Il y a de cela des décennies Peter Quill (Chris Pratt) a quitté la Terre. Il en garde pour principal souvenir une compilation de chansons lui venant de sa mère. Devenu le « légendaire » Star-Lord, l’homme écume l’espace à la recherche d’un mauvais coup à faire, en se passant en boucle les chansons. Un jour, il se montre plus ambitieux, décide de griller la politesse à son mentor et de s’emparer d’un talisman que beaucoup de gens recherchent. Ce geste lui vaut d’avoir sa tête mise à prix. Il doit se confronter aux pires canailles de l’univers. Le truc, c’est qu’avec ses habitudes terriennes et ses métaphores, Star-Lord est une énigme dans une galaxie où la plupart des races ne maîtrisent pas le second degré. D’où une sorte de tourbillon relationnel dès que Peter Quill ouvre sa bouche. Les trois quarts du temps les autres personnages se demandent ouvertement s’il a du cran ou si c’est le pire imbécile qu’ils ont croisé. Du one-liner ? Il en pleut à gogo. Mais c’est un humour un peu différent de celui que l’on a pu connaître dans les livraisons précédentes de Marvel Studios. Ici, on toucherait presque aux Monty Python dans le sens où l’humour repose souvent sur du non-sens, sur le fait que les décisions d’un personnage sont incompréhensibles pour un autre. Le focus est inversé par rapport à bon nombre de films de science-fiction. Ce n’est pas à l’humain de se faire à l’alien (Peter Quill est très à son aise dans l’espace) mais bien le contraire, Drax (Dave Bautista) et les autres ne cessant de tiquer à la moindre parole de leur compagnon d’armes.
Dans un contexte où de plus en plus de gens prennent tout au premier degré, je m’attends à en voir débouler pour nous dire que les Gardiens de la Galaxie sont la glorification de la bêtise (voire même de la bêtise américaine), dans le sens où le QI des principaux personnages ne vole pas bien haut. En fait, pendant une bonne partie du film le réalisateur James Gunn lui-même émet un méta-commentaire sur la nature de son histoire, quand certains de ses personnages eux-mêmes expliquent qu’il s’agit de forcer les gens avec un « balai dans le cul » (sic) à s’amuser. Gunn trouve même pour l’exprimer ce qui est sans doute la référence la plus inattendue dans une histoire aussi cosmique. En clair : Vous prenez les Gardiens comme vous voulez mais il s’agit de s’amuser. Et si vous n’avez pas envie de vous laisser aller un bon coup, alors vous vous êtes trompé de film. Les cinq Gardiens de la Galaxie sont, d’une certaine manière, des clowns Auguste, des pantins qui s’assument, qui apprennent à s’amuser ensemble. Et les méchants de service sont ceux qui ne veulent pas jouer avec les autres, ne pas apprendre à s’amuser. Dans un film qui introduit, présente et construit ses principaux héros, les « bad guys » passent du coup au second plan en matière de charisme. N’attendez pas de Ronan qu’il prenne la place d’un Loki dans l’univers « cinématique » de Marvel. Il tient beaucoup plus d’un Malekith (sauce Darth Vader du pauvre), c’est-à-dire d’un vilain sacrifiable (et sacrifié) sur l’autel du contexte général. Le Collectionneur et Nebula ne s’en tirent pas mieux. Et les acteurs concernés n’y sont pas pour grand-chose, ce sont les rôles qui sont écrits ainsi et qui leur laissent peu de marge, là où Star-Lord, Rocket et les autres ont un festival de one-liners ou même d’expressions faciales à leur service. Il est dur d’arracher le moindre rictus à Ronan ou à Nebula. Mais il est intéressant de noter que – si vous regardez bien – le seul méchant qui sourit en coin… est à l’évidence celui pour qui Marvel a le plus d’ambitions sur le long terme.
Reste les « arrangements » avec l’essence des personnages. Il y a dans la Gamora ici incarnée par Zoe Saldana) de Jim Starlin une noirceur, une mélancolie morbide, qui est absente dans celle du film. De la même manière, le Drax que l’on voit à l’écran s’exprime d’une manière différente que le personnage des comics ces dernières années. Encore que ce côté borné peut faire penser à certaines autres incarnations du héros (je pense à la version paumée que Starlin avait ramené dans les pages du Silver Surfer). On peut se demander aussi pourquoi il était nécessaire d’aller tirer Yondu des pages des comics pour en faire quelque chose d’aussi différent, avec un lointain rapport – essentiellement la flèche sonique – avec son modèle (encore qu’après tout l’idée est peut-être que ce Yondu est l’ancêtre de celui que l’on connaît dans les comics). Xandar et le Nova Corps m’ont déçu également. J’ai l’impression de voir Battlestar Galactica: Caprica plus que Nova Corps (ce ne leur aurait pas coûté grand-chose d’utiliser de « vrais » novas, casques et pouvoirs inclus). Mais tout cela, au final, passe au second plan car ce n’est pas, après tout, le propos du film. Les personnages secondaires sont ainsi expédiés pour mieux se concentrer sur le ton.
