L’an 980. Sven est l’héritier légitime du trône des Orcades, archipel situé au nord de l’Ecosse. Mais voguant sur les eaux du Bosphore, et désormais installé à Miklagard (Constantinople), il a fui depuis bien longtemps ses contrées septentrionales pour la chaleur et le métissage de la porte de l’Orient. Alors qu’il officie en tant que garde Varègue dans l’armée byzantine, un messager vient bientôt lui annoncer la mort de son père en mer d’Irlande. Mu par l’ambition de récupérer le magot familial, à présent accaparé par Gorm, son oncle perfide, Sven décide de tourner temporairement le dos à sa cité d’adoption, et retourne sur la terre de ses origines…
S’il fallait résumer la trame de ce « Northlanders » par une citation, ce serait sans doute cette phrase prononcée par Hakkar, premier guerrier ayant fait allégeance à Gorm : « Ta place n’est plus ici. Tu n’aurais jamais dû revenir. » Et effectivement, le personnage de Sven apparaît complètement étranger à la triste vie répandue en ses terres. Lui a délibéré choisi Constantinople : « Je défends la grande ville. Je croise les cultures du monde. Je bois leur vin, je baise leurs femmes. Je vois la marche de la civilisation. J’y ai gagné ma vie. » Avant de poursuivre : « Ici, dans ces pays nordiques, les hommes croupissent dans la merde et grattent une terre gelée pour subsister. » A son retour, le village de Grimness est un cloaque, plus en encore que dans ses souvenirs.
Mais c’est bien l’ambivalence qui prédomine dans la démarche de Sven. Lui-même semble refuser son destin. Pourtant, dans les actes, il s’en rapproche un peu plus à chaque planche. Ce choix de Brian Wood doublé d’une maturité totale dans le langage crée une tension particulièrement intéressante, loin du côté chevaleresque qui pourrait facilement s’imposer dans pareil contexte médiéval. Affecté par la perte de sa mère, suicidée après la disparition de son époux de roi, Sven apprendra à apprécier ses retrouvailles avec Ivarsson un ancien voisin bien connu durant sa jeunesse. Le vieil homme lui permettra de renouer timidement avec son passé.
Frais comme le grand nord, ces quatre épisodes apportent leur lot de scènes assez hallucinantes, à l’image de cette séquence au cours de laquelle Sven redresse le nez tuméfié de la mystérieuse femme archer qu’il avait d’abord cognée gaiement. Ou encore lorsque le fils prodigue se sert d’une tête de cerf comme d’un chapeau pour attaquer les troupes de Gorm… Certains passages, très « hardboiled » font, dans l’esprit, penser à du Frank Miller.
C’est d’ailleurs justement lors des batailles que le dessin révèle toutes ses qualités. Le trait de Davide Gianfelice est dynamique, extrêmement précis en même temps que presque esquissé. Le blog de cet artiste milanais (http://minkiaturtle.blogspot.com) est à découvrir d’urgence si les illustrations qui accompagnent cette chronique vous ouvrent l’appétit. Soutenu de plus par une excellente mise en couleurs aux tons pastels, légers et sombres à la fois, ce tome est d’une excellente qualité graphique.
« Pas ce soir, Thora. Reste ou bien pars. Mais arrête de parler. » Rien que pour des dialogues de cet acabit, on resigne de suite pour un second tome. Derrière l’apparence immédiate d’une fable guerrière et moyenâgeuse, il est évident que l’identité, l’appartenance à une terre et la fidélité sont autant de questions placées au cœur même de l’intrigue. On sait que Brian Wood a annoncé l’annulation de la série en juin dernier… mais ! fort heureusement, l’arrêt ne devrait pas être effectif avant mars 2012, pour marquer d’un point final le 50e épisode du titre. Pour peu que le niveau de la série reste constant, cela nous laisse donc quelques belles heures de lecture devant nous, en particulier dans ce beau format qu’est le TPB. On attend la suite avec impatience, pour connaître d’abord la fin du premier cycle. Et là, selon toute vraisemblance, Gorm le sournois devra répondre de ses traîtrises par l’épée.
[Nicolas Lambret]« Northlanders T1 », par Brian Wood (scénario) et Davide Gianfelice (dessin), Panini Comics, Coll. 100% Vertigo, mai 2011, 100 p.
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