« Vous êtes déjà morts. Ca vient et vous êtes tous morts. » Un message pour le moins effrayant passe depuis plusieurs minutes en boucle sur les écrans de télévision du monde entier. Ces interférences s’accompagnent d’images de populations apparemment extraterrestres décimées par une explosion d’une ampleur et d’une violence incommensurables. La brutalité et le caractère anxiogène de ces scènes ne tardent pas à donner lieu à une vague de panique au sein des populations de la Terre, entrainant notamment une importante hausse des suicides collectifs. En remontant vers la source de la diffusion, le S.H.I.E.L.D localise très vite le dispositif émetteur au cœur de la Sibérie russe. Immédiatement, Nick Fury constitue sa team ad hoc autour de Captain America, la Veuve Noire et le Faucon et prend la direction de la Toungouska. De leur côté, Charles Xavier et Jean Grey sont eux aussi interpellés par ce qui s’apparente vite à une attaque psychique générale. Immédiatement, la consultation de Cerebro les pousse également à rejoindre la Russie… les deux équipes vont ainsi se retrouver sur la trace d’un bunker désaffecté, laissé à l’abandon depuis la chute de l’Union soviétique. Sous la glace et la neige, derrières les épaisses parois de béton et d’acier, ce site semble avoir été le lieu de bien singulières expérimentations…
Warren Ellis est une nouvelle fois épatant. Au cours de ce cycle, le célèbre auteur britannique parvient à capter l’essence du personnage de Galactus, en poussant ses lecteurs vers une réflexion plus philosophique encore, presque existentielle. Pour rester terrifiant, et donc pour garder sa pertinence, le « Dévoreur de Mondes » de l’après 11 septembre 2001, celui qui a pour ambition de raser des sociétés postmodernes accaparées par « la comm’ » – et accablées par la dématérialisation des menaces – ne pouvait être représenté et incarné de la même manière que lorsqu’il fut créé par Jack Kirby et Stan Lee (1966).
Jamais outrancier ni vulgaire durant ces épisodes, Ellis apporte ainsi un regard conforme aux vertiges, aux flottements idéologiques et identitaires de notre merveilleux XXIe siècle. Ca reste une histoire de super-types en costumes qui veulent défendre la Terre contre une menace d’invasion extraterrestre, mais bon sang, que c’est intelligemment écrit. Et ce jusque dans le dénouement de l’intrigue, qu’on ne dévoilera pas cela va de soi…
L’épaisseur, la consistance de ces aventures tiennent aussi pour beaucoup à la capacité de Warren Ellis à ancrer sa trame sur près d’un siècle d’histoire, qu’il s’agisse du mythe UFO-esque en Sibérie, ou d’enjeux de défense liés à la période de Guerre froide.
Cela faisait bien longtemps qu’une épopée purement super-héroïque, qu’un « blockbuster » de Marvel ne nous avait autant réjoui. Pour tous ceux qui veulent bien accepter de s’affranchir – temporairement ? – des codes et autres récurrences vieilles de cinquante ans maintenant, pour tous ceux qui ont envie de s’amuser dans le vaste coffre à jouets de l’univers Marvel, cette saga aux résonances science-fictives offre son lot de très beaux moments. La tête dans les étoiles, on se dit que la bande dessinée a énormément à nous apporter. L’approche de « Gah Lak Tus » fait passer un message clair tout en évitant la mièvrerie. Aussi sincère que forte en gueule, l’histoire de ce sursaut collectif pour la sauvegarde d’une planète désabusée rivalise aussi, dans le plaisir qu’elle procure, avec les meilleures productions cinématographiques de SF. Et pour ce qui nous rassemble immédiatement, à savoir les comics, elle suscite une curiosité inédite chez tous ceux qui avaient sciemment ignoré les parutions de la gamme « Ultimate ». Au fond, la curiosité par capillarité n’était-elle pas le but avoué de Bill Jemas en 2000 ? Sans avoir complètement tenu ses promesses sur la durée, alourdie à son tour par dix années d’existence, cette ligne prouve avec des productions de ce calibre qu’elle représente malgré les difficultés un espace de créativité des plus convaincants.
[Nicolas Lambret]
« Ultimate Galactus – La Trilogie », par Warren Ellis (scénario), Steve Epting, Trevor Hairsine, Steve Mc Niven, Brandon Peterson, Tom Raney (dessin), Panini Comics, Coll. Marvel Deluxe, mai 2010, 328 p.
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