On connaît maintenant bien le système. À chaque sortie d’un film Marvel un certain nombre de critiques sont écrites d’avance. On aura droit une fois encore à ces supposés garants de l’identité culturelle qui viendront crier à l’invasion culturelle parce qu’il y a quatre films de super-héros par an (tu parles, moi qui n’aime pas le foot – un sport qui a l’origine n’est absolument pas de chez nous – qu’est-ce que je devrais dire ?). Et puis il y a aussi ceux qui ne sont pas proprement contre les films de super-héros mais plus spécifiquement anti-Marvel Studios parce que c’est formaté, c’est le Mal et cela ne permet pas aux réalisateurs de s’exprimer. Parce que bien sûr leurs arguments répétés de films en films en changeant tout juste les noms propres ne sont pas du tout « formatés ». Ben voyons. Les studios Marvel ne sont pas de blanches colombes et ont une tonalité, surtout servie par une esthétique, une direction de la photographie qui fait que la lumière dans un Thor est sensiblement la même que dans un Iron Man ou un Captain America. C’est un fait. Il est certain, aussi, que le premier film de Thor ne ressemblait pas vraiment à du Kenneth Branagh. Ou encore que les films Marvel ne sont pas parfaits. C’est vrai aussi. Mais on ne peut pas répéter les mêmes critiques à l’infini sans prendre en compte la spécificité d’un film, sous peine de se formater soi-même. Oh, oui, là-bas dans le fond, il y en a bien un qui vient de pleurer que les films Marvel n’ont pas de spécificité les uns par rapport aux autres mais là, franchement, c’est un excès auquel il n’y a qu’une réponse : « Bullshit ! ».
Parce que la personne qui viendrait me dire que les Gardiens de la Galaxie et le Winter Soldier, c’est le même film aurait de la merde devant les yeux. Qu’il y ait des points de concordances, c’est manifeste (je relevais, un peu plus haut, l’équivalence entre Ronan et Malekith par exemple). Mais que dans le ton tout soit égal, c’est faux. Dans le Soldat de l’Hiver, les frères Russo nous donnaient la version super-héroïque des 3 jours du condor de Sydney Pollack. Gardiens de la Galaxie est quelque chose de délibérément plus potache. Alors que le départ d’Edgar Wright du projet Ant-Man a fait couler beaucoup d’encre, j’ai trouvé à ces Gardiens un air de famille prononcé avec « Le dernier pub avant la fin du monde » de Wright. Non, les aliens ne sont pas forcément à la recherche d’un pub (encore qu’ils passent bien par un tripot). Mais il y a des rapprochements à faire entre Gary (le héros du « dernier pub ») et Star-Lord. Tous deux campent un personnage tourbillonnant (hanté par le même réflexe passéiste de la cassette des années 80) qui cherche à attirer ses potes dans sa boucle. La différence majeure est que Gary doit renouer des amitiés anciennes là où Peter Quill doit en forger de nouvelles. Mais très franchement, une fois que l’on a fait le rapprochement entre les deux personnages, on s’aperçoit que la posture de Peter face à Ronan, sa manière de le défier (dans les dernières scènes du film) est digne du « dernier pub ». Après cela, si l’on vient me dire que les Gardiens de la Galaxie c’est la même chose que Winter Soldier, alors « l’Homme de Rio » ressemble au « Vieux Fusil »… Dans l’arsenal de Gunn il y aussi cette bande –son totalement atypique qui instaure un rapport très différent. Star-Lord ne déboule pas à coup d’AC-DC mais traîne un véritable spleen (dé)matérialisé par ces vieux tubes.
Au final, James Gunn réussit le pari d’installer ses personnages centraux. Et franchement, vu le déficit de notoriété des Gardiens (le fait qu’on ne peut pas compter sur une connaissance générale du public pour se permettre certains raccourcis), ce n’était pas gagné d’avance. Il a fallu gérer, organiser et donner corps à un film fait sérieusement mais qui ne se prend pas au sérieux… au point carrément d’arriver à nous le dire dans les dialogues. C’est une très bonne mise en place (en tout cas pour les héros). Le film m’a aussi fait penser à une autre référence. En un sens, je trouve que, comme la série TV Batman en son temps, le film s’en tire très bien pour donner des choses sur des canaux différents, à diverses audiences et tranche d’âge. Pour un prochain round, par contre, scénario et réalisateur seront bien inspirés de mieux travailler la menace en face. Et – éventuellement – de proposer une petite caméo bien méritée à Kevin Bacon !
[Xavier Fournier]
P.S.: Le film nous a été projeté sans la fameuse scène post-générique, qui sera tenue secrète jusqu’à la sortie du film aux USA. Du coup, il convient de garder une réserve potentielle concernant le sort éventuel de certains personnages secondaires ou sur les suites que ce film est susceptible d’annoncer.
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