie à la matérialisation de ce fantasme. Heureusement que Suicide Squad semble annoncer un second degré qui fait ici cruellement défaut…

[Xavier Fournier]